Levon Zourabyan a publié sur sa page Facebook une tribune que nous reproduisons sous ces lignes (traduite de l'arménien), suite à la publication de "la réponse en 6 points" du gouvernement arménien à "la proposition en cinq points" de l'Azerbaïdjan en préalable à l'ouverture du processus de règlement du conflit entre les deux pays.
Ancien chercheur à l'Institut de physique d'Erevan, Levon Zourabyan s'est activement impliqué dans le mouvement Karabakh dès 1988. Sa carrière politique est inscrite dans les traces du premier président arménien Levon Ter-Petrossian dont il devient l'assistant en 1991, puis chef du bureau de presse en 1994.
Il est l'auteur de plusieurs travaux sur les conflits du Karabagh, d'Ossétie du Sud, ainsi que d'un rapport sur les conditions des minorités arménienne et azerbaïdjanaise en Géorgie pour l'International Crisis Group. À la formation du Congrès national arménien qui porte la candidature de Ter-Petrossian aux élections présidentielles de 2008, il devient coordinateur de son bureau central. Élu député de l'Assemblée nationale d'Arménie, il dirige la faction du Congrès national arménien au parlement. Il en est aujourd'hui le vice-président.
« Dans une interview accordée à la télévision publique le 13 mai, l'ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de Nikol Pashinyan, Edmon Marukyan, a finalement publié la position en six points de l'Arménie sur l'accord de paix négocié avec l'Azerbaïdjan, et nous avons été une fois de plus convaincus qu'aujourd'hui en Arménie, le gouvernement, qui ne comprend rien à la diplomatie, démontre là toute son ineptie.
L'Azerbaïdjan a présenté à l'Arménie ses idées en 5 points sur les dispositions à inclure dans le futur accord de paix à signer entre les deux pays. Si je résume l'essentiel de ces points, nous avons :
1) reconnaissance mutuelle de l'intégrité territoriale,
2) exclusion des revendications territoriales,
3) exclusion de l'usage de la force et des menaces à la sécurité,
4) délinitation, démarcation des frontières et établissement de relations diplomatiques,
5) ouverture des canaux de communication.
En d'autres termes, l'Azerbaïdjan a proposé sa vision ou son projet d'un futur traité de paix, son idée de ce à quoi ce traité devrait ressembler.
Quelle aurait dû être la réponse de l'Arménie selon les règles de la diplomatie ? C'est simple : elle aurait été supposée présenter une vision, un projet pour l'Arménie par ce même traité, une idée arménienne de ce à quoi ce traité devrait ressembler.
Notre gouvernement a donc solennellement annoncé et publié, par l'intermédiaire de Marukyan, la réponse en 6 points qu'il avait présenté. Qu'en est-il ?
Il s'avère que l'Arménie n'a aucune idée de ce qu'elle veut inclure dans l'accord de paix ou de ce qu'elle veut changer dans les propositions de l'Azerbaïdjan. Un examen détaillé de la réponse de l'Arménie montre qu'au lieu de soumettre ses propres propositions ou idées sur les termes du traité, l'Arménie a présenté :
1) Une attitude ("ՄՈՒՆՆԱԹ"), un crédit à un co-president médiateur au nom resté secret, grâce auquel la lettre envoyée par l'Azerbaïdjan le 21 février serait parvenue en Arménie le 11 mars, avec 20 jours de délai.
2) Un protocole historique ("ԱՐՁԱՆԱԳՐՈՒՄ") qui prouve que l'Arménie, selon les auteurs de la réponse, par son adhesion à la constitution de la CEI, a reconnu l'intégrité territoriale de l'Azerbaïdjan en 1991 (et on ne sait toujours pas si l'Arménie est prête ou non à inclure ce point de reconnaissance mutuelle de l'intégrité territoriale dans le texte du traité).
3) Une réclamation ("ՊՆԴՈՒՄ") sur la question "de principe", pour la partie arménienne, du statut final du Haut-Karabakh, qui ne dit rien du statut ou du mécanisme de résolution que l'Arménie propose pour résoudre cette question à l'avenir (cette déclaration ne peut même pas être considérée comme une proposition d'inclure cette question du statut dans les négociations).
4) Une certification ("ՀԱՎԱՍՏԻԱՑՈՒՄ"), vue de la partie arménienne, sur la nécessité ("կարեւորության") de remplir les obligations énoncées dans le précédent format Russie-Arménie-Azerbaïdjan, qui ne peut même pas être considérée comme une exigence à l'exécution de ces obligations ni une condition préalable aux négociations, ni meme comme une proposition visant à l'inscrire à l'ordre du jour.
5) Une déclaration ("ԱՅՏԱՐԱՐՈՒԹՅՈՒՆ") sur la volonté d'entamer des négociations, qui en fait, réaffirme que l'Arménie n'y fixe aucune condition préalable.
6) Une précision ("Մի ՏԵՂԵԿՈՒԹՅՈՒՆ") quant à la sollicitation des coprésidents du groupe de Minsk de l'OSCE par la partie arménienne pour l'organisation des négociations (attitude plutôt marasmatique vue leur incapacité à agir conjointement dans l'état actuel des relations entre la Russie et l'Occident).
Comme on le voit, les autorités arméniennes semblent n'avoir rien écrit dans leur lettre de réponse. Ils ont exprimé leurs sentiments sur les négociations en cours, ont invoqué des références historiques douteuses, fait de douces allusions aux obligations non remplies des parties adverses en négociation et des propositions romantiques sur l'organisation du processus de négociation. En un mot, elles ont tout fait sauf ce qui était exigé d'eux dans ce processus sérieux, qui est d'une importance cruciale pour l'Arménie et l'Artsakh. Elles n'ont pas présenté à l'Azerbaïdjan ou à la communauté internationale les solutions exigées par l'Arménie. Cette réponse misérable a même été moquée par le ministre des Affaires étrangères de l'Azerbaïdjan, Jeyhun Bayramov, qui, prenant l'exemple du premier point présenté, a demandé où se trouvait l'offre de l'Arménie.
À n'en pas douter, ces gens nous font honte et ruinent toute entreprise. Ils n'ont aucune idée de ce qu'exigent la politique internationale et la diplomatie de négociation, que ce soit Nikol Pashinyan, Ararat Mirzoyan, Armen Grigoryan, Vahagn Khachatryan et Edmon Marukyan. Partant de ce constat, en l'absence de gouvernement compétent et responsable en Arménie, instruit des éléments de diplomatie élémentaire, le seul véritable espoir dans le processus diplomatique réside à présent dans la concordance des intérêts et objectifs des superpuissances avec les intérêts nationaux de l'Arménie. Force est de le reconnaitre, malheureusement. »