Vendredi 22 mars, la Nuit de la Francophonie a été célébrée dans les locaux de l’Université Française en Arménie (UFAR). Entre fête étudiante et opération diplomatique, cette soirée a été l’occasion de mettre en avant l’enthousiasme et le talent des étudiants francophones d’Arménie.
Par Paul Lombaert et Victor Demare
L’UFAR en habits de fête
Vendredi 22 mars, il est 18h30 et les locaux de l’UFAR semblent prêts pour le bal. À cette heure où l’on s’attend plutôt à les voir s'empresser de partir en week-end, les élèves sont toujours là, par dizaines, tout heureux de se réapproprier ces couloirs où ils ont l’habitude d’étudier. Même le sempiternel poste de sécurité, premier à entrer dans la danse, a été agrémenté d’un stand de photomaton où certains viennent immortaliser leur tenue de soirée. C’est la Nuit de la Francophonie qui commence et on croirait presque à un carnaval ou à une cérémonie de remise des diplômes.
La Rectrice, Salwa Nacouzi, apparaît dans la foule, suivie d’un petit groupe, fiches de notation à la main. « Cette année je ne voulais pas que l’événement se concentre sur des discussions et des débats », confie-t-elle, préférant mettre à l’honneur les talents extra-universitaires des élèves. Ce sont donc des épreuves de peinture et de cuisine qui s’apprêtent à être jugées.
Dans une grande salle de classe, des élèves de l’Académie des Beaux-arts et de l’UFAR attendent anxieux devant leur tableau à peine sec. Pour cette édition, les participants doivent traduire sur la toile, selon tirage au sort et en seulement trois heures, les vertus du bonheur, de courage, de beauté ou de paix. Loin de la lenteur méditative prêtée aux maîtres classiques, les jeunes artistes travaillent vite et travaillent bien. Satisfaits, les stylos à bille des jurys sont tout aussi rapides à les départager. Entre les lunes mariées au soleil, les portraits impressionnistes de soldat en armes et les visions de béatitude amoureuse, une liste de notes allant de zéro à dix est dressée avant que les jurés se retirent pour décider de la composition du podium.
Vient ensuite le moment de troquer le stylo contre la fourchette. Signe du caractère exceptionnel de l’événement, le Premier conseiller de l’Ambassade de France en Arménie participe à l’examen de ces œuvres sucrées que les candidats ont choisis de préparer "à la française". Tartelettes, gâteaux au chocolat, mousses, les élèves spectateurs envient les membres du jury avec gourmandise pendant que ceux-ci "notent" les différentes recettes. L’un d’eux, inscrit en licence de droit, remarque même avec une certaine malice que « c’est le buffet du traiteur qui a été livré en avance ». Heureusement ce buffet-là est moins bien gardé, et aussitôt que les jurés quittent la salle, tous peuvent se ruer sur les délicieuses pâtisseries pour se faire leur propre avis.
Concert dans l’amphithéâtre
Vers 19h30, les membres du jury quittent le bureau de la Rectrice pour gagner l’amphithéâtre. Ce dernier est plein à ras-bord depuis une demi-heure, et se remplit encore. On se partage les chaises, s’agglutine dans les travées, se serre contre les murs. Dans les parties supérieures de la salle, il fait vite une chaleur tropicale.
Alors qu’au premier rang les jurés prennent place, la chorale du lycée français Anatole France est déjà prête à s’élancer. Sous la direction de la professeure de musique de l’établissement, celle-ci entonne le répertoire attendu de la variété française du siècle dernier : Joe Dassin, Edith Piaf, et bien sûr Charles Aznavour. Le chœur est composé de dix chanteuses et un chanteur qui recevront chacun, au terme de leur prestation, cadeaux et prix remis par le Premier conseiller de Ambassade de France.
Immédiatement après la chorale, la Rectrice adresse un mot de bienvenue, puis sont appelés sur scène trois étudiants de l’UFAR - une violoniste, une guitare d’accompagnement et une guitare-voix – qui interprètent La Seine, titre de Vanessa Paradis et Matthieu Chedid. Cette prestation ouvre la séquence au cours de laquelle se succèdent sur scène des étudiants de l’Université et des lycéens d’Anatole France, tantôt seuls, tantôt en groupes, déclinant une version actualisée et revue, depuis Erevan, du catalogue des tubes de la chanson française.
Le centre de gravité du catalogue penche plutôt du côté des années 80. Cependant, à se fier au volume des applaudissements et de l’agitation joyeuse dans les gradins, les deux interprètes les plus remarquées de la soirée sont aussi celles qui l’ont le plus élargi, vers le passé et vers le présent. Une chanteuse lyrique, étudiante à l’Université, se lance d’abord dans la célèbre aria "L’amour est un oiseau rebelle", extraite de l’opéra "Carmen" composé par Georges Bizet. Littéralement ensevelie sous les acclamations, on croit alors à un triomphe de l’opéra sur la variété française. De courte durée. Celle-ci se venge bientôt, par la voix d’une autre étudiante dont le charisme évident occupe toute la scène et gagne le public. Se déplaçant comme si elle avait vingt ans de métier, la nouvelle venue chante "Dernière danse", succès planétaire en 2013, de la chanteuse franco-algérienne Indila. Le XXIème siècle égalise. Le concert se terminera sur ce match nul.
Entre-temps, de bon enfant, l’atmosphère est devenue festive : on chante ensemble, on danse, les groupes d’amis se filment et se prennent en photo. Il y a beaucoup de mouvements, les étudiants allant et venant souvent pour gagner le photomaton installé devant la porte de l’amphithéâtre. Des perruques sont mises à disposition. En aparté, la Rectrice déclare avoir posé coiffée de la rose.
À la fin du concert, l’animatrice de la soirée annonce les résultats des concours de peinture et de pâtisserie. Du côté des plasticiens, le lauréat est un étudiant de l’Académie des Beaux-Arts d’Erevan. Il a brossé une remarquable allégorie de la paix : un accordéoniste céleste berçant, un soir de pleine lune, un village arménien. Le premier prix est remis des mains de l’Ambassadeur de Belgique, Eric de Muynck. La Rectrice, qui avoue avoir eu un "coup de cœur" pour le tableau, propose au lauréat de le lui acheter. Il refuse et le lui offre. Jalousie parmi les autres amateurs : l’occasion était belle de commencer une collection ! Le rendez-vous est toutefois pris pour une exposition en avril, dans le centre d’Erevan, où l’artiste promet que, cette fois, il acceptera de vendre.
Côté sucré, la vainqueur est une étudiante de l’UFAR, cordon bleu amateure qui s’est illustrée par un assortiment de petits fours, de tartelettes et de verrines qui avaient enchanté les jurés, et leur avaient sérieusement ouvert l’appétit.
Soudain, les lumières s’éteignent. Tous les chanteurs reviennent sur scène et, devant des panoramas de la capitale arménienne projetés sur grand écran, ils reprennent l’hymne à Erevan du chanteur arménien Forsh, "Yerevan menq enq" (" Nous sommes Erevan"), déclaration d’amour à la ville. Dans le public, bien sûr, on récite les paroles sans aucune hésitation. La nuit de la francophonie se termine par ce grand chant collectif en arménien, repris par les étudiants de l’Université et du Lycée français, qui appellent à tracer "aujourd’hui un nouveau chemin » pour Erevan et les Erevantsis.