Par Ara Toranian (Les Nouvelles d'Arménie Magazine)
Nouvelles d’Arménie Magazine : Dans votre dernière interview à Nouvelles d’Arménie, vous aviez déclaré à propos de l’Artsakh : « Il faut absolument aider ce bout de terre arménienne constamment menacé par des voisins surarmés et pratiquant le blocus. Cela sera un des premiers chantiers de mon action internationale ». Comment réagissez-vous à l’offensive massive lancée le 27 septembre par l’Azerbaïdjan, avec l’implication de la Turquie, contre l’Artsakh ?
Anne Hidalgo : Je pourrais tenir aujourd’hui exactement les mêmes propos. J’ajouterais que je suis d’abord très préoccupée. Ce que je découvre chaque jour sur la violence des combats, le non-respect de la Convention de Genève, la violence à l’égard des civils, la volonté d’effacer la présence arménienne sur ce « bout de terre » est inacceptable, tout comme l’implication manifeste et assumée de la Turquie dans ce conflit. En fournissant à l’Azerbaïdjan un soutien politique, militaire et médiatique, la Turquie a profondément modifié l’équilibre régional. Elle déstabilise toute la région. Si la Turquie souhaite assumer un rôle de puissance régionale, elle doit contribuer par son action à la stabilité, à la recherche de solutions négociées et à la prospérité de la région. Et au préalable, reconnaitre le génocide arménien de 1915. On en est loin ! J’ajoute qu’elle pratique un jeu très dangereux notamment en ouvrant la possibilité à des djihadistes de rejoindre l’Azerbaïdjan et de participer aux combats.
NAM : Cette attaque, sous-tendue par une volonté de nettoyage ethnique, ne délégitime-t-elle pas les prétentions du régime Aliev à placer ce territoire sous sa tutelle ?
AH : Bakou est clairement l’agresseur dans ce conflit, avec le soutien de la Turquie. Son régime porte donc une très grande responsabilité. C’est au groupe de Minsk réunissant Français, Américains et Russes de déterminer quel sera l’avenir du Karabagh et de son peuple, qui devra être appelé à se prononcer. Je souhaite au plus vite qu’il puisse mettre fin au conflit et débuter des pourparlers en vue d’une paix durable et juste dans la région. Je constate d’ailleurs que ce week-end il a obtenu une trêve humanitaire que j’espère plus suivie que le cessez-le-feu de la semaine dernière, violé à de nombreuses reprises. La guerre n’est jamais une solution et dans le cas du haut Karabagh, elle réveille des souvenirs douloureux vieux d’un siècle.
NAM : Comment qualifier l’implication ouverte du régime d’Erdogan dans cette offensive contre des Arméniens, 100 ans après le génocide ?
AH : Il est très clair que le régime du président Erdogan joue sur la fibre nationaliste. Il nie la réalité du génocide arménien et il semble encourager les pratiques de nettoyage ethnique sur les populations du Haut Karabakh. Chaque fois que je me suis rendu à Erevan j’ai voulu rendre hommage à la mémoire du million de victimes, et à chaque fois je me suis interrogée sur les mécanismes qui permettaient à des hommes de planifier et d’exécuter de tels crimes contre l’Humanité. On croit pouvoir attribuer une partie de ces mécanismes à l’époque. Mais à chaque génocide - et j’ai été la contemporaine de deux d’entre eux (Cambodge et Rwanda) - ce sont les mêmes mécanismes infernaux qui se mettent en place : négation de l’autre, volonté d’exterminer de manière systématique, sentiment d’impunité et détournement de la vérité au nom d’une idéologie mortifère. Nous n’en sommes pas encore là dans le conflit du haut Karabagh mais on pourrait y arriver, et j’y suis particulièrement vigilante. L’implication de la Turquie dans un conflit avec les Arméniens réveille malheureusement la mémoire du génocide tant en Arménie qu’au sein de la diaspora.
NAM : Un groupe de 22 parlementaires français, venant de divers bancs, ont demandé jeudi que l’Assemblée nationale vote une résolution pour la reconnaissance « sans délai » par la France de la république d’Artsakh. Que pensez-vous de cette initiative et comment vous positionnez-vous personnellement par rapport à cette revendication sur la reconnaissance de l’indépendance de l’Artsakh ?
AH : Je comprends naturellement la démarche de ces parlementaires. Si l’unique solution au conflit actuel était la reconnaissance du haut Karabagh, il ne faudrait pas hésiter. Mais le Ministère des affaires étrangères estime que seul le groupe de Minsk peut permettre le retour à la paix et à la sécurité. Je ne veux donc pas entraver ou gêner les efforts de la France pour trouver une solution pacifique. Je suis en contact très régulier avec le Quai d’Orsay qui œuvre de manière énergique et pragmatique pour mettre fin au conflit. L’objectif est que les Arméniens puissent vivre de manière durable et sûre au haut Karabagh comme en Arménie. Je partage les priorités du Gouvernement français qui cherche, avec le groupe de Minsk, la fin des affrontements et le retour des négociations. Je suis favorable à l’autodétermination, à titre individuel, il faut soutenir l’Arménie dans cette épreuve et ce combat.
NAM : Peut-on espérer que le Conseil de Paris, à l’instar de la ville de Genève, et d’autres villes et institutions en Europe, reconnaisse l’indépendance de l’Artsakh ou, du moins, demande à la France de reconnaitre cette indépendance ?
AH : J’ai effectivement observé que Genève et Milan avaient pris des positions très claires en faveur de la reconnaissance du Haut Karabagh ou du droit à son autodétermination. Le Conseil de Paris ne peut pas le faire car le droit des collectivités locales n’autorise pas les municipalités à reconnaitre ou à signer un accord avec une entité qui n’est pas reconnue par la France. Mais la Ville peut conduire d’autres initiatives. J’ai été informée que l’UGAB Europe souhaitait envoyer de jeunes ressortissants européens comme observateurs. Je trouve cette initiative excellente. J’ai proposé qu’à leur retour ils puissent venir témoigner de ce qu’ils ont vu en y associant les maires européens qui le souhaitent. Cette restitution devrait avoir lieu mi-novembre.
NAM : Comment la ville de Paris peut-elle exprimer sa solidarité envers l’Arstsakh et l’Arménie, tous deux gravement atteints par cette attaque ?
AH : Je préside l’association internationale des maires francophones (AIMF) dont, naturellement, Erevan est membre. J’ai demandé que l’AIMF développe immédiatement une aide d’urgence de 50.000 € pour aider à l’accueil des réfugiés et faire face à la crise sanitaire. C’est un premier pas. J’ai également reçu Marie-Lou Papazian, la présidente de TUMO, qui vous le savez a également une antenne à Stepanakert, et nous avons évoqué ensemble les liens que nous pourrions développer entre les différents TUMO. Mon adjoint en charge des relations internationales, Arnaud Ngatcha, est en contact permanent avec l’Ambassadrice d’Arménie à Paris comme avec les deux co-présidents du CCAF.
J’ai par ailleurs l’intention de me rendre à Erevan au début de l’année 2021 avec une délégation du Conseil de Paris afin de lui témoigner notre solidarité et voir comment renforcer encore nos liens.