Vers un avenir européen ?

Actualité
21.10.2024

À Erevan, des affiches bleues soutenant l'adhésion de l'Arménie à l'Union européenne sont omniprésentes. Le 16 septembre 2024, une initiative citoyenne a été lancée pour entamer un projet de loi visant à démarrer le processus d'adhésion. L'initiative devait recueillir 50 000 signatures dans un délai de 60 jours, soit jusqu'au 14 novembre 2024. Le seul a été atteint la semaine dernière, avec beaucoup d'avance sur la date limite. Maintenant, c'est au Parlement d'inclure la question à l’ordre du jour de l’une de ses sessions. La collecte ne s'arrête toutefois pas là: si l'initiative récolte plus de 300 000 signatures, un référendum sera organisé, selon la loi. 

 

Par Layla Khamlichi

Portée par un groupe de 51 personnes nommé « Plateforme des forces démocratiques » et représenté par Artak Zeynalyan, l'ancient ministre de la Justice, cette initiative citoyenne bénéficie du soutien de trois partis politiques au Parlement : le Parti européen d’Arménie, le Parti de la République et le Parti pour la République. Cet acte, plus symbolique que politique, a pour but la démonstration de la vocation européenne de l’Arménie, dans un contexte régional plus que tendu.

 

Quelques éléments pour mieux comprendre l’enjeu

Depuis la chute de l'Union soviétique, en 1991, l'Union européenne a établi des relations étroites avec l'Arménie. Ce pays, avec des racines culturelles communes aux nations européennes, a bénéficié de l'aide européenne via la Politique Européenne de Voisinage (PEV) et le Partenariat Oriental, visant à promouvoir la démocratie et le développement économique. Des accords bilatéraux, comme le Partenariat global et renforcé (CEPA) de 2017, facilitent les réformes et l'accès des produits arméniens au marché européen, tout en soutenant les PME.

L'UE est également un partenaire commercial majeur pour la patrie de Noé, représentant 20 à 25 % de ses exportations. Entre 2014 et 2019, les exportations arméniennes vers l'UE ont augmenté de 21,5 %, atteignant 583 millions d'euros, tandis que les importations ont atteint 1,07 milliard. Les liens se renforcent aussi dans les domaines sécuritaires et humanitaires, avec l'allocation de 70 millions d'euros pour la région du Haut-Karabagh et la Mission européenne (EUMA) en Arménie, critiquée par la Russie et l'Azerbaïdjan. En 2024, le Fonds européen pour la paix a alloué 10 millions d'euros pour renforcer les capacités des forces armées arméniennes.

Enfin, l'Arménie et l'UE ont entamé des discussions sur la libéralisation des visas, conditionnée par des réformes comme l'introduction de passeports biométriques. Si tout est mis en place, l'exemption de visas pourrait être obtenue en trois à cinq ans. Erevan se rapproche de l'UE à plusieurs niveaux : politique, économique et culturel, avec la possibilité d'une future adhésion.

 

Et si l’on allait plus loin ?

L’adhésion de l’Arménie à l’Union européenne présenterait plusieurs avantages, notamment l’accès aux financements européens et à un marché de 500 millions de consommateurs, ce qui favoriserait l'intégration économique. L'harmonisation des normes simplifierait les échanges, stimulant ainsi la croissance et l'emploi. L'UE fournirait un cadre de stabilité attirant investissements et transferts technologiques, permettant à l’Arménie de développer ses infrastructures et de renforcer sa stabilité politique face aux tensions avec l'Azerbaïdjan. De plus, l’UE soutiendrait les droits démocratiques et la société civile.

Pour Bruxelles, l'adhésion renforcerait la stabilité dans le Caucase du Sud, réduisant les tensions avec la Turquie et l'Azerbaïdjan, tout en élargissant la zone de sécurité européenne et en renforçant sa présence diplomatique en Asie. Cela donnerait aussi accès à un nouveau marché, notamment en nouvelles technologies, tout en diffusant ses valeurs.

Cependant, des risques existent. La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a averti qu'un rapprochement avec l'UE pourrait nuire aux relations entre l’Arménie et la Russie et compromettre les mécanismes de sécurité. De plus, un prérequis pour l'adhésion à l'UE est de ne pas avoir de conflit avec ses voisins, or le conflit avec l'Azerbaïdjan reste important, malgré les efforts de normalisation avec la Turquie.

L’alignement avec les normes européennes exigerait des réformes en justice, contre la corruption et pour les droits de l'Homme, ce qui pourrait provoquer des tensions sociales. Malgré la Révolution de Velours de 2018, la corruption demeure endémique, et des institutions religieuses, ainsi qu'une partie de la population, s'opposent aux droits LGBTQI+ promus par l'UE. Nikol Pachinian doit aussi gérer l’opposition politique, notamment le Parti Républicain d'Arménie et le Parti de l'Arménie prospère, qui craignent que se rapprocher de l'UE ne compromette les relations avec la Russie. La dépendance de l'Arménie envers Moscou est telle qu'une simple candidature à l'UE pourrait inciter la Russie à soutenir l'Azerbaïdjan ou à couper ses liens avec Erevan, aggravant la situation économique et sociale. Enfin, même si l’adhésion était approuvée, le processus prendrait au moins 10 ans...

Ainsi, aujourd'hui, l'Arménie renforce ses liens avec l'Union européenne mais n'a pas encore officiellement demandé l'adhésion. Avec les tensions croissantes avec la Russie et l'évolution géopolitique régionale, Erevan envisage de se rapprocher davantage des institutions occidentales. Toutefois, ce processus rencontre des obstacles internes et externes, notamment la dépendance envers Moscou. Les élections en Géorgie du 26 octobre éclairciront les orientations occidentales dans le Caucase, influençant également l'initiative arménienne.