La culture comme fil conducteur dans les relations franco-arméniennes

Ֆրանկոֆոն Հայաստան
06.05.2025

Dans le cadre de la conférence « France-Arménie : Dialogue historique et culturel », organisée au sein de la Bibliothèque Nationale d’Arménie, le Courrier d’Erevan, partenaire officiel de l'événement, a pu s’entretenir avec Mme Anna Chulyan, directrice de la Bibliothèque Nationale d’Arménie depuis août 2020, maîtresse de conférences et docteure en philologie. Mme Chulyan a notamment travaillé comme directrice de la bibliothèque de l’Université d’Etat Valéri Brusov pendant dix ans. Elle a également fondé l’ONG « Association des bibliothèques numériques d’Arménie » en 2019, et a été élu vice-présidente de l’Assemblée des Bibliothèques Eurasiatiques en 2021 pour 4 ans. Mme Chulyan est par ailleurs membre du comité permanent des bibliothèques nationale de la Fédération internationale des associations de bibliothèques (IFLA).

 

Propos recueillis par Paul Loussot

 

Comment et pourquoi avez-vous organisé cette conférence sur le dialogue culturel franco-arménien ?

Depuis le début de l'année 2024, nous avons commencé à travailler sur les relations entre la Bibliothèque nationale de France (BNF) et la Bibliothèque nationale d'Arménie. Cette initiative a débuté par une proposition de l'ambassade d'Arménie en France, sous l'impulsion de l'ambassadrice de l'époque, Mme Hasmik Tolmajan. Cette dernière a envoyé une requête officielle au ministère, suggérant plusieurs idées de projets communs avec des institutions françaises.

En réponse, j'ai proposé diverses idées de projets conjoints entre la BNF et la Bibliothèque nationale d'Arménie. En avril 2024, M. Gilles Pécout a été nommé président de la BNF. Nous l'avons invité à participer à notre conférence sur la préservation du patrimoine pour un avenir durable (Heritage Preservation for a Sustainable Future), qui se tient tous les deux ans depuis 2022, durant la première semaine d'octobre. Cependant, M. Pécout, très occupé à ce moment-là, n'a pas pu se joindre à nous mais a exprimé son intérêt à visiter l'Arménie à une autre occasion.

Peu après, nous avons reçu une invitation de l'Institut du Patrimoine de France, émanant de M. Charles Personaz, qui incluait également la BNF. Lors de notre rencontre avec M. Pécout, nous avons décidé de l'inviter pour une conférence publique ou un colloque. Il a accepté avec enthousiasme, quel que soit le format proposé. L'une des idées évoquées était d'organiser une conférence sur le dialogue historique et culturel franco-arménien. En quatre mois seulement, nous avons réussi à organiser cet événement. Lors de nos réunions, nous avons également convenu avec la BNF de définir des modalités pour notre future coopération.

Depuis un an, nous travaillons également avec CALFA sur divers projets, notamment la numérisation de livres pour améliorer l’accessibilité de nos collections. Ces projets ont été intégrés dans le cadre de la conférence, qui est la première en Arménie à aborder aussi largement les sujets d'histoire, d'art, de littérature et de culture entre l'Arménie et la France.

 

Comment qualifierez-vous les relations culturelles historiques qu’entretiennent la France et l’Arménie ?

La France est un pays avec lequel l'Arménie entretient des relations profondes et anciennes, marquées par une histoire commune et une diversité culturelle qui s'étendent sur plusieurs siècles. Si l'on remonte aux origines, ces liens trouvent leurs racines dès le Moyen Âge. Cependant, c'est à partir du XIXe siècle que ces échanges se sont intensifiés et sont devenus plus actifs. Cette période illustre bien la continuité du dialogue entre nos deux nations. À mon avis, il est essentiel de valoriser ce passé commun, mais il est encore plus crucial de mettre en avant la pérennité de ces relations et de s'inscrire dans leur prolongement.

 

La BNF possède une collection de documents historiques arméniens très riche, comment contribue-t-elle à rendre ce patrimoine accessible ?

La Bibliothèque nationale de France (BNF) est une institution publique, ouverte à tous les chercheurs souhaitant mener des recherches. Son rôle est de soutenir ces derniers en rendant accessibles ses collections. La BNF est particulièrement active dans les projets de numérisation. La promotion la plus efficace de ces collections passe justement par la numérisation, un travail déjà bien avancé et en constante progression. La BNF possède une riche collection de documents relatifs à l'Arménie, rendant ainsi accessible un patrimoine précieux pour les chercheurs et le grand public.

 

Cette conférence exceptionnelle fut inaugurée par la signature d’un mémorandum d’accord entre les institutions culturelles françaises et arméniennes. Quels sont les détails de cette nouvelle dimension de la coopération franco-arménienne ?

La Bibliothèque nationale de France (BNF) est l'une des plus grandes bibliothèques au monde, aux côtés de la Library of Congress et de la British Library. En tant que bibliothécaire, je peux affirmer que la BNF joue un rôle crucial dans le développement de politiques et de stratégies pour l'ensemble du monde des bibliothèques. Il est donc essentiel pour nous de bénéficier des conseils méthodologiques de la BNF lorsque nous cherchons à renouveler, créer ou adapter de nouveaux processus en Arménie.

