Fashion Week de Erevan : fenêtre sur le savoir faire arménien

Arts et culture
18.11.2024

Pour sa deuxième édition, la “Semaine de la mode officielle ” a eu lieu la semaine dernière à Erevan. Organisé par la chambre de la mode et du design (FDC) d'Arménie, l'évènement valorise le potentiel des créateurs arméniens, et vise à leur donner une visibilité internationale, et une audience variée, de professionnels de l’industrie aux influenceurs en passant par des étudiants spécialisés.

 

Par Ninon Brenans, photos Paul Loussot

C’est au centre des expositions Meridian que plus de 20 créateurs ont mis en avant leur travail ; certains déjà bien connus comme la maison de couture Harmony, sous la direction du directeur artistique Mika Danielyan, et d’autres plus florissants, à l’image de Sona Hovsepyan et Yeva Hovhannisyan, gagnantes du prix “Fashion Scout Armenia”, qui fait découvrir et soutient des jeunes talents dans leur carrière internationale.

 

Nous voulons ouvrir les portes à des expériences précieuses, à une visibilité internationale et à une croissance professionnelle pour les designers arméniens en devenir.” - Martyn Roberts, fondateur du prix Fashion Scout

 

Cette année, regroupées sous le thème de la “Démocratie et de la Liberté d’expression”, les 8 finalistes retenues sur 60, ont ouvert le bal de la Fashion Week dans un endroit très particulier à l’âme arménienne : le Mémorial des Victimes de la Répression soviétique, à Cascade. Avec le soutien de la municipalité, le choix de l’endroit se voulait honorer la mémoire de tous ceux touchés par la répression, en transformant le lieu en espace d’espoir, de créativité, et de libre expression. Si les critères d’attribution de la récompense sont évidemment traditionnels : créativité, technique et qualité, l’éthique et la durabilité des matériaux et des processus de fabrication sont également pris en compte.

Il est vrai que dans ce milieu, souvent lié à la surconsommation textile, et encore plus dans le contexte des enjeux écologiques auxquels fait face l’Arménie, il est crucial de rappeler la nécessaire prise en compte de la protection de l’environnement. A cet égard, des intervenantes comme Louise Clement, Ruben Sarykhanyan, Elen Manukyan ou Jennifer Droguett ont tenu des conférences sur les thèmes de “L'état de la mode en Europe en 2024 et le sourcing textile” et “Fashion talks : culture et durabilité”. Au sein des collections présentées, il est également souvent mis en avant la production 100% arménienne des pièces, du design à l’assemblage, en passant par les matières premières. C’est le cas de Mery Sukiasyan, et de sa marque Shabeeg, dont les pièces sont faites majoritairement de coton arménien.

 

Mon travail est un lien entre la terre arménienne et la diaspora à l’étranger. Nous avons créé cette collection à l’occasion du centième anniversaire de Paradjanov ; et pour symboliser l’amitié entre la France et l’Arménie, nous avons utilisé le lien qui unissait le cinéaste à Mona Lisa, qui était une de ses muses”. Mery Sukiasyan

 

Déjà présente à la fashion week de Paris et de Milan cette année, Mery Sukiasyan entend mettre en  avant le patrimoine arménien ; omniprésence des grenades - dans la couleur et la représentation,  utilisation de symboles traditionnels, ancienne collection sur les rois arméniens… Mêlant dans son travail tradition et modernité, via des modélisations 3D des vêtements en mouvement et des pièces très modernes, Sukiasyan se veut toucher une large audience internationale, et faire briller le savoir-faire et la mode arménienne au-delà des frontières.

 

Soutenu par le British Council, le ministère britannique du développement international, et par le programme de développement du secteur privé et de l'enseignement et de la formation professionnels en Arménie, mis en œuvre par le gouvernement allemand et par la GIZ, l'initiative a permis à de nombreux créateurs de mettre en avant leur rattachement à l’Arménie. C’est le cas notamment de la marque Just Black, qui cette année rend honneur à la déesse Anahit, statue de bronze récemment retournée à l’Arménie dans le cadre d’une exposition de six mois par le British Museum. Représentant la déesse arménienne de la fertilité et de la sagesse, le retour de cette statue marque une inspiration artistique pour les créateurs :

 

Lorsque j'ai assisté au retour de la statue en bronze d'Anahit du British Museum, j'ai ressenti une connexion bouleversante avec notre compréhension ancestrale du pouvoir féminin [...]. La collection n'est pas seulement une question de vêtements, il s'agit de réclamer et de redéfinir l'énergie féminine en termes modernes tout en honorant notre héritage ancestral ». - Gaia Manukyan, fondatrice de la marque Just Black.

 

Cette semaine a montré qu'Erevan est bien plus qu'une ville d'Histoire : elle est un lieu de création en plein essor, où la mode arménienne s’impose comme un vecteur de messages culturels, écologiques et sociaux. En mettant en lumière des créateurs innovants, cette Fashion Week démontre que l’Arménie a un rôle unique à jouer dans le paysage international de la mode, alliant héritage, modernité et responsabilité.