Le choix de l’Azerbaïdjan pour accueillir la COP29 à la mi-novembre 2024 avait déjà fait l’objet de vives polémiques et critiques de la part des militants et ONG écologistes, des défenseurs des droits de l’Homme, des pays alliés de l’Arménie comme la France et d’à peu près quiconque de censé... Marquée par des négociations peu concluantes, revenons sur le bilan d’une COP transformée en un forum du pétrole.
Par Paul Loussot
Erevan cède face à Bakou
Il va sans dire que Bakou comme prochaine destination pour le déroulement de la COP29 était une décision plutôt difficile à comprendre au premier abord. Par un concours de circonstances (organisation de la COP29 dans un Etat « d’Europe Orientale » selon le calendrier, annulation des candidatures de la Rép. Tchèque et de la Bulgarie), l’Azerbaïdjan et l’Arménie se sont retrouvés seuls candidats pour l’organisation de l’événement. Dans un élan d’ouverture vis-à-vis de son belliqueux voisin, Erevan a décidé d’accorder son soutien à Bakou pour l’accueil de la conférence le décembre 2023. L’Arménie étant dans une situation plus complexe que jamais à ce moment précis, venant d’assister impuissante à la chute de la République d’Artsakh en septembre de la même année. Soucieuse de conclure un traité de paix au plus vite avec Bakou pour se protéger d’une éventuelle attaque azerbaïdjanaise, l’Arménie a donc laissé le champ libre à Aliyev quant au sujet de la COP29. Un geste bien naïf, tant la nature du régime d’Aliyev et ses récents discours ne laissent que peu de doutes quant à ses réelles intentions vis-à-vis de l’Arménie.
Une conférence sur le climat sponsorisée par le lobby pétrolier et l’autoritarisme
Alors quels progrès, traités ou décisions majeures ont pu être réalisés durant ce mois de novembre à Bakou ? A vrai dire, qualifier le bilan de la COP29 de mitigé serait un euphémisme. La conférence fut l’occasion pour de nombreux lobbyistes des énergies fossiles de se rencontrer, de collaborer et d’influencer les délégations gouvernementales quant aux décisions à prendre lors des négociations. Le ton était donné d’avance, il fallait s’y attendre : dans son style habituel Ilham Aliyev avait qualifié les ressources pétrolières de son pays et le gaz comme étant un don de Dieu (« a gift of the gods ») quelques mois avant le début des pourparlers de la COP29. La messe était dite.
Nous pouvons toutefois nous réjouir d’une chose : l’Azerbaïdjan n’a pas perdu son sens de l’humour. Mukhtar Babayev, président de la COP29 et accessoirement cadre de la SOCAR (NDLR: une grande compagnie pétrolière azerbaïdjanaise) et membre du YAP, a déclaré la veille de la clôture de la conférence : « [La COP29] est une chance unique de combler les fossés et de trouver des voies vers une paix durable… La dévastation des écosystèmes et la pollution causée par les conflits aggravent le changement climatique et sapent nos efforts pour sauvegarder la planète ». Drôle de déclaration pour un pays qui ne cesse d’augmenter sa production d’hydrocarbures d’année en année et qui fait face à plusieurs accusations de mauvais traitements, de crimes de guerre et de génocide contre le peuple d’Artsakh et les Arméniens.
De plus, quelques jours avant le début du sommet, la BBC avait révélé au grand public un enregistrement secret divulgant l’organisation de réunions visant à établir de nouveaux partenariats et investissements dans le domaine des énergies fossiles :
« Dans un enregistrement secret, on entend Elnur Soltanov, directeur général de l’équipe azerbaïdjanaise de la COP29, discuter d’“opportunités d’investissement” dans la compagnie pétrolière et gazière d’État SOCAR avec un homme se faisant passer pour un investisseur potentiel. Elnur Soltanov est également vice-ministre de l’Énergie de l’Azerbaïdjan et siège au conseil d’administration de SOCAR. Une affaire qui fait tache puisque lors de la dernière COP, les États s’étaient mis d’accord sur la suppression progressive des combustibles fossiles. » (Courrier International, article du 8 novembre 2024)
Une déception partagée au Nord comme au Sud
La COP29 a accouché de deux accords concernant la lutte contre le dérèglement climatique. Le premier concerne la mise en place d’un marché carbone forçant les entreprises et porteurs de projets à s’investir davantage dans le succès des objectifs de développement durable en présentant diverses mesures relatives à leur bilan carbone et leur impact global sur la planète. Le second, le plus attendu, portait sur la mise en place du NCQG (Nouvel Objectif Collectif Quantifié) dont le but est d’aider les pays du Sud global dans leur transition énergétique. Les négociations ont permis la mise en place d’une aide de 300 milliards de dollars USA par an de la part des pays du Nord les plus riches d’ici 2035. Un montant jugé bien insuffisant par les pays concernés, qui réclamaient de leur côté un montant bien supérieur, d’environ 1300 milliards de dollars USA. Malgré l’objectif affiché de pouvoir trouver les financements nécessaires à la lutte contre le dérèglement climatique, la conférence s’est soldée par un goût d’inachevé, tant les ressources essentielles à cet objectif restent sous-estimées. Par ailleurs, les formes que vont revêtir ces financements n’ont pas pu être décidées lors des négociations, inquiétant donc les pays du Sud. Ces craintes légitimes sont également partagées par la France qui juge ce montant insuffisant. L’UE sort aussi déçue de la conférence, regrettant que certains pays ne contribuent pas à l’aide globale vis-à-vis des pays du Sud, comme la Chine ou les pays du Golfe, acteurs importants du dérèglement climatique au vu de leur production et consommation d’énergies fossiles.
