Le Premier ministre est intervenu hier soir, 1er mai, à la télévision publique dans un contexte de large contestation - et de nombreuses arrestations - reprochant au gouvernement des concessions unilatérales et une dangereuse approche partielle de la délimitation des frontières nationales avec l'Azerbaïdjan.
Par Olivier Merlet
"Légitime" et "légitimité"… Ces deux mots sont revenus à 38 reprises dans la bouche du Premier ministre lors de son interview télévisée hier soir. À tel point que l'on se demandait réellement s'il parlait bien des frontières, de l'intérêt et de la sécurité de l'Arménie ou de son gouvernement.
Interrogé par un Petros Gazharyan bien plus acéré qu'à l'habitude, Nikol Pashinyan a une fois de plus tenté de justifier sa politique et ses changements de cap, mais il cherchait surtout les arguments pour éteindre le feu qui semble couver avant qu'il ne se propage réellement et pour de bon. Il n'est pas certain que sa légitimité y suffise.
L'intégralité de l'entretien est disponible sous ce lien, nous vous en soumettons les principaux extraits.
Petros Ghazaryan - L'opposition affirme que l'Arménie ne dispose pas des protocoles approuvés par les députés du Conseil des ministres des Républiques soviétiques en 1988. Nous parlons de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan. Le député Tigran Abrahamyan, si je ne me trompe pas, a interrogé le comité de démarcation, le comité du cadastre, le ministère de la Défense, et ils ont répondu qu'un tel document n'existait pas, donc la question se pose : quelle est la base de cette démarcation ?
Le Premier ministre, Nikol Pashinyan : […] Si je ne me trompe, cette demande remonte à 2022. Lorsque ces processus de démarcation sont devenus actifs, le ministère de la Défense, pour exercer ses fonctions, a demandé ces documents au Comité du Cadastre qui les lui a fournis avec, je suppose, un degré de confidentialité élevé. Lorsqu'à ce moment-là ils ont fait leur deuxième demande au Comité du Cadastre, celui-ci a simplement dit ne pas avoir ces documents entre nos mains.
Bien sûr, tous les documents sont là, à la disposition du gouvernement de la RA qui travaillent avec eux. Ce sont des documents d'une certaine ampleur et il existe certaines manières de les traiter, et je suppose que des malentendus peuvent dépendre de ces modalités.
[…]Le problème du gouvernement de la République d'Arménie dans le processus de démarcation était d'introduire une formule qui garantirait non seulement la restauration de la frontière d'une partie distincte sur une base légitime, mais également le long de toute la frontière de la république, ou plutôt Arménie-Azerbaïdjan.
[…] Maintenant, nous devons adopter un principe selon lequel nous effectuons la démarcation, nous prenons les dossiers de ces différentes poches qui ont un lien légitime les uns avec les autres et avec ce lien légitime, nous ne suivons pas la logique du problème d'une section séparée, mais celle avec laquelle nous pouvons exprimer la reproduction légitime de toute la longueur de notre frontière.
C'est exactement ce que prétend l'opposition. Ils disent : vous faites une démarcation partielle, qui n'existe pas dans le monde, pourquoi ne se fait-elle pas d'un seul coup pour qu'on comprenne que tout s'inscrit dans cette logique ?
[…] le processus de reproduction ou de démarcation lui-même est un processus à long terme,
[…] L'essentiel est que la Déclaration d'Alma-Ata est acceptée par les deux parties comme principe de base du processus de délimitation, et la délimitation, selon ce principe, doit commencer quelque part, doit se poursuivre et s'achever dans son cours normal. Dans le document, ce processus est appelé le processus initial de démarcation, et ce processus initial est également important en raison des circonstances connues, afin que nous puissions utiliser l'expérience accumulée pendant cette période sur le terrain.
[…] Dans le cas de l'Azerbaïdjan, dans les conditions que nous connaissons tous, le processus de démarcation doit être mené le plus rapidement possible. Sans délimitation, il est compréhensible qu’une occasion de conflit puisse survenir, et c’est pourquoi nous commençons par les endroits présentant le plus grand potentiel de conflit.
Monsieur le Premier ministre, vous avez dit qu'il fallait commencer quelque part, mais l'opposition dit que ce n'est pas n'importe où, que c'est là où il était demandé de céder. L'ancien ministre des Affaires étrangères [Vardan Oskanyan, NDLR] a déclaré que cela se faisait sous pression contre l'Arménie et que cela ne pouvait donc pas être un processus légitime.
[…] Même avant ce processus, il y avait le fait et l'argument des 4 villages comme un argument et une carte à jouer pour l'Azerbaïdjan. Beaucoup de gens disent que nous remettons quatre villages à l'Azerbaïdjan. Je dis que nous prenons 4 villages d'Azerbaïdjan comme argument pour légitimer la politique agressive contre la République d'Arménie au niveau international, avec ou sans guillemets.
