Elles sont professeur, journaliste, chercheuse, politicienne... Naïra, Ani, Constance, Thénie et les autres ont l'amour de la langue française en partage. Le Courrier d'Erevan les a rencontrées et leur a laissé la parole. Elles nous racontent leur histoire, en français dans le texte, simple et extraordinaire. Portraits de femmes, exemplaires, touchantes, dérangeantes, une autre image de l'Arménie.
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Constance Léon est journaliste, "autrice" sonore et réalisatrice de podcasts, fondatrice de "Jouïr Podcast", une archive orale dédiée aux questions de genre, d'intimité et de sexualité. Arrivée à Erevan en 2018, pendant la révolution de velours, elle partage aujourd'hui son temps entre la France et l’Arménie, entre Marseille et Erevan.
Par Aurélia Bessède
Qu’est-ce qui vous a amenée en Arménie ?
Ma famille est arménophile et ce pays a toujours exercé une attraction sur moi. En 2018, après la révolution de velours, je suis partie pour Erevan en tant que correspondante de RFI et Ouest-France. J’étais intéressée par l’histoire de cette ancienne république soviétique, enclavée, sujette à des bouleversements politiques majeurs... Je vis en Arménie depuis, j'y travaille comme que journaliste et réalise aussi des podcasts, d'Erevan à Paris principalement orientés sur les questions de corruption, d'environnement et de genre.
Pourriez-vous présenter la plateforme de podcasts que vous avez créé ?
"Jouïr Podcast" est née en 2020. C'est une association qui emploie deux salariés, Aphélandra Siassia et moi-même, ainsi qu’une quinzaine de bénévoles, dont Lorie Enezian, illustratrice, d’origine arménienne elle aussi. Nous sommes financées sur des fonds européens grâce auxquels, avec des partenaires irlandais et serbes, nous avons pu créer SNAP, une méthode autour du podcast, de l’art et de la sexualité. Pour le titre de notre plateforme, nous nous sommes amusés à jouer sur les mots avec le verbe "ouïr", et le néologisme "femmage" [sic], hommage au féminin à Sarah Barmak qui a écrit "Jouïr, en quête de l’orgasme féminin". Je voulais parler d’intimité à propos de divers sujets comme l’inceste ou les relations amoureuses, avec les personnes concernées et non pour elles ou en leur nom. Le féminisme a toujours été important dans ma vie intime et politique.
En France, nous proposons quatre formations différentes : "Les Guerrillères [1]", pour apprendre à créer un podcast en groupe, "Bell Hooks", un groupe de parole, "Atelier radio", ou comment monter une émission radio et enfin "l’Atelier émotion", inspiré par l’actrice-réalisatrice Delphine Seyrig dans les années 80-90. Il s'agit de concevoir un podcast autour d'une émotion en rapport étroit à une activité artistique. La colère, par exemple, qui peut être liée à la littérature, l’écriture ou à la danse…
À Erevan également, notre association propose des ateliers de podcast dans une optique sous-jacente d'échanges culturels. Nous avons ainsi initié, en partenariat avec le "Media Initiatives Center", la formation d’une dizaine de participantes et participants arméniens autour de la question du patriarcat en Arménie. Le mot "féminisme" n'y a pas la même résonnance qu'en France. Notre première session est un épisode pilote qui a permis de créer diverses thématiques sur le mariage, le couple ou la masculinité. La série a été réalisée sur nos fonds propres et nous avons désormais besoin de trouver des financements pour continuer.
J'adapte ma méthodologie aux envies des participants à ces ateliers. Mon but, en tant que créatrice de podcasts, c'est d’être facilitatrice. Mon souci n’est pas d’interroger les gens, c’est vraiment un travail de facilitateur qui laisse le champ libre aux participants en leur fournissant les outils afin qu'ils s'en emparent ...
Mon savoir-faire de journaliste me permet de transmettre des techniques, une manière d’être précise pour donner du sens à un récit intime, et s’il y a besoin, de recouper et vérifier l’information diffusée. Ce que je souhaite, c’est créer de l'échange entre les participantes autour du podcast.
Par ailleurs, nous avons organisé un atelier avec le soutien du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations-Unis (UNHCR) sur la question des réfugiés en Arménie. C'est aussi une terre d’exil qui accueille de nombreux réfugiés. Des journalistes du Congo, d'Iran et du Liban se sont rencontrés ici et ont créé leur propre émission de radio pour évoquer leur vie quotidienne en Arménie.
Qu’en est-il de vos activités parallèles, de vos projets à venir ? Comment arrivez-vous à lier vos activités ?
Parallèlement, je mène aussi des activités de journaliste-pigiste. J’ai grandi en écoutant RFI avant d'y postuler pour en devenir correspondante. Je suis en train de préparer un documentaire radio qui s'intitule : "Si loin, si proche, sur le Mont Ararat". J’écris aussi pour Ouest-France, Open Democracy, RTS et Libération. Chaque sujet, chaque moment en Arménie, que ce soit le désastre écologique de la mine d’or d'Almusar ou les dernières élections en Arménie, ne fait que raviver "ma flamme arménienne".
Certains de nos projets sont encore en cours de négociation. Quant aux thématiques sur lesquelles nous aimerions travailler, elles sont nombreuses. Nous réfléchissons à une balade sonore liée au genre et à l'intimité dans les rues de Marseille que nous souhaiterions ensuite reproduire en Arménie. Nous souhaitons aussi poursuivre les ateliers de podcast en Arménie et faire entendre la voix de nos participants autour de thématiques tabous. Notre logique est de proposer une plateforme de discussion et de débats dans la société afin de penser et agir différemment.
Nous réfléchissons aussi à un format de festival interculturel dans lequel nos productions entreraient en échange avec celles de toute la communauté "podcast" arménienne. Je suis très fan du travail des féministes arméniennes d'"Akanjogh" par exemple.
Dans ce contexte d'après-guerre en Arménie, je pense qu’il serait intéressant de travailler avec des soldats, les appelés, pas encore sous les drapeaux, les conscrits et ceux qui ne le sont plus. Il y a aussi les prisonniers de guerre. Certains sont revenus depuis un moment. Parler de leur quotidien, sans forcément aborder le trauma, et partager un moment collectif me paraît important. »
Page Soundcloud - podcasts de Constance Léon :
https://soundcloud.com/constanceleon
https://twitter.com/constance_leon
https://www.instagram.com/jouïr.podcast.association
Appel à contribution : https://www.facebook.com/jouïr.podcast
[1] – Cf. "Les Guerrillères " de Monike Vitig aux Éditions de Minuit . Une utopie où des femmes vivent entre elles sur une île.