En outre, la conférence dans sa globalité fut appelée à être boycottée par de nombreuses personnalités publiques ou ONG, par rapport à la dictature en place en Azerbaïdjan, sa place de choix sur le marché des hydrocarbures, ses guerres contre les Arméniens et son non-respect des droits de l’Homme. De vastes campagnes à l’encontre de l’organisation de la COP furent organisées sur les réseaux sociaux notamment.
Avant même son ouverture, le ministre des Affaires Etrangères de Papouasie-Nouvelle-Guinée (un pays particulièrement touché par les conséquences du réchauffement climatique), M. Justin Tkatchenko avait qualifié la conférence de « perte de temps totale », tant les promesses non-tenues et le manque d’engagement des pays les plus pollueurs étaient prévisibles pour cette édition du sommet climatique. Plusieurs personnalités politiques de premier plan refusèrent de se rendre à Bakou pour diverses raisons. Parmi elles Joe Biden, Lula da Silva, Justin Trudeau, Ursula van der Leyen, Olaf Scholz et Emmanuel Macron. La France avait d’ailleurs refusé d’envoyer un haut représentant à Bakou. Le président Macron donc, mais également la ministre de la transition écologique Agnès Pannier-Runacher. La raison ? L’ingérence de l’Azerbaïdjan dans les DROM-COM français en diffusant un discours anti-français virulent et accusatoire (article à ce sujet disponible en cliquant ici).
Une COP sans participation aucune de la société civile
Si chaque COP est l’occasion de pouvoir manifester, débattre, échanger autour des enjeux climatiques pour la société civile et ses acteurs, la COP29 de Bakou fait défaut à la règle. Fidèle à la nature de son régime, fascisant et autoritaire, l’Azerbaïdjan a tout bonnement interdit la marche des organisations de la société civile ayant lieu chaque année. De plus, de nombreux journalistes, tant locaux qu'internationaux, ont été empêchés de couvrir les événements. Certains furent arrêtés ou harcelés par les autorités pour avoir tenté de rendre compte de la situation sur le terrain. Les activistes écologistes, souvent considérés comme des voix dissidentes, ont également été la cible d'une répression systématique. Plusieurs d'entre eux ont été emprisonnés. Cette répression a jeté une ombre sur les discussions officielles, soulevant des inquiétudes sur la transparence de la conférence et la véritable volonté des autorités azerbaïdjanaises de lutter contre le changement climatique tout en réprimant ceux qui osent critiquer leur gestion des enjeux écologiques. L'absence de libertés fondamentales dans le cadre de ce sommet mondial a mis en lumière les contradictions entre le discours sur la transition énergétique et les pratiques autoritaires sur le terrain.
Enfin, les négociations relatives aux réductions des émissions de gaz à effet de serre n’ont pas atteint leurs objectifs. Par ailleurs l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C maximum, fil rouge des discussions interétatiques depuis l’Accord de Paris sur le climat de 2015 n’a même pas été mentionné dans les textes dont cette COP a accouchée.
Un tel bilan était prévisible, tant l’Azerbaïdjan semble éloigné de toute considération écologique. Les politiques de greenwashing et de peacewashing mises en place par Bakou semblent toutefois avoir du plomb dans l’aile. L’organisation de la COP29 à Bakou a en effet permis à certains activistes internationaux de se faire entendre dans leurs pays respectifs, mettant en lumière les funestes agissements du régime d’Aliyev. Encore faut-il que ces diffusions d’informations puissent se faire à grande échelle.
Il faut maintenant espérer que la COP30, organisée au Brésil à Belém, saura pallier au manque de résultats probant de sa prédécesseuse et amener l’humanité dans un nouveau cycle de COP plus efficaces pour ces 10 prochaines années.