Le spectacle de suicide collectif auquel nous assistons de manière incrédule est tout simplement inouï, il fait honte et il est une offense à l’intelligence. Le risque de perte d’un État indépendant est réel, or tout continue comme si rien ne s’était passé. 5.000 morts, 10.000 blessés. Une génération sacrifiée. Une peur et un fatalisme difficiles à soigner. Un Premier ministre qui s’accroche au pouvoir avec pour seul argument la menace d’un retour des anciens présidents, en particulier Kotcharyan. Mais aucun mot sur les errements et erreurs grossières qui nous ont amené à ce point. Toujours la même difficulté à assumer.
Par Philippe Raffi Kalfayan, juriste, analyste politique, ancien secrétaire général de la FIDH
Je suis resté silencieux depuis ma dernière interview à l’Armenian Mirror Spectator, dans laquelle j’affirmais que chaque jour qui passerait sans changement de politique et d’équipe occasionnerait des dommages irréversibles à la question de l’Artsakh et à l’intégrité de l’Arménie (https://mirrorspectator.com/2020/12/03/need-for-diplomacy-greater-than-ever-in-post-war-armenia-karabakh/ ). Rien n’a bougé si ce n’est le grignotage des territoires arméniens par l’Azerbaïdjan. Les analystes, les « experts », les polémiques sans intérêt ne manquent pas dans les media mais les opinions sont parcellaires, incomplètes, partisanes, souvent tournées vers le passé, et renvoient les fautes tantôt sur les uns tantôt sur les autres. Elles ne visent pas à résoudre la problématique politique qui se présente. Les échanges publics entre Arméniens sont quant à eux atterrants : délations, calomnies, insultes, théorie des complots sur les réseaux sociaux.
Or la catastrophe annoncée est bien là. L’heure de vérité est arrivée.
La Nation arménienne saura-t-elle collectivement prendre les bonnes initiatives et tout mettre en œuvre pour éviter que les erreurs commises dans la gestion des crises auxquelles elle a fait face au début du 20e siècle ne se répètent. La perte d’un État souverain serait irréversible pour les Arméniens, car les citoyens savent qu’ils ont une porte de sortie : la diaspora, une réalité solide et pérenne.
L’émigration structurelle depuis le début des années 1990 s’accélère, et le refus d’envoyer ses fils se battre pour sa patrie est une attitude dominante dans les familles favorisées : les adolescents en âge d’être conscrits sont exfiltrés vers l’étranger. Parallèlement, les nouveaux migrants arméniens en diaspora, ayant une double nationalité, font tout pour éviter que leurs enfants fassent leur service national en Arménie. Personne ne peut porter un jugement, surtout pas des Arméniens natifs de diaspora, sur cette attitude. Mais cette réalité montre combien la société arménienne est peu confiante dans l’avenir du pays et somme toute indifférente à ce qui pourrait bien arriver. C’est cette fatalité qu’il faut renverser.
Le soutien à Pashinyan est une aberration politique et morale
Une partie de la population certes de moins en moins nombreuse soutient encore Pashinyan de manière aveugle. Cet état d’esprit explique probablement en partie l’irrationalité de la situation. Il n’y a aucune idée ou programme dans le débat politique, alors que c’est ce qui manque le plus aujourd’hui dans ce pays dépourvu de stratégie. Les ralliements et les soutiens politiques se font autour de leaders politiques pour ou contre d’autres leaders. Ceux de l’opposition n’ont d’ailleurs pas su convaincre. Celle-ci se présente de manière dispersée aux élections. Le nombre de partis politiques dans cet État de 2 500 000 habitants est aussi une aberration politique. Cela atomise le vote dans un pays déjà paralysé par la division créée au sein de sa population depuis 2018 (https://www.armenews.com/spip.php?page=article&id_article=27141 ).
Aucun dirigeant d’aucun pays démocratique n’aurait survécu politiquement et moralement à une telle défaite militaire au bilan humain désastreux. L’accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020 a bien eu pour conséquence un abandon de souveraineté. L’incursion des militaires azerbaidjanais sans que le gouvernement ne puisse réagir directement en est une triste illustration. Il convient de rappeler que cet accord trilatéral a été signé sans en référer ni au Parlement ni au peuple, alors que le Premier ministre avait fait une promesse insistante au « peuple » lors du fameux discours du 17 août 2018 sur la place de la République à Erevan : celle de ne jamais prendre une décision engageant l’avenir du pays sans les consulter.
