Événement important dans le calendrier du pays, la Francophonie a bousculé l'agenda de bon nombre d’Arméniens. Entre les mois d'avril et de mai, une centaine de prestations destinées à promouvoir la langue française et ses valeurs se sont succédées.
Par Allan Branger
La Saison de la Francophonie 2023 s’est achevée il y a deux quelques jours en Arménie. Cette année, plus d’une centaine d’événements se sont déroulés à Erevan et en régions. Cinéma, musique, théâtre, débat d’idées, art contemporain et concours de français, organisés par l’Ambassade de France et l’Institut français, l'Alliance française en Arménie et des institutions culturelles et éducatives arméniennes ont fait le bonheur du public et de toutes les personnes conviées. L'évènement est annuel : chaque année de fin mars à début mai, l’Arménie tout entière est tournée vers la langue française.
Partie prenante et co-organisateur de la "Saison de la francophonie", le ministère de l'Éducation et de la Culture arménien y attache une importance capitale. La ministre, Zhanna Andreasyan, affirme à ce titre que « l'Arménie participe à tous les événements et initiatives dans le cadre de l'Organisation internationale de la Francophonie avec beaucoup de responsabilité et de dynamisme ». Elle déclare également que la francophonie permet la célébration des valeurs de solidarité et de vivre ensemble.
« L’Arménie est une fabrique à jeunes francophones ! »
Alexandre Clouzot, chargé de mission culturelle à l’Institut français, déclare: « Vu le succès de de l’année dernière, nous avons doublé le nombre d'évènements en 2023. Cela n’a fait que confirmer l’intérêt qu’ont les Arméniens pour ces prestations, car nous avons réussi à drainer encore plus de monde. Nous sommes fiers de cette saison de la francophonie et n’avons pas peur de dire que francophilie et francophonie ont un bel avenir en Arménie ».
L’institut français a réalisé une vingtaine de prestations à Gyumri et à Erevan, avec des concerts au centre National de musique, des ateliers d’art dramatique ou encore des expositions artistiques. Tous ces rencontres ont réuni de nombreux visiteurs et remporté un franc succès. « Grace a la francophonie, c’est aussi les cultures francophones que l’on met en valeur: le féminisme, la diversité, l’humanisme... Ce sont des valeurs importantes à transmettre » affirme Alexandre Clouzot.
Troisième langue étrangère après le russe et l’anglais, le français continue de s’imposer dans le pays. On ne dénombre pas moins de 36 414 élèves qui l'apprennent. Les chiffres du ministère de l’Éducation indiquent aussi plus de 2 000 étudiants à l’Université française et environ 2 700 alumnis pour l’année 2022-2023. «L’Arménie est une "fabrique " à jeunes francophones ! Et eux aussi, plus tard, deviendront des ambassadeurs de la langue française » se réjouit le jeune chargé de mission.
Suzanne Gharamyan, directrice de l’Alliance française en Arménie, affirme que le français s’impose maintenant de plus en plus dans les écoles arméniennes, “ce qui n’existait pas auparavant”. Malgré une concurrence de plus en plus féroce, notamment depuis l’ouverture de "l'école de l’Amitié franco-chinoise" et la promotion du mandarin dans la capitale, « la langue française continue de plutôt bien s’en sortir », selon la directrice.
La Francophonie attire de plus en plus !
Suzanne Gharamyan s'est fait le défi d’assurer la place du français en Arménie. Et cela fait trente ans que cela dure ! Elle déclare « Malgré le fait que le français ait été peu à peu remplacé par l’anglais au fil du temps, l’Alliance française se bat et continuera de le faire pour lui assurer une place pérenne dans le système éducatif arménien. Notre rôle est de mettre en valeur cette langue et c’est ce que nous essayons de faire au mieux».
L’Institut français confie de même être régulièrement sollicité par les institutions arméniennes afin de réaliser des projets. Cette coopération a notamment pu s’observer lors des trois concerts réalisés au centre National de musique de la Chambre d’Arménie, au cours desquels des compositeurs français comme Jean-Philippe Rameau ont été interprétés. Cela a aussi été le cas avec l’Atelier d’Art dramatique de Gyumri, créé par Serge Avédikian, le comédien et réalisateur franco-arménien, qui a attiré bon nombre d'artistes en devenir.
Des artistes français ont aussi cherché à vivre par eux-mêmes l’expérience francophone arménienne. C’est le cas d’Alexis Paul et de son exposition "Mélodies brodées" réalisée en coopération avec l’ambassade de France au Centre des arts "Cafesjian". Oui, la francophonie, c’est aussi de l’art !