Les stratégies, politiques et agendas définis par la BNF constituent le cadre général de notre travail. Un autre aspect fondamental est le renforcement des capacités des bibliothécaires. Ce développement professionnel est en cours, et nous avons besoin de programmes modernes de formation pour les bibliothécaires. En Arménie, les salaires des bibliothécaires sont parmi les plus bas du pays, ce qui rend la profession peu attractive pour les jeunes. L'éducation académique en bibliothéconomie, dispensée par l'Université pédagogique d'Arménie, peut donc être améliorée grâce à des échanges internationaux et des formations avec nos collègues français. Nous travaillons déjà à établir ce partenariat.

Un autre volet important de notre collaboration concerne l'échange de collections, tant physiques que numériques.

 

La Bibliothèque nationale d'Arménie et la BNF échangent certaines parties de leurs collections respectives depuis plus de dix ans. Nous numérisons également des ressources liées à la France, à la langue française, à la littérature ou à la culture française, et nous partageons ces documents avec nos collègues de la BNF. En retour, la BNF possède un riche patrimoine imprimé arménien, et nous espérons qu'ils pourront numériser des copies manquantes pour enrichir nos collections numériques.

 

Les deux institutions étant responsables du dépôt légal, elles détiennent toutes les publications imprimées dans leurs pays respectifs, ce qui est essentiel pour l'échange de métadonnées et la production de bibliographies nationales. Enfin, nous envisageons de collaborer sur des programmes culturels et des expositions conjointes, afin de renforcer nos liens et de promouvoir nos patrimoines respectifs.

 

Après la signature de cet accord inédit, quelles sont les pistes d’approfondissement des relations culturelles entre la France et l’Arménie ?

Ma présentation portait sur le rôle des bibliothèques nationales dans la promotion du dialogue interculturel entre deux pays. J'ai notamment abordé la manière dont ces institutions peuvent initier de nouvelles orientations et perspectives pour favoriser cet échange. Je pense que toutes les activités que nous avons déjà planifiées dans le cadre de notre mémorandum d'entente seront diffusées ensuite auprès de l'ensemble des institutions arméniennes. Nous partagerons les résultats de notre coopération avec nos collègues des bibliothèques et des musées.

 

En mai, il sera annoncé que la Bibliothèque nationale d'Arménie deviendra membre du Réseau Francophone Numérique. Nous prévoyons de créer une nouvelle base de données numérique arméno-française, accessible via ce réseau. Nous souhaitons également inviter d'autres institutions arméniennes à se joindre à ce projet, afin de constituer une initiative d'envergure regroupant de nombreuses institutions en Arménie possédant des collections dédiées au dialogue interculturel arméno-français.

 

La Bibliothèque nationale d’Arménie détient plusieurs ouvrages en langue française dans ses collections, pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

La Bibliothèque nationale d’Arménie possède une collection exclusivement composée de patrimoine imprimé, avec 55 000 livres en français. Parmi ceux-ci, plus de 23 000 sont des collections spéciales et uniques, et environ 2 700 sont des livres rares, datant de 1512 à 1980. Cette collection est impressionnante, notamment parce qu'elle inclut des ouvrages imprimés en France dès le XVIe siècle.

Bien que nous soyons riches en patrimoine, la numérisation de ces ouvrages n'est pas notre priorité. Nous pensons que la BNF est mieux équipée pour numériser les livres en français. Notre objectif est d'attirer un public francophone plus large pour utiliser nos collections. La politique de développement des collections de la Bibliothèque nationale d’Arménie repose principalement sur l'acquisition de ressources en langue arménienne et dans d'autres langues locales, ainsi que sur le dépôt légal. Dans de nombreux cas, nous répondons également à la demande. Par exemple, si nous constatons une forte demande de prêts ou de commandes de livres en français, nous comprendrons qu'il est temps d'acheter davantage de livres en français, au-delà des simples échanges de livres.

Lors de la conférence, nous avons organisé une exposition d'éditeurs arméniens qui publient de la littérature française traduite en arménien ou des ressources françaises en français. Cette exposition ne présentait qu'une petite partie des publications disponibles. Il serait également intéressant que nos gouvernements soutiennent davantage les projets de traduction, par exemple, en encourageant la traduction de la littérature arménienne en français et vice versa. Le ministère arménien de la Culture, de l'Éducation et des Sciences offre déjà des subventions aux éditeurs internationaux pour soutenir la traduction de la littérature arménienne dans leurs langues natives. La France soutient également ces initiatives de traduction, et nous sommes convaincus que ces efforts se développeront et s'élargiront à l'avenir.

A travers cette conférence, notre idée n'était pas de nous limiter uniquement au patrimoine arménien, mais d'élargir notre champ d'action pour explorer divers aspects des relations et du dialogue entre nos deux pays. Nous sommes convaincus qu'il reste encore beaucoup à découvrir et à rechercher. Ce travail prendra du temps, mais nous espérons organiser la prochaine conférence dans deux ans, en faisant de cet événement une biennale. En 2027, l'Arménie accueillera les Jeux de la Francophonie, ce qui pourrait être une excellente opportunité pour organiser notre prochaine conférence. Cela nous laissera le temps d'impliquer davantage de bibliothèques et de musées, tant en France qu'en Arménie. Nos collections recèlent des trésors, et il serait bénéfique de mieux nous connaître et de partager nos informations.