Erevan : la ville en livre

Arts et culture
27.05.2022

Bien plus qu’une nouvelle publication sur la capitale arménienne, "Erevan, biographie de la ville", le nouveau livre de Mark Grigoryan, célèbre journaliste et directeur du musée-institut national d’Architecture, constitue un véritable guide pour qui souhaite découvrir la ville en chair et en os à travers son histoire. C’est aussi une ode à ses habitants tout autant qu’une déclaration d’amour illustrée de récits et de photographies à un Erevan presque inconnu de nous.

Par Lusine Abgarian

Des essais métamorphosés en biographie de la ville

L’idée du livre est née alors que Mark avait déjà entrepris l’écriture d'essais sur le même sujet. Poussé par des influences extérieures aussi bien que personnelles, il se décide pourtant à donner à sa création davantage de contenu et de profondeur. Son récit s'inscrit sur le temps long et à la croisée de trois villes que l’auteur a traversées ou qui ont traversé son propre itinéraire : Londres, Erevan et Stepanakert.

C'est à Londres, où l’auteur a vécu pendant 11 ans, que lui vient l'idée de ce qui constituera le noyau de son livre. Au cours d'une conférence sur l’histoire architecturale d’Erevan au XXe siècle qu'il donne à la Maison arménienne, ils rencontrent de nombreux historiens et architectes, tous très intéressés par le sujet. Les échanges sont riches, inspiré, Mark décide d'en faire le thème central de son histoire et se lance dans le récit de sa ville. Cependant, il tient à se détacher de l'instant, passé ou présent, de l'énumération de moments historiques et ponctuels. Ce qu'il veut, c'est une belle histoire, à suivre, un déroulé littéraire inscrit dans celui de la cité rose. Mais loin de la ville dont il ressuscite l'épopée, Mark sent bien qu'il faut rentrer pour comprendre les processus qui ont façonné son visage actuel…

De retour en Arménie, Mark se tourne vers la télévision. L'émission qu'il conçoit et réalise "Erevan Inconnu", l'entraine vers de nouvelles découvertes. Et il continue d'écrire... Plus le temps passe, plus il se rend compte qu’une simple présentation de l’histoire de l’architecture d’Erevan ne suffit pas à suggérer l’image et l’atmosphère de la ville : il lui faut rendre sa vivacité et son aura. Il décide alors de conter des intrigues, des mythes ou des légendes jaillis du cœur d’Erevan : « Il y a un principe dont je n’ai pas encore parlé. C’est le principe de l’intrigue dans le livre. Je ne présente pas d’images statiques, mais des histoires. Ce sont ces intrigues qui ont fait le succès du livre, mes images bougent constamment », raconte Mark. S'inspirant de la lecture du livre de Peter Ackroyd, "London : the biography", l’auteur retracer lui-aussi une véritable biographie d'Erevan et des erévantsis, ses habitants : « Je me suis rendu compte que la dimension biographique permettrait de dépasser l’histoire scientifique pour arriver à un niveau plus humain, plus accessible aussi ».

Écrire l’histoire du lieu où nous habitons et qui nous habite

« En fait, nous y habitons sans vraiment la connaitre », dit Mark à propos d’Erevan. Il évoque par exemple l’histoire de la forteresse de la ville dont nul ne connaît l’emplacement exact aujourd’hui : « Nous savons tous que la forteresse d’Erevan occupait pendant plusieurs siècles une zone correspondant au centre actuel d’Erevan. Mais personne ne sait où se trouvait exactement cette forteresse, ni quelles en étaient les limites. Pour cela, il faut en superposer le plan à celui d’Erevan aujourd'hui pour se rendre compte qu'elles courraient depuis l'actuel manufacture de Brandy Noy, longeaient la rue Grigor Lusavoritch jusqu’au Club de la presse et se poursuivaient tout le long de Tigran Mets jusqu’à la rue Brusov ». Mark est même parti en quête des vestiges de la forteresse, retrouvant un bout de ses murs sur les rochers au-dessus du lit de la rivière Hrazdan. De même, il étudie dans les vestiges qu'il en reste, le travail des constructeurs d'Urartu, leurs remparts, les conduites d’eau, creusées à même la pierre. « Le processus d’écriture ne se contentait pas d’un travail livresque entouré de documents autour d’une table, il fallait marcher, observer, comprendre, réfléchir », se souvient-il.

La collaboration avec la maison d’édition

À propos de ses éditeurs, "Slovo", l’une des maisons d’édition les plus réputées de Russie, Mark avoue : « vous savez, c’est comme le mariage, vous rencontrez quelqu’un et vous comprenez que vous êtes faits l’un pour l’autre ». Mark fait leur connaissance alors que l’écriture de son livre est déjà bien engagée. Quelques lignes de lecture du manuscrit leur suffisent pour prendre la décision de l'éditer. « J’ai publié une vingtaine livres, mais je n’ai jamais eu une telle relation professionnelle et une telle entente auparavant. Nous avons minutieusement travaillé la mise en page, le texte et les images. Je suis heureux de dire que le livre est devenu une véritable œuvre d’art ».

La sélection finale des images a été réalisée conjointement avec les éditeurs. Une centaine, sur les 450 photos d'Erevan envoyées par Mark, choisies pour habillr le texte. « Avec tout ce qu'il reste des photographies anciennes et nouvelles non retenues, il est tout à fait possible de publier un album séparé », pense Mark.

Les nouveaux projets de livres

À ce jour, deux nouveaux projets de livres lui trottent dans la tête. Tous les deux sont liés à son expérience personnelle. Le premier, il veut le consacrer à sa génération qui a vu naître les mouvements de libération des années soixante : « Je voudrais en parler comme de celle responsable de l’effondrement de l’Union soviétique et de tous les problèmes réels et imaginaires, résolus ou non de l’Arménie d’aujourd’hui. Je voudrais parler de mon parcours qui m'a permis d'apprendre à penser librement, alors que l’Union soviétique interdisait toute pensée libérée. Je voudrais parler de ma révolte d’adolescent contre mes parents. Aujourd’hui je peux me permettre de le faire », confie Mark.

Il souhaite également consacrer un volume à sa vie et son long parcours de journaliste, depuis les articles qu'il rédigeait pour la presse locale jusqu’à ce qu'il rejoigne les équipes de BBC et finalement, la radio publique d'Arménie dont il deviendra le directeur.