L’économie est un moteur décisif dans toute stratégie d’influence : entretien avec Florence Provendier, coordinatrice de la coopération France-Arménie

Ֆրանկոֆոն Հայաստան
20.11.2025

Florence Provendier, ancienne députée des Hauts de Seine, a un parcours pluriel de cadre dirigeante dans le secteur privé et associatif. Elle coordonne aujourd’hui les coopérations entre la France et l’Arménie pour le Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères (MEAE). Ayant visité le pays pour la première fois en octobre 2020, elle y a tissé depuis des liens solides avec des interlocuteurs variés. La mission qu’elle conduit vise à renforcer et développer les partenariats entre les acteurs économiques, de la coopération décentralisée et des organisations de la société civile, en complémentarité avec les actions de l’État. Pour le Courrier d’Erevan, elle précise les contours de son action et de celle de la France en Arménie.

 

Un engagement à tous les niveaux

Occupant au Quai d’Orsay une fonction spéciale, celle de coordonner la feuille de route de coopération entre la France et l’Arménie, Madame Florence Provendier est bien placée pour le dire : “L’engagement de la France aux côtés de l’Arménie, qui a pris de plus en plus d’ampleur depuis la “guerre des 44 jours”, implique tous les niveaux de l’Etat français ainsi que la représentation nationale.” Elle cite, en appui de son propos, “une centaine d’accords avec les collectivités territoriales et plus d’un millier d’organisations de la société civile dont de nombreux acteurs de la diaspora arménienne en France.” 

L’Arménie, souligne-t-elle, est le quatrième pays le plus soutenu par les collectivités territoriales françaises dans le cadre de l’aide publique au développement en 2024. Loin de se restreindre à la seule capitale d’Erevan, les accords de coopération bénéficient à 308 municipalités différentes dans toute l’Arménie.

 

“Changer d’échelle”

Un tel dynamisme, d’une telle diversité d’acteurs publics, justifie en retour l’existence d’une mission de coordination. Mme Provendier en situe l’origine en décembre 2021 avec la signature d’une feuille de route de coopération économique bilatérale entre les gouvernements arménien et français. Elle est aujourd’hui le document cadre de la coopération entre les deux pays, celui sur lequel s’appuie la “volonté de changer d’échelle. « Changer d’échelle »  dans la  coopération franco-arménienne implique d’une part d’augmenter le volume des échanges, la France n’étant, Mme Provendier le déplore, que le 14e partenaire économique de l’Arménie en 2021. Mais “changer d’échelle” recoupe aussi la volonté, fermement affirmée par la Coordinatrice, de “mobiliser l’ensemble des acteurs, y compris non-étatiques”. A titre d’exemple, elle cite l’événement Ambition France-Arménie, tenu en France en 2022 en présence du Président de la République et de 400 acteurs de la coopération entre les deux pays.

 

Comme un témoin de la réussite de cette entreprise, Mme Provendier met en avant “l’aide exceptionnelle de la France à l’Arménie en 2023 avec une aide humanitaire de plus de 31 millions d’euros pour venir en aide auxdes populations déplacées de force du Haut-Karabagh.

 

“Madame Arménie”

Mme Provendier le confesse volontiers : “Avant 2020, je ne connaissais pas l’Arménie.” Mais les liens qui unissent les deux pays sont profonds, et ne surgissent pas toujours où l’on s’y attend. “C’est dans le cadre de mon mandat de députée [elle est la suppléante de M. Gabriel Attal qui a alors rejoint le gouvernement] que j’interagis avec la communauté arménienne de ma circonscription et prends conscience des enjeux. [...] C’est l’Arménie qui est venue me chercher, à Issy-les-Moulineaux !” Se monte le projet d’un voyage au pays, qui coïncide avec la guerre de 2020. L’ancienne humanitaire dit alors vivre une “crise de conscience” : se joue sous ses yeux, en Arménie, un moment décisif de l’histoire des Arméniens. De retour en France, l’idée de “faire quelque chose” ne la quitte plus.

Ce “quelque chose” fruit d’une volonté politique et du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, s’inscrit dans la continuité de la Feuille de route de coopération économique franco-arménienne signée en 2021 par Jean-Baptiste Lemoyne alors ministre délégué et le forum Ambitions France-Arménie placé sous le haut patronage du Président de la république française, se traduit par la mission de coordination spécifique au MEAE qui lui est confiée début 2024.

Ainsi voit le jour la mission de Mme Provendier. Mon travail consiste à identifier, mobiliser, accompagner et coordonner les initiatives de coopération avec l’Arménie des CTF et OSC françaises.

Elle cite les appels à projets mis en place par le MEAE pour soutenir les initiatives de des collectivités et des associations de la société civile dont les actions contribuent à la mise en œuvre de la feuille de route de coopération. En 2025, ce sont 7 collectivités territoriales et 11 associations qui ont bénéficié de ce soutien à la coopération franco-arménienne.

La création de son poste le rappelle, le partenariat entre la France et l’Arménie est particulier. “Tout le monde, en France, est d’accord pour soutenir l’Arménie. C’est le seul pays qui emporte l’adhésion de tout le spectre politique.” Sa mission se donne aussi pour objectif de mettre en valeur la coopération déjà existante à toutes les échelles. “Nous cartographions dans une approche multi acteurs, multi échelles tout ce que fait la France pour l’Arménie. C’est énorme !

 

L’économie un terreau de coopération fertile

 “L’économie est une arme comme une autre. S’il n’y a pas d’enjeux commerciaux entre deux pays, l’intérêt est moindre.” Ainsi de la volonté d’organiser, dans les années à venir, des délégations de PME françaises vers l’Arménie, ainsi de son soutien au projet entre la région Auvergne-Rhône-Alpes et le Syunik, très porté sur les questions commerciales. Mais l’économie ne se réduit pas au volume des échanges “Mon but, c’est de fédérer, d’animer, de faciliter. S’il y avait trois mots pour résumer la démarche : connecter des ambitions partagées avec nos partenaires arméniens, changer de braquet et proposer une approche plus systémique notamment avec les acteurs économiques.” 

Accélérer sur l’économie, c’est aussi “émanciper la coopération franco-arménienne du seul aspect mémoriel. Il comptera toujours, bien sûr, mais j'ai la conviction qu’au niveau économique, il y a matière pour faire de belles choses.” Une spécificité de l’Arménie : “par la taille de son territoire, elle peut représenter une zone fertile en devenir pour dans de nombreux secteurs, dans les domaines de l’innovation, des technologies, des ENR, du traitement des déchets, des connectivités, de la santé, du tourisme.

A l’heure de “l’Arménie réelle”, doctrine promue par le gouvernement de M. Pachinian pour imaginer un futur nouveau au pays meurtri par la guerre, s’ouvrent aussi de nouvelles opportunités de coopération avec le vieil allié français.