La déclaration faite au lendemain de la signature de l’accord trilatéral : « qu’auriez-vous dit, comment auriez-vous réagi si je vous avais proposé de rendre une partie des territoires sans faire la guerre ? » aurait dû disqualifier son auteur. Je reste encore aujourd’hui sidéré d’observer le peu de réaction que ce propos a suscité alors que les corps des soldats reposaient encore sur le terrain des combats, le nombre de morts et de disparus était inconnu (et il l’est toujours à ce jour), et des centaines de familles vivaient dans l’angoisse de savoir si leurs enfants étaient vivants ou prisonniers. Maladresse ou pas, cette phrase terrible laissait penser que ces vies avaient été sacrifiées pour cette raison et qu’elles étaient déjà passées par pertes et profits pour des raisons de survie politique personnelle.
Le présent et l’avenir de l’Arménie : penser en homme d’État
Une série d’initiatives montre l’agilité et la dynamique intellectuelle des Arméniens à repenser le mode de fonctionnement de la nation arménienne (l’idée d’un « Network State »), à promouvoir une réflexion collective et des objectifs priorisés sur l’Arménie de demain (« The Future Armenian »). Mais aussi intéressantes que soient ces initiatives, elles ne seront utiles que si l’État armenien continue à exister. Le « Network State » est même un concept dérangeant car il laisserait penser qu’un État virtuel pourrait se substituer à un véritable État. Je doute qu’un tel concept existe avant longtemps dans la pratique des relations internationales. Il ne pourra prospérer sans le maintien en vie de la République d’Arménie. Enfin si un tel État virtuel existait, il serait sous l’influence des nouvelles super puissances politiques, les GAFA et consorts, plus puissants que les États et qui imposent maintenant leur propres règles, notamment en matière de liberté d’opinion et d’expression, mais hors contrôle car relevant d’un droit propre à l’entreprise.
Les dernières initiatives du Président Levon Ter-Petrossian m’ont incité à sortir de ma réserve car je considère qu’il est le seul à réfléchir et à se comporter comme un homme d’État responsable et à poser les bonnes questions en ce temps crucial pour la nation toute entière, quoi que l’on puisse penser de la gestion de sa propre présidence. Il a lui aussi commis des erreurs durant la première présidence, à l’instar de ceux qui lui ont succédé, mais il a su faire face à des défis et des circonstances tout aussi difficiles que ceux auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui.
Il est vain et sans intérêt de rechercher des fautes et erreurs individuelles. La faute est collective – et la diaspora a aussi une grande part de responsabilité – et elle dure depuis 30 ans. Le seul objectif qui doit prévaloir est de sortir de ce marécage indemne : sauver la République d’Arménie.
Pour anticiper sur les commentaires de tous ceux qui ne manqueront pas de s’émouvoir de cette appréciation sur Levon Ter-Petrossian, il convient de dire que je l’ai connu personnellement en 1989 à Paris. Je ne l’ai pas suivi à cette époque. Je l’ai même affronté sur le terrain des droits de l’homme de 1995 à 1998. Mais ses qualités d’homme d’État discret et efficace, capable d’avoir une réflexion stratégique dénuée de romantisme, sont précieuses. Je ne l’ai pas encore convaincu de la pertinence de certains dossiers pan-arméniens, mais nous sommes d’accord sur les priorités du moment et la manière de les résoudre. Il a en son temps dit et décrit de nombreuses réalités, parfois dérangeantes. Il soulevait déjà les bonnes questions (voir son recueil d’articles Armenia’s Future, Relations with Turkey, and the Karabagh Conflict, publié en 2017). C’est pourquoi, il me semble que Levon Ter-Petrossian est indispensable aujourd’hui pour fédérer les forces politiques d’opposition du pays afin de mettre fin au calvaire actuel et gérer une période et un processus de transition.
L’unité ne se décrète pas ; elle est le résultat d’un compromis
En politique, rien n’est jamais transparent, mais on ne peut pas suspecter Levon Ter-Petrossian de vouloir occuper le pouvoir ou avoir l’intention de sacrifier la souveraineté nationale, ce que certains journalistes outranciers osent écrire. Il a une vision réaliste et pragmatique. Ni le maintien de Nikol Pashinyan, ni le retour de Robert Kotcharyan au pouvoir ne sont acceptables pour sortir l’Arménie de son état actuel de division. L’élection de l’un ou de l’autre amèneraient le pays vers la guerre civile, ou à tout le moins à la perpétuation de la situation de paralysie politique et économique. Le pays désuni et affaibli sera une proie facile pour l’agresseur et le flux des émigrants fera le reste.