Comprenez bien cette nuance. Laissez-moi vous dire que cette histoire ne peut être considérée isolément des événements et de l'expérience de 2020, car moi-même, en tant que personne et fonctionnaire responsable de tout cela, je n'ai pas oublié les critiques qui ont sonné après la guerre de 44 jours.
[…] Y avait-il un moyen d’empêcher la guerre ? J'ai dit oui, il y avait un moyen d'empêcher la guerre, pour cela nous devions accepter, du côté arménien, de restituer les 7 régions de l'Azerbaïdjan, accepter la dissolution du statut actuel du Haut-Karabakh, accepter que le Haut-Karabakh soit un unité avec une population arméno-azerbaïdjanaise, conviennent que le Haut-Karabakh est sous administration arméno-azerbaïdjanaise, c'est-à-dire que non seulement les Arméniens, mais aussi les Azerbaïdjanais sont au pouvoir, et ils gouvernent conjointement, au niveau parlementaire,
[…] Une qu'une pierre angulaire très importante de l'indépendance, de la souveraineté, de la sécurité et du développement futur de l'Arménie, ainsi que de l'existence à long terme de notre État.
Mais voyez, Monsieur le Premier ministre, dans le discours politique de la partie azerbaïdjanaise, la déclaration d'Alma-Ata n'est généralement pas mise en avant comme base du processus de démarcation de la frontière. N'est-ce pas un écart par rapport aux accords initiaux et ne permet-il pas de présager qu'après avoir résolu la question des quatre villages, l'Azerbaïdjan pourra simplement refuser l'obligation de poursuivre le processus sur le même principe ?
Ne pas résoudre la question des 4 villages donnera à l'Azerbaïdjan encore plus de possibilités d'éviter cette résolution et ces accords
[…] C'est la frontière légalement justifiée et légitime de l'Union soviétique, Artsvashen est ici, au moment de l'effondrement de l'Union soviétique, en République d'Arménie. En d’autres termes, lorsque nous parlons de déclaration d’Almaty, nous pensons exactement à cela.
[…] tout récemment, le service de presse du Président de l'Azerbaïdjan a diffusé un message selon lequel, lors d'une conversation téléphonique avec le secrétaire d'État Blinken, il avait exprimé la loyauté de son pays envers les accords de Prague d'octobre 2022 et la Déclaration d'Alma-Ata. Et surtout, le 19 avril 2024, les commissions de démarcation ont adopté un document commun, dans lequel elles ont noté que la déclaration d'Alma-Ata est un principe fondamental pour le processus de démarcation entre les deux pays et dans les règlements du travail commun des commissions de démarcation.
Quelle est la probabilité qu'après la démarcation du secteur des 4 villages, l'Azerbaïdjan ne présente pas de nouvelles revendications unilatérales sur d'autres secteurs ? En cas de nouvelles pressions, l'Arménie ne fera-t-elle pas des concessions sur le "corridor du Zangezur" et le retour des Azerbaïdjanais ? D’autres pressions sont-elles possibles maintenant ?
[…] La garantie est la légitimité de nos positions. Comprenez-vous, c'est une circonstance très importante, la légitimité de nos positions sur la base des accords que nous avons conclus, car nos positions sont légitimes ici.
Notre politique et notre stratégie consistent à placer toutes nos politiques, discours, paroles et actions sur nos bases et lignes légitimes.
[…] Quel facteur devrait permettre de créer de lui-même un nouveau système de sécurité pour l'Arménie dans un environnement en effondrement de la sécurité mondiale ? En fait, nous sommes arrivés à la conclusion que ce facteur est la légitimité.
Très bien, mais existe-t-il un accord sur les zones à délimiter après la région de Tavush, garanti par la légitimité, que l'Azerbaïdjan nous restituera les zones de Vardenis et Djermouk , d'Ishkhanasar et de Nerkin Hand, qui sont légitimement les nôtres ?
[…] La question du transfert de la protection des frontières dans ces zones délimitées aux troupes des gardes-frontières sera résolue.
[…] il est très important que le règlement soit un manuel de travaux pratiques, où s'exprimera également l'expérience acquise au cours de cette période, après quoi, ce règlement passera par les procédures d'approbation nationales.
[…] A propos de cette section, je voudrais compléter ce que j'ai dit précédemment. Il y a des colonies échappant au contrôle du pays auquel elles appartiennent et des zones où il n'y a pas de colonies qui échappent aussi au contrôle du pays titulaire. En d’autres termes, le titulaire du titre est considéré comme se trouvant dans la zone frontalière reconnue comme légitime, mais non sous son propre contrôle.