Jusqu’au 25 juin, l’artiste permettra à ses spectateurs d’"entendre" la broderie arménienne en mettant en scène des tapisseries traditionnelles à l'aide de son orgue de barbarie – instrument à vent souvent utilisé dans l’histoire et la culture française - qui lit des cartes musicales ressemblant à ces joyaux artistiques. « C’est une exposition qui fonctionne très bien, l’artiste lui-même est étonné par le nombre régulier de visiteurs. Cette expérimentation mélangeant nos deux cultures est une réussite ! » s’exclame le représentant de l’Institut Français.
Des cours de Français dans toute l’Arménie !
Symboliquement, deux mémorandums ont aussi été signés fin avril à l’ambassade de France afin de mettre en place plus de cours de français sur le territoire arménien. Le premier document stipule notamment une augmentation du nombre des cours d’enseignement renforcé et des classes bilingues dans les écoles arméniennes. Le second est destiné plus spécifiquement aux provinces arméniennes afin de leur permettre de s'ouvrir d'avantage à la francophonie en y détachant des des "Français natifs", assistants linguistiques des professeurs titulaires locaux. « L’objectif est d’en avoir à Goris, Gyumri et à Ijevan », affirme le conseiller de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France, Guillaume Narjollet. « Cette signature est importante pour les relations entre la France et l’Arménie. De plus, le français représente énormément dans ce pays qui est, ne l’oublions pas, un membre de plein droit de l’OIF ».
Le conseiller fait cependant état d’un problème apparu récemment depuis le vote d'une loi par le gouvernement arménien autorisant uniquement l’enseignement de l’arménien au primaire et au collège. L’impossibilité de conserver des sections bilingues au niveau du collège a considérablement affecté la maîtrise de la langue française dans les établissements scolaires. « Désormais, l’objectif de l’ambassade est d’obtenir une stabilisation du nombre d'apprenants en français. Ça ne sert à rien d’avoir 200 000 apprenants si à la fin, 10 000 de ces élèves n’arrivent pas à le parler correctement. On préfère viser la qualité plutôt que la quantité » affirme-t-il.
Selon l’ambassade, les directeurs et directrices d'établissements sont très motivés par l’installation de ces classes dans leur établissement, d’où la signature de ce mémorandum qui a pour objectif de concrétiser ces motivations. Guillaume Narjollet déclare : « le but de l’ambassade de France dans les prochaines années est de transformer la francophilie du pays de façon à ce qu’un réel environnement francophone puisse y naître ». Et pour ce faire, en plus des cours de français renforcés dispensés à Erevan, l’institution compte étendre ce projet aux provinces dès la rentrée prochaine. Une classe supplémentaire sera par exemple ajoutée au lycée numéro un de Gyumri.
Le français, qu’aux Français ?
La France n’est pas le seul pays à parler français, c’est aussi le cas de l'Arménie comme 182 autres pays dans le monde. Lukas Rosenkranz, l'ambassadeur de Suisse en Arménie et président de l’association des ambassadeurs francophones, affirme que « l'Organisation internationale de la Francophonie est une plateforme unique développant les relations culturelles, éducatives et économiques de l’Arménie par le biais d'une langue commune : le français ». à l'ouverture de cette saison, l’ambassadeur déclarait : « J'espère que ces événements permettront à la société arménienne de comprendre la richesse culturelle de la Francophonie ». En plus de la Suisse, des pays comme le Canada ou encore la Belgique participent aussi grandement au rayonnement de la langue française et de ses valeurs, notamment dans l’un des évènements qui attire le plus chaque année : la sixième Édition du cinéma francophone.
Au cinéma Moscou - la plus grande salle de la capitale arménienne – le succès du programme a encore une fois, dépassé les attentes. Avec plus de neuf films présentés, dont cinq films français encore jamais projetés en Arménie, ce festival a été une réussite. « Si nous continuons chaque année à l'organiser, c’est qu’il y a un réel intérêt » explique encore Alexandre Clouzot, tout en soulignant que les salles étaient pratiquement pleines à toutes les projections.
Alors que l’Arménie célèbre cette année le 11e anniversaire de son adhésion en tant que membre de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), on dénombre environ 0,3 % (10 000) d'Arméniens parlant le français dans le pays selon le rapport 2022 de "La langue française dans le monde". Au fil des années, les programmes de la Francophonie tentent de se délocaliser et de s’intéresser davantage aux provinces afin de permettre à la langue de Molière de s’implanter autre part que dans les grandes villes.