La confrontation intérieure a pu être évitée jusqu’à ce jour, ce dont tous les Arméniens devraient prendre acte et se féliciter. C’est une bonne nouvelle pour la démocratie arménienne. L’unité ne se décrète pas. On ne l’appelle pas en essayant de rallier tout le monde derrière soi comme le font la plupart des leaders de l’opposition ou de la majorité parlementaire actuelle.
L’unité ne peut se réaliser qu’après un échange d’idées et un compromis sur des points fondamentaux. La situation est opportune pour engager les vrais débats et créer une concorde nationale autour d’objectifs communs pleinement débattus. Les refus de Robert Kotcharyan et Serge Sarkissian de faire alliance avec Levon Ter-Petrossian sont décevants mais ils ne sont pas définitifs. Il n’est pas exclu qu’un accord se fasse au lendemain des élections du 20 juin, si celles-ci se tiennent. Il eut été plus judicieux de commencer à débattre de ces points aujourd’hui. Il sera plus difficile de le faire dans l’urgence et sous la pression du calendrier constitutionnel.
Les points d’achoppement politique
Les points à débattre sont fondamentaux et ne peuvent faire l’objet d’un marchandage par compartiment car une cohérence stratégique doit être préservée. Il est question de la vision de ce que devrait et pourrait être l’État arménien pour le siècle à venir.
La question est : comment imagine-t-on l’existence et le développement d’un État viable économiquement, diplomatiquement, et militairement, alors qu’il est entouré de presque 100 millions de Turcs et d’Azéris, qui pratiquent une politique de discrimination haineuse à l’encontre des Arméniens et qui ambitionnent de s’approprier une grande partie du territoire de l’Arménie, en plus de l’intégralité du Karabakh ? Les alliances stratégiques, les flux économiques et démographiques, la hiérarchisation des priorités, la relation arméno-turque et les affaires pan-arméniennes sous-tendent la réponse à cette question.
Levon Ter-Petrossian a déjà réagi en pointant comme obstacle les objectifs nationalistes du candidat Robert Kotcharyan et de son allié FRA (Tachnak), mais aussi ceux des Sasna Tsrer. En quoi la question arménienne, et notamment celle de la reconnaissance internationale du génocide (une constante de la diplomatie arménienne de Kotcharyan à Pashinyan), et les revendications territoriales de ces partis sont essentielles au règlement des différends et des enjeux sécuritaires immédiats ? La priorité pan-arménienne du moment est de sauver l’existence même de l’Arménie. Le romantisme des prétentions territoriales sur la Turquie laisse pantois. Il n’est pas question de renoncer à ces utopies. Une Nation a besoin de celles-ci pour aller de l’avant. Mais il convient de ne pas en faire des objectifs prioritaires et immédiats. La victoire diplomatique et morale des Arméniens reste l’existence physique d’un État arménien souverain car il représente la meilleure preuve de l’échec du dessein turc, qui était et qui reste celui de l’annihilation des Arméniens dans cette région.
En clair, Levon Ter-Petrossian et les alliances Kotcharyan/FRA ou autres doivent débattre intelligemment de ces questions pour parvenir à un accord d’intérêt national.
Il est aussi question de régler la situation d’urgence. La question centrale est : comment faire cesser le comportement agressif de l’Azerbaïdjan pour éviter une nouvelle guerre à laquelle l’Arménie n’est pas plus prête qu’elle ne l’était en septembre 2020 ? La meilleure preuve en est que ni Nikol Pashinyan, ni aucun autre leader politique ne tiennent de discours musclé et va-t’en guerre depuis l’incursion sur le territoire de l’Arménie.
Le changement de négociateur est un impératif
J’avais insisté en décembre dernier qu’il est impensable que Nikol Pashinyan puisse conduire une quelconque négociation avec l’Azerbaïdjan, la Russie et la Turquie. Il ne peut plus être le négociateur. C’est une banalité de le dire et de le comprendre. Il est le jouet de ces États et de leurs chefs. Sur ce point aussi, il me semble que Levon Ter-Petrossian, épaulé des anciens présidents de l’Arménie et du Karabakh, soit le plus à même de mener ces négociations. C’est la mission qu’il s’assigne dans la justification de son entreprise de rapprochement avec les 2e et 3e présidents.