Nous avons soulevé la question des zones d'importance vitale de nos 31 villages, et en plus, bien sûr, la question de l'Artsvashen, qui sera naturellement en train d'être démarcation.
[…] lorsque nous fixons la déclaration d'Alma-Ata comme principe de base du processus de démarcation, nous fixons avant tout notre droit légitime et notre accord légitime de procéder à la démarcation dans cette zone.
Monsieur le Premier ministre, mais dans la même déclaration il est indiqué qu'il est possible que le principe d'Alma-Ata soit reconnu ou annulé en cas d'adoption d'un autre principe dans l'accord de paix.
Il est écrit que si à l'avenir un principe différent était inscrit dans le traité de paix entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, les règlements de travail des commissions y seraient adaptés.
[…] le traité de paix a une signification juridique plus élevée.
[…] S'il y a des contradictions entre tel document et tel autre, ce document [ le travail des commissions, NDLR] doit être mis en correspondance avec ce document [l'accord de paix, NDLR].
Par exemple, l'opposition affirme que la feuille de route préparée par le gouvernement laisse entendre qu'en plus du retrait de la position arménienne du territoire délimité dans la région de Kirants, le retrait d'une position azerbaïdjanaise de notre territoire souverain devrait également avoir lieu.
[…] La question de la protection des frontières sera pleinement mise en œuvre par les troupes des gardes-frontières du Service de sécurité nationale
[…] nous n’aurons pas de positions du ministère de la Défense à la frontière dans cette zone. […], car il n'assurera plus le service sur cette ligne, les troupes des gardes-frontières de la République d'Arménie assureront le service.
Petros Ghazaryan - Est-ce que tout cela a un contexte géopolitique ?
Oui, il y a un contexte géopolitique et j'ai déjà évoqué ce contexte géopolitique.
[…] des structures et des pays ayant des obligations de sécurité envers nous n’ont pas rempli leurs obligations de sécurité
[…] Cela devrait conduire à la conclusion que nous devons compter sur nous-mêmes pour assurer notre sécurité.
[…] nous devons assurer notre sécurité sur la base de la légitimité, sur la base d'attentes et d'exigences légitimes. Mais il y a la deuxième chose la plus importante, quelle est la perception de notre changement géopolitique, la perception change et beaucoup nous critiquent. En d’autres termes, pour critiquer, ils disent que nous changeons de point de vue ou que nous changeons d’approche. Oui, nous changeons de point de vue et d’approche parce que, d’une part, le monde change et, d’autre part, nos idées changent en fonction des faits concrétisés.
[…] Oui, nous changeons, car dans de nombreux cas, nos appréciations changent également, la réalité objective change.
[…] Il est dans l'intérêt de notre pays d'assurer la sécurité de notre pays que nous adoptions finalement une formule pour vivre dans notre région sans aide étrangère et sans patronage étranger, pour trouver cette formule.
Monsieur le Premier ministre, egardez comme ce contexte s'élargit maintenant. Cette concession ne mènera pas à la paix, à la fixation des frontières et à la suprématie du droit international, mais elle conduira au fait que l'appétit des pays de notre région s'ouvrira davantage, et de toute façon, ils feront ce qu’ils font, quel que soit notre comportement. Nous donnons, ils en voudront plus. Ce sont des États ennemis et ils veulent nous éliminer. Et cette logique de l’avant-poste est légitime, car s’ils veulent vous éliminer une fois, comme vous l’avez donné maintenant, ils en voudront davantage. Dans ce cas, dépasser la logique de l’avant-poste s’apparente à une trahison, car il vaut mieux être un peu avant-poste, mais être, que ne pas être un avant-poste et ne pas être.
[…] Vous vous demandez : comment pouvons-nous contrôler l’envie de nous éliminer ? Avec un facteur très important : la légitimité. Nous avons lutté pendant plus de 20 ans en Arménie sur l’importance de la légitimité. Maintenant, Dieu merci, nous avons résolu ce problème. Mais nous devons également considérer la légitimité comme la base de nos relations extérieures. Quelle est la légitimité ? La légitimité, c'est ça, c'est ça.
Petros Ghazaryan - Cette légitimité n’offre aucune garantie.
La légitimité elle-même est une garantie.
Petros Ghazaryan - Quel processus est attendu dans les prochains jours à Kirants ?
[…] J'ai eu au moins 4 réunions avec les représentants de Kirants. Nous avons, si je ne me trompe, 11 points délimités dans la section Kirants. Les habitants de Kirants ne contestent pas non plus cette frontière. Dans les prochains jours, nous commencerons la démarcation de la partie qui n'est pas contestée et nous chercherons des solutions pour les 3 autres points.