Des députés à l'Assemblée nationale aux candidats à l'élection présidentielle : après l'agression azerbaïdjano-turque de 2020, quatre à cinq délégations françaises se sont rendues en Artsakh.
Par Anush Ghavalyan, journaliste de Stepanakert
« Il y a un fond émotionnel très fort en France à l'égard de l'Artsakh, et nous devons pouvoir capitaliser sur ce sentiment », a souligné le ministre de l'Administration territoriale et des infrastructures de l'Artsakh Hayk Khanumyan, faisant référence à la visite conjointe en France avec Artur Tovmasyan, président de l'Assemblée nationale de l'Artsakh, qui a eu lieu du 14 au 19 novembre dernier.
Mais jusqu'à présent, ces sentiments émotionnels sont plutôt capitalisés de la part des Français. Le 15 décembre, par exemple, un groupe de sensibilisation sur le Haut-Karabakh a été créé au Sénat français. La sénatrice Valérie Boyer, publiant l'entrée du président des Républicains au Sénat Bruno Retailleau sur la formation du groupe, s'est félicitée que sa proposition ait été acceptée. En outre, le groupe fonctionnera comme une partie du bureau du Sénat et disposera de son propre appareil.
Commentant le rôle du groupe établi dans la sensibilisation à l'Artsakh en France, Jean Christophe Buisson, directeur adjoint du magazine Le Figaro, a noté que si le public français apprenait ce qui se passe en Artsakh, l'opinion publique française se mobiliserait en faveur de l'Artsakh. « Plus les gens seront informés, moins l'Azerbaïdjan aura de chances de répéter ce qui a été fait l'année dernière. Il y a un an, de nombreux Français n'avaient aucune idée de ce qu'était l'Artsakh. Et c'est cette compréhension qui sera la meilleure défense contre de nouvelles incursions : la France ne peut pas ne pas réagir, ne peut pas abandonner un pays ami où il y a des poches de culture française et des francophones ».
La délégation de l'Artsakh, qui comprenait Artur Tovmasyan, président du Parlement de l'Artsakh, Hayk Khanumyan, ministre de l'Administration territoriale et des Infrastructures, et Hovhannes Gevorgyan, représentant permanent de l'Artsakh en France, a eu des réunions à l'Assemblée nationale et au Sénat français. Ils ont été reçus à l'Assemblée nationale par François Pupponi, président du groupe d'amitié France-Arménie et les députés membres du groupe, et au Sénat par les membres du groupe France-Arménie conduits par son président Gilbert-Luc Devinaz.
Alors que les réunions avec les parlementaires ont porté sur la situation en Artsakh, les besoins et l'environnement sécuritaire dans la région, les réunions avec les chefs de municipalités ont porté sur la coopération décentralisée. La délégation de l'Artsakh a notamment été reçue par Martine Vassal, gouverneur des Bouches-du-Rhône et président de la métropole d'Aix-Marseille-Provence ; à Alfortville par Luc Carvounas, maire, ex-sénateur et député ; à Grenoble par Jean-Pierre Barbier, gouverneur du département de l'Isère. La province a conclu un accord d'amitié avec le district de Hadrut, soutient l'Artsakh par le biais de la Fondation Hayastan, et parraine également le Centre francophone Paul Éluard à Stepanakert, indique le ministre de l'Administration territoriale et de l'Infrastructure, soulignant que, bien que Hadrut et Chouchi ne soient pas actuellement sous le contrôle physique de la République d'Artsakh, les maires français ont l'intention de travailler avec les communautés de ces villes.
Des représentants d'organisations arméniennes en France ont participé activement aux réunions. « Nous pouvons dire que l'Artsakh est au sommet de l'agenda de la communauté arménienne française », a déclaré le président de l'Assemblée nationale de l'Artsakh, Artur Tovmasyan, à « Analyticon ». La manifestation concrète des propos des députés peut être observée dans les positions sur l'Arménie et l'Artsakh des candidats à la présidence en France.
Le candidat de la droite Éric Zemmour est venu à Erevan le 11 décembre pour les 400 000 voix franco-arméniennes, et la candidate des Républicains Valérie Pécresse est arrivée à Stepanakert le 22 décembre dans le cadre d'une visite en Arménie et a rencontré le président de l'Artsakh à Stepanakert. Il ne s'agit pas seulement de la visite de la candidate présidentielle Pécresse, que le ministère azerbaïdjanais des Affaires étrangères s'est empressé de mettre sur la liste noire, mais aussi du niveau de représentation des personnes qui l'accompagnent. Ainsi, la délégation comprenait Michel Barnier, ancien député, ancien ministre des Affaires étrangères et négociateur en chef des négociations du BREXIT de l'UE avec le Royaume-Uni, et le sénateur Bruno Retailleau, chef de la majorité républicaine au Sénat.