Alors que le risque de reprise de la guerre existe à tout moment depuis le 9 novembre, et que les troupes russes de maintien de la paix peuvent se retirer à tout moment sur la demande de l’une des parties (stipulation dans l’accord) la direction de l’armée a été accusée à tort d’avoir tenté un coup d’État, alors que d’autres institutions nationales avant elle ont exprimé leur inquiétude sur l’avenir du pays en termes sécuritaires et demandé la démission du premier ministre. Comme l’a rappelé le Président Ter-Petrossian, les hauts gradés qui ont signé cette déclaration exprimaient une inquiétude légitime et il a salué leur retenue en n’outrepassant pas les limites constitutionnelles.
Le ministère arménien des Affaires étrangères est affaibli, alors que c’est précisément ce dont nous avons le plus besoin depuis le 9 novembre. Le ministre se contente de tenir salon et d’émettre des communiqués.
Plus fondamentalement, la diplomatie arménienne continue les mêmes erreurs que celles qui ont mené à la guerre : s’attacher aux Principes du Groupe de Minsk alors que la violation du premier de ces Principes, à savoir l’interdiction du recours à la force, a fait voler en éclat les termes négociés du processus ; lequel était déjà une impasse juridico-diplomatique (https://mirrorspectator.com/2019/03/07/the-minsk-process-behind-the-words-and-principles/ ).
Le format de la Troïka pourrait éventuellement survivre (c’est en tout cas ce que semble souhaiter la Russie, pour qui le Groupe de Minsk est un paravent utile de légitimation de son action au Karabakh) mais il est aberrant de continuer à défendre le contenu des accords passés.
De plus, l’accord de cessez-le feu trilatéral du 9 novembre est lui-même violé depuis cette date, et le gouvernement en place n’agit pas en conséquence pour le faire respecter. Toute négociation sur les suites de l’accord de cessez-le-feu n’aurait jamais dû commencer dès lors que les prisonniers de guerre n’étaient pas tous retournés dans leurs foyers. Pendant 24 heures la semaine passée, le gouvernement a même nié l’avancée des troupes azéries sur le territoire de l’Arménie, avant de se rétracter puis de se présenter en victime auprès de la « communauté internationale ».
Quelles alliances privilégier ?
Aux éditorialistes qui font appel à elle, il faut rappeler que la « communauté internationale » est un concept vide. Elle n’existe pas. Les experts des Nations-Unies étudient actuellement le sujet. Le Conseil de sécurité est le seul organe important des Nations-Unies et son fonctionnement est dépendant des rapports de force géopolitiques entre ses 5 membres permanents (USA, Chine, Russie, France, Grande Bretagne).
Les pays auxquels nous faisons principalement appel devant cette incursion en territoire arménien, les trois membres de la Troïka de Minsk (France, États-Unis, Russie), sont-ils en mesure de nous apporter l’assurance d’une protection militaire? Comment peut-on faire appel à trois pays qui ont intentionnellement laissé l’Azerbaïdjan reprendre par la force les territoires occupés par les Arméniens au Karabakh en totale violation de la Charte des Nations Unies et des principes négociés au sein du Groupe de Minsk ?
Regardons de plus près cette incursion au Syunik et au Geghargunik. Cette incursion pourrait bel et bien être un scénario azerbaïdjanais bien huilé avec d’éventuels consentements de pays tiers (l’avenir nous le dira). Il viserait à faire pression sur les négociations en cours (corridors), tester la réaction internationale avant une action d’envergure, et dans l’hypothèse d’un retrait, option qui se profile, servir la réélection de Nikol Pashinyan, qui apparaitrait comme le vainqueur de ce bras de fer diplomatique. Plusieurs éléments troublants viennent étayer cette hypothèse. Tout d’abord aucun coup de feu n’a été tiré. Deuxièmement les troupes azerbaidjanaises ont avancé de trois kilomètres ou plus sans rencontrer de résistance russe. Troisièmement, aucun ordre de mobilisation générale n’a été décrété en Arménie. Ce scénario permettrait accessoirement d’éviter le retour au pouvoir des « Karabakhtsis » et des forces nationalistes.
