Chloé Réjon, comédienne, et Stéphane Braunscshweig, metteur en scène français, directeur de l’Odéon-Théâtre de l’Europe et décoré de plusieurs distinctions, étaient invités en Arménie à travailler avec les jeunes artistes de l’Atelier d’art dramatique bilingue. Une dizaine de jours pour découvrir le pays et sa culture à travers un regard artistique dont le Courrier d'Erevan vous fait part aujourd'hui.
Par Lusine Abgarian - Photos Max Sivaslian
Que ressentez-vous de votre première rencontre avec l’Arménie ?
Chloé Réjon : J’avais entrepris depuis Paris une rencontre artistique avec Serge Avédikian et Ariane Ascaride mais aussi, et surtout peut-être, avec Simon Abkarian dont nous avons joué deux pièces pendant presque dix ans : "Le dernier jour du jeûne" et "L’envol des cigognes". Nous avons construit une veritable histoire d'amitié, et Serge Avédikian nous a invité à venir en Arménie. Honnêtement, je ne savais pas ce que j’allais découvrir ici, je n’avais aucune idée préconçue, mais j’avais déjà compris que la vraie richesse de ce pays, c'était ses gens.
Stéphane Braunschweig : Pour ma part, je n’avais pas d’amis arméniens, à part un acteur avec qui je travaille. Quand Serge Avédikian nous a proposé de participer à cet atelier, je n’ai pas hésité. J’avais envie de découvrir ce pays que je ne connaissais pas. L’histoire de ce peuple me touche beaucoup.
Je savais que c’était une ancienne république soviétique, je m’attendais un peu à en découvrir l'univers. On m’avait dit également qu’il y avait ici une très grande hospitalité et nous n’avons pas été déçus. Nous avons été merveilleusement accueillis.
C.R. : Ici; il y a une chose qui est un peu compliquée en Occident, c'est le sens de l’autre, l’autre qui compte. Nous l’avons ressenti tout de suite.
Parlons de votre expérience au sein de l’Atelier. Que souhaitiez vous transmettre ?
S.B. : On avait choisi de travailler sur Tchékhov. C'est un théâtre qui parle beaucoup des jeunes et de l’avenir. Ses textes rentrent particulièrement en résonance avec la situation que connait ce pays, son histoire tragique, sa force de résistance et de résilience. Nous avons trouvé intéressant de les proposer aux jeunes d'ici. L’intérêt résidait en plus dans le fait que Tchékhov a écrit en russe et de pouvoir travailler cet auteur dans sa langue originale. Tout le monde parle russe ici. Nous avons travaillé en russe, en arménien et en français, en mélangeant les langues.
Au cours des huit jours d’atelier, nous avons essayé de leur donner des outils de travail, de compréhension et d’analyse des textes, des outils pour aborder des scènes et des personnages en contact avec l’autre, tout en restant précis sur les textes. On a voulu revenir aux fondamentaux du théâtre, avec un grand auteur, ses personnages et ses situations. On est là pour transmettre des outils.
C.R. : J’aime beaucoup travailler avec Stéphane, parce qu’il est plus metteur en scène et moi, actrice. À nous deux, on essaie de transmettre des idées et des sensations. Je n’aime pas tellement enseigner parce que je n’aime pas les théories. Je pense que le théâtre est un art et qu’il est aussi riche et varié que les êtres qui le pratiquent. Donc, il n’y a pas une seule façon de jouer sur scène, il n’y a pas un seul théâtre et surtout, je pense qu’il n’y a pas qu’une seule école.
Ce qu’on a cherché à faire avec Stéphane, c’était, à travers l’œuvre de Tchékhov, de réfléchir avec ces jeunes acteurs et actrices au roman des personnages, aux situations dans lesquelles ils se trouvent.
S.B. : En travaillant les mêmes scènes avec des acteurs différents, on voit qu’à partir d'une même situation, le rendu peut être complètement différent. Les acteurs sont différents. Ils recherchent parfois l'originalité à tout prix. Mais il n’y en a pas besoin parce que quand on est précis avec le texte et qu’on est soi-même, c’est déjà original.
C.R. : C’est bien de travailler avec des gens qui ont une autre culture : ils ont leur propre univers et leur propre façon de rencontrer une histoire. Il y a eu des choses très émouvantes dans cet Atelier.
Vous connaissez Tchékhov en français, en russe* et maintenant en arménien. Comment c’était de travailler ce grand auteur en trois langues, sur les planches de l’Atelier ?
S.B. : C’est difficile pour nous de suivre le texte en arménien, nous n'en connaissons que très peu de mots En même temps, c’était intéressant de noter que certains acteurs disent préférer le texte russe ou sa version arménienne. Ce choix leur permettait d’être plus proche d’eux-mêmes.
C.R. : Je pense que quelle que soit la langue, quand elle redonne profondément, on n’a pas besoin d'en comprendre les mots. Il y a quelque chose qui va au-delà du verbal. Un équilibre, une intensité, une présence qui nous captive, une chose impalpable. Il y a eu des moments incroyables quand on ne comprenait rien mais on savait que c’était juste. Nous avons essayé de rechercher, comme les autres intervenants je pense, l’intime, le plus proche de ces jeunes artistes lorsqu’ils appréhendent les textes de Tchékhov.
Croyez-vous que les difficultés de faire du théâtre soient les mêmes dans toutes les cultures et tous les pays ?
S.B. : Oui. Est-ce qu’on parle de soi, est-ce qu’on parle de l’autre ? Est-ce qu’on arrive à être suffisamment précis, comment on s’approprie-t-on des textes qui ne sont pas les nôtres ?
C.R. : C’est un art absolu, ultime et très ancien. Il n’y a pas de peuple supérieur pour pratiquer cet art, c’est quelque chose qui vient du fond des temps et des âges.
S.B. : Je pense aussi que ce qui était très frappant dans ce groupe, c’était sa sincérité et son honnêteté. Ces jeunes n’ont pas fait semblant. Il y a eu quelque chose de très sérieux et d’humble à être là et personnellement, je relie quand-même tout cela à l’histoire et à la guerre récente. On ne peut pas faire du théâtre complètement à la légère. Il faut avoir cette honnêteté, qui peut être aussi une difficulté pour certains, pour savoir sortir de soi. J’y ai été très sensible. Le théâtre permet de se confier sans parler de soi.
C.R. : À un moment donné je me suis posé la question de savoir si Tchékhov était un bon choix pour des jeunes gens qui ont vécu des choses si difficiles. J'espère que cela leur a aussi permis d’exprimer le mal-être à travers les personnages, de mettre un masque qui n’est pas le leur mais dit tout le mal de vivre.
S.B. : Le théâtre permet de s’exprimer avec pudeur et moi je n’ai posé aucune question sur ce qu’ils ont vécu. Mais souvent, quand on faisait les scènes, j’ai senti chez l’un ou chez l’autre les ombres de l’histoire, les ombres des secrets.
C.R. : Maintenant que nous avons eu cette rencontre avec ces jeunes gens, on a le sentiment que l’histoire va continuer et qu’on va revenir, ou les accueillir à Paris.
S.B. : C’était un grand honneur d’être ici.
* Stéphane Braunschweig a fait une mise en scène de « L’Oncle Vania » au Théâtre des Nations en Russie.