Les réactions divergent en Arménie à propos du projet de "Carrefour de la Paix" et du déblocage des communications régionales annoncés par le gouvernement depuis quelques semaines. Au-delà de l'aspect politique qu'il représente, un économiste et un transporteur arménien estiment, à l'aune de leur spécialité respective, ses bénéfices et ses risques.
Parlant des aspects positifs découlant de la mise en œuvre du projet mentionné, Atom Margaryan, l'économiste, y voit de nombreux avantages. Il souligne que dans l'hypothèse du déblocage des liaisons ferroviaires avec l'Azerbaïdjan via Aghstev, de Gyumri à Kars et de celle du sud passant par Meghri, de même que celui des axes routiers menant à Erevan à travers le Nakhitchevan, dans l'autre sens jusqu'à Bakou ainsi que celui pour la Russie, l'impact économique du "Carrefour de la paix" sera indubitablement positif.
« Dans ce cas, les coûts logistiques du transport de marchandises peuvent être réduits, c'est-à-dire que les produits miniers, les matériaux de construction ou diverses marchandises peuvent être transportés à un prix inférieur. Il y a trente ans, la situation était similaire en termes de capacités de production et de schémas économiques existants. À cette époque, il y avait différentes estimations, on parlait d'un transport de marchandises bon marché alors que dans les conditions logistiques actuelles, sans alternative, ces services sont incomparablement chers », déclare l'économiste.
Selon Atom Margaryan, le processus est dynamique mais en premier lieu, le gouvernement doit faire part de ses évaluations concernant sa mise en œuvre. Au-delà des déclarations politiques ambitieuses, il convient de justifier précisément des retombées économiques spécifiques que le pays peut espérer.
« Si nous examinons en profondeur la situation et la vision du développement économique, il faut noter qu'il n'y aura de résultat tangible qu'avec la relance du secteur industriel et de nouveaux programmes économiques. Les opportunités peuvent être multipliées lorsque ces projets concernent le transport des personnes et des marchandises répondent une plus grande demande. Si le conflit militaro-politique est résolu et que tous les canaux de communication régionaux sont ouverts, alors toutes les parties en bénéficieront, mais compte tenu des humeurs extrêmement agressives et subjectives de l'Azerbaïdjan et de la Turquie, la mise en œuvre d'une tel carrefour contient un sujet à caution », dit Atom Margaryan.
Selon l'économiste en effet, l'ouverture des communications régionales est aussi un moyen pour la Turquie et l'Azerbaïdjan d'engranger davantage de dividendes au détriment des intérêts arméniens. Si l’Arménie n’est pas intégrée aux grands projets liés aux marchés mondiaux, l'absence de secteurs industriel, scientifique et technologique développés, elle peut être engloutie, car en ce qui concerne l’Azerbaïdjan et de la Turquie, nous avons affaire à des « prédateurs économiques ».
Hmayak Ezekyan est directeur de la société de transport de marchandises "Global Logistics". L'homme de terrain est très pragmatique et voit dans ce "Carrefour de la paix" la possibilité de diversifier et de créer des alternatives aux routes qui empruntent les territoires de Géorgie et d'Iran.
« Cela fait deux jours ce 21 novembre que nous sommes de nouveau confrontés au problème récurrent de la fermeture de Lars, en raison des conditions météorologiques. Le prix du fret subit en conséquence une forte hausse avec des temps d'immobilisation prolongés, il y a une pénurie de marchandises sur le marché intérieur, ce qui est mauvais pour tout le monde", mais si nous avons des solutions alternatives , nous nous retrouverons certainement dans une meilleure situation économique », déclare Hmayak Yezekyan. Dans le cas de la mise en œuvre du projet "Carrefour de la paix", ajoute-t-il, le principal avantage sera de faciliter le flux des marchandises. Non seulement les véhicules arméniens, mais aussi ceux venant de Géorgie, de Turcs, d'Iran ou de Russie pourront rejoindre l'Arménie via des itinéraires alternatifs. En conséquence, nos propres véhicules rencontreront moins d’obstacles et ne seront plus contraints à ces longues files d’attente.
« Néanmoins », précise-t-il toutefois, « il ne sera pas possible de mettre pleinement en œuvre ce plan dans un futur proche, car il sera difficile de trouver des transporteurs acceptant de courir un gros risque en convoyant leur fret notamment vers l'Azerbaïdjan. Il est également difficile de prévoir les étapes par lesquelles ce programme devra certainement être adapté et quels indicateurs permettront de juger de son efficacité. Ayant travaillé dans ce domaine pendant plus de 12 ans, en interaction avec de nombreux partenaires et concurrents, je peux affirmer avec confiance que dans un avenir prévisible, nous ne sommes pas prêts à trouver rapidement une alternative aux routes existantes et à envoyer nos véhicules en Azerbaïdjan ».
Parlant de l'application d'amendes ou de sanctions à l'Azerbaïdjan en cas d'infraction aux règles du transport international, Hmayak Yezekyan souligne que la question sera avant tout examinée dans un cadre pénal. S'ils tirent sur les camions ou leur jettent des pierres et les endommagent, cela indiquera que les mécanismes de sécurité intérieure dudit pays ne fonctionnent pas et que les autorités ne font rien pour l'en empêcher. Selon lui, l'Azerbaïdjan n'est pas en mesure de résoudre ce type de problème et encore moins de garantir un transport international ininterrompu et sûr.
Quant à la route turque, le directeur de la société de transport de marchandises déclare qu'elle comporte des risques aussi bien que des opportunités. Selon lui, même transitant par la Géorgie ou par le territoire d'un pays tiers, les produits agricoles turcs, par exemple, restent à un niveau de prix plus compétitif que ceux produits en Arménie. « Si la Turquie a la possibilité d'exporter directement ses produits agricoles en Arménie », prévient-il, « alors tous les hommes d'affaires de la vallée de l'Ararat seront confrontés à de graves problèmes de concurrence car ils ne sont pas encore compétitifs en termes de prix ». Hmayak Ezekyan souligne encore qu'en général, ces nouvelles opportunités serviraient davantage les intérêts de la partie turque qui est dans une meilleure situation économique.
« Pour augmenter le volume du transport de marchandises, l'Arménie doit disposer d'un potentiel économique accru. Nous devons comprendre ce dont nous pouvons augmenter la production et dans quelle mesure elles permettront d'accroitre nos exportations. Notre industrie légère et de nombreux secteurs ne sont pas encore compétitifs, donc en cas d'ouverture des frontières, il y aura davantage d'importations qui profiteront en premier lieu aux entreprises de transport de marchandises des pays voisins », conclut Hmayak Ezekyan.