Dans un communiqué de presse publié par le groupe d'amitié France-Arménie le 24 décembre dernier, François Pupponi, président du groupe et membre de l'Assemblée nationale française, a noté que le soutien à l'Artsakh par les candidats à la présidence française reflète la réalité que la situation résultant de l'agression turco-azérie contre l'Artsakh ne peut en aucun cas être reconnue par la communauté internationale, puis a ajouté qu'il travaille actuellement à la formation d'un groupe de travail sur l'Artsakh à l'Assemblée nationale. Malgré les développements récents, l'Artsakh n'a pas attiré l'attention des politiciens français pendant ou après la guerre de 2020, et l'intérêt souligné n'est pas dû aux seules élections présidentielles à venir.
L'histoire des liens parlementaires entre l'Artsakh et la France, qui remonte aux années 1990, en témoigne. « Les parlementaires français font partie des rares hommes politiques libres, courageux et ouverts qui ont pu surmonter les obstacles de l'époque, visiter et exprimer leur soutien à l'Artsakh », note Ashot Ghulyan, président du groupe d'amitié Artsakh-France, ancien président du parlement de l'Artsakh, rappelant les visites de l'ancien député français à l'Assemblée nationale François Rochebloine puis René Rouquet, en 1993, pendant la guerre.
Après la guerre de 44 jours, l'intérêt de la France pour l'Artsakh s'est également manifesté par des mesures concrètes. Bien que des résolutions pour la reconnaissance immédiate du Haut-Karabakh aient été adoptées à une écrasante majorité au Sénat le 25 novembre et à l'Assemblée nationale le 3 décembre, elles n'étaient pas contraignantes pour l'exécutif. Mais de telles résolutions consultatives pourraient créer un précédent dans le sens où c'est la première fois que la question de la reconnaissance de la République d'Artsakh est discutée au niveau du parlement national d'un autre pays.
Alors que le pouvoir législatif-parlementaire a tendance à parler de valeurs, le pouvoir exécutif préfère les calculs. Et ces calculs ne sont pas du tout en faveur de la reconnaissance de l'Artsakh, quel que soit le souci de la France de « protéger les chrétiens d'Orient ». Les liens économiques de la France avec la Turquie et l'Azerbaïdjan semblent plus forts que les sympathies françaises envers les Arméniens. Rien qu'en 2020, selon les données de l'ONU sur le commerce international, les exportations de la France vers la Turquie se sont élevées à 7,24 milliards de dollars. En termes d'importations vers la France, la Turquie se classe au 5e rang des fournisseurs mondiaux et au 3e rang en termes d'exportations, et la France est le 6e marché le plus important pour la Turquie. Les entreprises françaises sont présentes en Azerbaïdjan dans les secteurs pétrolier et parapétrolier, la banque, les communications et les transports.
Quoi qu'il en soit, les partisans de la composante valeur en France sont enclins à continuer à travailler à la reconnaissance de la République d'Artsakh, arguant que l'Assemblée nationale et le Sénat ont reconnu l'Artsakh, et que le gouvernement devrait donc le reconnaître également. « La France est attachée au droit des nations en matière d'autodétermination. La France a défendu ce droit depuis des siècles. Pourquoi ne pas faire de même pour l'Artsakh ? Pour que le gouvernement y parvienne, il faut que les parlementaires et l'opinion publique fassent pression », souligne le directeur adjoint du magazine Le Figaro, en rappelant l'importance des visites de parlementaires français en Artsakh.
Plusieurs délégations de parlementaires français se sont rendues en Artsakh immédiatement après l'annonce du cessez-le-feu l'année dernière. Malgré le fait que ces visites n'ont pas été rendues publiques par la partie Artsakh, les parlementaires français ont partagé leurs impressions après leurs réunions en Artsakh sur leurs pages de réseaux sociaux. La députée européenne, ancienne ministre des Affaires européennes et l'une des figures de proue du parti La République En Marche du président Macron, Nathalie Loiseau, a même publié un article intitulé « Si je t'oublie, Stepanakert » après sa visite en Artsakh en juillet de cette année, dans lequel elle évoquait non seulement la nouvelle configuration géopolitique, mais aussi la dimension humaine de la guerre, représentée par ceux qui vivent en Artsakh, leurs difficultés et leurs rêves.
L'importance de la sensibilisation à l'Artsakh est devenue particulièrement prononcée après l'agression azérie-turque, lorsque les préoccupations en matière de sécurité ont entraîné des modifications des procédures d'entrée pour les politiciens et les journalistes étrangers, compliquant l'accès à la république. Par ailleurs, parler de l'Artsakh, en particulier dans les plateformes médiatiques ayant une audience internationale de plusieurs milliers de personnes, est aussi une façon de se défendre. Buisson, directeur adjoint du magazine Le Figaro, affirme que « si l'Artsakh existe, il ne peut pas disparaître. La société française doit savoir que l'Artsakh existe ».
Source : http://theanalyticon.com