
Dès l’indépendance de l’Arménie, Vahé Gabrache, ancien de l’Ecole Hôtelière de Lausanne (EHL) en avait la vision : il apporterait son Alma Mater dans le nouvel-ancien pays. Voulant faire la symbiose entre l’excellence suisse et l’hospitalité traditionnelle arménienne, l’Académie Suisse-Arménienne d’Hospitalité (ASAH), dont il est le fondateur, a ouvert ses portes à Gyumri le 1er novembre dernier. Le choix de la décentralisation illustre l’engagement de l’institution internationale et de son équipe dirigeante locale, pour le développement du pays, mais pas seulement. L’ASAH s’implante également dans la capitale culturelle de l’Arménie en pleine expansion touristique, manifestant ainsi sa confiance dans l’avenir du secteur touristique du pays.
Par Marius Heinisch et Camille Ramecourt
“Le baptême d’une foi” de plus de 30 ans
Il fallait être visionnaire, ou avoir une foi déjouant tous les pronostics, pour miser sur l’hôtellerie de luxe à Gyumri. Vahé Gabrache a certainement les deux: homme d’affaires suisse-arménien, investisseur en série pour le développement de la République d’Arménie et membre actif de la diaspora, le fondateur de l’Union générale arménienne de Bienfaisance (UGAB) Suisse, président de multiples fondations arméno-suisses (Diran et Charles Philippossian, la Fondation Armenia et la Fondation Alliance Arménienne) confirme qu’il ne s’agit pas seulement d’un projet professionnel mais aussi d’un projet de coeur :
“Pour moi, cette journée n’est pas seulement celle d’une inauguration officielle. C’est le baptême d’une foi, celle que je porte depuis plus de trente ans : offrir à l’Arménie — et plus particulièrement à Gyumri — une école capable de former les futurs professionnels de l’hospitalité selon les standards et exigences internationales.”
D’ailleurs, il aurait été difficile de développer ce projet dans le Gyumri du début des années 1990 avec un objectif seulement économique. Certes, la relation suisso-arménienne était déjà née, à la suite du tremblement de terre de Spitak de 1988. Mais justement, celui-ci avait particulièrement touché Gyumri, et tout le pays avait à se reconstruire à la suite des dégâts de la catastrophe naturelle, et restructurer son économie jusqu’alors dépendante des flux économiques de l’URSS qui bénéficiaient grandement à l’Arménie. Ainsi, l'’atmosphère était à l’émotion lorsqu’Andrea Barbara Baumann, ambassadrice de Suisse en Arménie, a ouvert la cérémonie d’inauguration : elle a placé le lancement de cette Académie d’excellence sous le signe du souvenir, rappelant que l’amitié profonde entre les peuples suisse et arménien prend ses racines dans la solidarité internationale lors du tremblement de terre de Spitak. “Depuis, notre collaboration s’est développée de manière constante au fil des décennies, englobant le développement socio-économique, la gouvernance, le commerce, la culture et l’éducation”, s’est-elle réjouit, saluant les “visionnaires” à l’initiative du projet.
Pour Charles Egli, partenaire institutionnel de l’ASAH, quelques années plus tard, en 2005-2006, lorsque Nerses Yeritsyan alors Ministre de l’Economie lui a demandé d’établir des relations pour la future école, l’Arménie n’était toujours pas prête à recevoir ce genre de projet. Ce n’est qu’en 2019, après la révolution, que le contexte national s’y est enfin prêté, à son sens. Cependant, de nouveaux obstacles se sont dressés, le Covid et l’impossibilité de voyager affectant le bon développement du projet, international par essence, et la Guerre des 44 jours, retardant de 2 ans les résultats.
L’ampleur prise par le projet a également “retardé” son aboutissement, mais pour le meilleur. Charles Egli explique qu’après les débuts, de nombreux partenaires, notamment internationaux, ont rejoint l’aventure, avec donc plus d’intérêts à accorder, mais aussi plus de moyens pour le succès de l’entreprise.
Ce fut le cas de la Fondation des Enfants d’Arménie et bien évidemment de l’UGAB, pour qui l’investissement dans le capital humain d’Arménie est la mission principale. L’organisation ne pouvait donc pas passer à côté du projet de donner aux jeunes les compétences répondant aux standards internationaux pour le progrès du pays, explique Vasken Yacoubian, Président de l’UGAB Arménie, qui souligne l’importance stratégique de ce projet pour le développement du capital humain du pays : " Cette Académie s’inscrit dans la mission de l’UGAB : donner aux jeunes les compétences répondant aux standards internationaux."

Une école de terrain pour développer le local
L’implantation à Gyumri, deuxième plus grande ville du pays, souligne la volonté de développement humain du projet. Ce projet pourrait contribuer à l’endiguement du départ des jeunes de la ville, et même de sa région de Shirak, vers la capitale, en apportant des opportunités décentralisées. L’ouverture d’une école est toujours une profession de foi dans l’avenir de la jeunesse, celle d’un établissement d’élite dans une ville en redéveloppement l’est encore plus. C’est un engagement conscient de Vahé Gabrache, pour qui l’établissement de l’école à Gyumri, affirme “avec conviction que l’avenir de [la ville] passe par l’éducation, la jeunesse et l’ouverture sur le monde”.
L’équipe a bien conscience des enjeux propres à une zone moins favorisée qu’Erevan. Mariam Vardanian, l'une des responsables pédagogiques de l'école, explique que l’administration est déjà à pied d'œuvre pour aider les étudiants, notamment avec la question de leur logement. Des bourses sont disponibles pour les jeunes qui reviennent du service militaire obligatoire en 2025, et les personnes déplacées de force du Haut-Karabakh, en plus de bourses nominatives. Le format est également plus adapté aux élèves en situation précaire.