Cette « aide » politique non sollicitée est toutefois un poison car l’Arménie sortirait encore plus affaiblie de ce scénario et Pashinyan serait considéré comme redevable à Alyiev ou qualifié de traître.
Les réactions américaine et russe sont modérées. Les déclarations du Président Macron semblent dépasser les capacités de la France à obtenir ce qui est annoncé, car il est inenvisageable que le Conseil de sécurité des Nations Unies prenne une décision donnant le feu vert à une quelconque aide militaire de la France ou d’un autre pays dans de telles circonstances. D’autant plus que le Conseil de sécurité serait bien embarrassé d’adopter une telle résolution alors qu’il est bloqué par le véto des États-Unis pour condamner l’agression criminelle autrement plus grave et illicite d’Israël envers les civils Palestiniens.
L’Azerbaïdjan, profitant de la conjoncture internationale et de l’impuissance avérée des Nations Unies, tire avantage de sa supériorité militaire et psychologique et pousse ses pions. Tout peut donc être envisagé dans ce scénario car l’Occident n’interviendra pas militairement si cela en reste là. Au mieux, si la situation perdure, l’Arménie peut espérer une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies demandant le retrait des troupes azéries du sol arménien. Sur le terrain, cela ne changerait rien. Ces résolutions sont certes importantes sur le plan diplomatique et juridique, mais tout observateur averti sait combien le droit international et les résolutions du Conseil de sécurité sont peu respectés (Israël étant le premier pourfendeur). Le traité multilatéral de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC) sera-t-il utile ? Il est fort douteux que le volet militaire de ce Traité soit mis en œuvre dans le conflit opposant l’Arménie à l’Azerbaïdjan en raison des relations que chacun des pays membres souhaite maintenir avec ce dernier. Quant au traité militaire bilatéral Russie-Arménie, la Russie, qui entretient son alliance tactique avec la Turquie et l’Azerbaïdjan, va privilégier la diplomatie jusqu’au bout, surtout si aucun coup de feu n’est tiré. La partie faible, l’Arménie, sera celle qui devrait à nouveau faire des concessions.
C’est pourquoi le remplacement des diplomates et des négociateurs sont des impératifs. Une nouvelle équipe telle que proposée par Levon Ter Petrossian est la meilleure solution à ce jour. Par ailleurs, la politique consistant à se présenter en permanence en victime doit cesser, et l’Arménie doit reprendre son destin en mains sans quémander ou attendre des aides miracles des États tiers.
Les positions extrêmes et les alliances oubliées
La question des alliances est un sujet délicat à débattre. Le nouveau mouvement politique lancé par les Sasna Tsrer associés avec d’autres groupuscules essaient de promouvoir activement des liens avec les États-Unis en profitant du sentiment antirusse qui se développe auprès d’une population qui doute des intentions russes dans la région. Je pense qu’ils se trompent profondément sur les intentions des États-Unis et de l’Europe de vouloir supplanter la Russie en Arménie.
L’Arménie n’est qu’un jouet dans la nouvelle guerre froide entre la Russie et l’Occident.
Par ailleurs, l’Arménie a-t-elle vraiment les moyens de remettre en cause l’alliance stratégique avec la Russie qui dépasse de beaucoup la seule coopération militaire ? En revanche, il est temps de tenir un discours plus ferme envers la Russie. Cette dernière s’est souvent trompée au cours de l’Histoire dans ses alliances. Kotcharyan lui évoque à l’autre extrême une plus grande intégration politique de l’Arménie avec la Fédération de Russie. C’est une idée déplaisante car contraire à l’objectif de souveraineté, et il devra clarifier cette idée. La question doit être débattue. Dans toutes ces alliances invoquées par le gouvernement arménien, il n’est à aucun moment fait référence à l’Iran et la Chine. Elles sont pourtant deux puissances directement intéressées par le maintien de l’intégrité territoriale de l’Arménie.
Nul ne détient la vérité. Aucune option ne doit être négligée. Aucun leader ne peut décider seul à ce moment de l’Histoire du destin de l’Arménie. Le plus important est donc d’agir maintenant, de mobiliser et fédérer les intelligences et les ressources autour de quelques objectifs, de se doter d’une vraie stratégie diplomatique et sécuritaire à court et à long terme, de mettre de côté les conflits interpersonnels. Les négociations et la transition doivent se préparer aujourd’hui. La réflexion et le débat stratégiques doivent s’engager dès maintenant et ne pas attendre l’issue des élections.