Tout d’abord le cursus est une qualification professionnelle, d’où un coût de formation assez abordable (2,2 millions de drams, soit 4620 francs suisse ou près de 5000 euros). Ensuite, elle est axée sur la formation opérationnelle, en 3 étapes de 6 mois qui se font en alternance. Les étudiants sont ainsi en pratique permanente, que ce soit dans les locaux de l’Hôtel Apricot de Gyumri (un autre partenaire notable du projet), où l’école est située, ou dans leurs stages. Cela leur permet d’appliquer leurs connaissances acquises immédiatement, et de ne pas perdre le lien avec le milieu s’ils ont besoin de travailler en parallèle des cours. En effet, les étudiants peuvent choisir de compléter leur cursus en plusieurs fois, si leurs besoins financiers les obligent à travailler entre chaque étape de leur parcours.
Même si Gyumri est sorti de la mauvaise passe dans laquelle il était dans les années 90, l’installation de l’établissement d’élite dans la ville indique une confiance dans l’avenir de la région, en plus la confiance dans l’avenir des jeunes qui y étudieront.
Qui plus est, l’ouverture récente de l’aéroport de Gyumri aux vols internationaux (qui jusque-là n’étaient que les vols à destination ou depuis la Russie), ainsi que de l’amélioration récente des infrastructures routières, qui était un sujet de discussion avec l’école suisse. Ainsi, la ville évolue dans un contexte de progrès, bénéfique pour l’école. Mais il demeure que l’implantation du fleuron international de l’hospitalité apportera à Gyumri autant -sinon plus encore- en termes de rayonnement international, de capital humain et de dynamisme dans son centre ville. Le projet est au croisement de l’éducation, du développement et de la coopération internationale, et marque une étape décisive dans la modernisation du secteur hôtelier arménien.
Passer d’un projet d’aide au développement, à la pointe en matière d’hospitalité
L’ambition de l’école est de créer en Arménie une référence en matière de formation hospitalière pour le Caucase, et le monde. Le site de l’école témoigne de sa mission de “donner aux étudiants les compétences, l’état d’esprit et la discipline pour réussir localement et internationalement”.
Les cours étant en anglais, ils seront accessibles à un large public, et la direction de l'Ecole invite même la diaspora arménienne francophone à se saisir de cette opportunité pour (re)découvrir ses racines et obtenir un diplôme reconnu par l’industrie dans le monde entier.
Les difficultés de langue sont cependant un frein pour lequel l’équipe pédagogique a déjà prévu des solutions : un contenu en ligne en anglais avec lequel il est possible de se familiariser chez soi avant les cours, et ne venir en classe que pour pratiquer avec des experts ayant tous plus de 10 ans d’expérience dans le secteur. Par ailleurs, le prix de la formation, plus abordable qu’ailleurs, saura attirer les talents arméniens mais aussi des étudiants étrangers, entraînant un brassage culturel et intellectuel enrichissant, à la fois pour l’école, la population et le développement de la ville.

Former des jeunes arméniens et internationaux, sur place en Arménie, assure de répondre aux futurs besoin du pays en couplant l’excellence suisse aux spécificités arméniennes. Haykuhi Gevorgyan, responsable des programmes académiques, accorde une attention particulière à la reconnaissance et au soutien que méritent les étudiants au cours de leurs études ; “ces programmes aident à changer les mentalités”. Pour elle, les connaissances techniques ne vont pas sans l’attitude et la discipline, et l’ASAH contribuera à mettre en valeur les professions du secteur de l’hospitalité en Arménie. Il s’agit de montrer à la jeunesse arménienne que leur formation est une spécialité, avec des connaissances techniques, des savoir-faire, et une qualification recherchée, et pas seulement une activité ponctuelle.
Or il est temps pour l’Arménie de repenser son secteur touristique. Anne-Céline Depierraz, représentante d’École hôtelière de Lausanne, l’a bien compris, et est convaincue de son potentiel :
“L’Arménie deviendra l’une des destinations les plus prometteuses du secteur de l’hospitalité. L’objectif de l’EHL n’est pas d’exporter leurs campus, mais “de permettre à [leurs] partenaires locaux de bâtir des centres d’excellence durables”
Ce besoin et l’importance que revêt l’ASAH pour y répondre sont reconnus jusqu’au plus haut niveau de l’Etat. Le Premier Ministre Nikol Pashinyan, lors d’une rencontre avec Vahé Gabrache en janvier 2025, soulignait que ce programme était d'une “grande importance pour le développement du tourisme, l'augmentation de la compétitivité internationale de l'Arménie et l'accroissement de l'attractivité du secteur”. Une autre rencontre, qui a suivi l'inauguration de l’ASAH, a confirmé que l'Etat arménien attache une attention particulière au le rôle de l'Académie dans le développement des secteurs de l'éducation et du tourisme en Arménie, soulignant qu'elle offre aux jeunes et aux spécialistes la possibilité de suivre une formation professionnelle de qualité internationale sans quitter le pays.
L’Académie Suisse-Arménienne d’Hospitalité est ainsi un levier de développement propre à l’Arménie dont les habitants et la diaspora sauront se servir. Et un levier plus que nécessaire au regard du développement touristique que connaît l’Arménie depuis plusieurs années, et qui ne saurait que se poursuivre si l’ouverture des frontières et l’agenda de paix se poursuivent dans le futur.









