La Chambre des Représentants de Belgique vient d’adopter un texte de loi créant deux sortes de génocides : ceux dont la négation est punissable comme la Shoah, le génocide des Tutsi au Rwanda, celui de Srebrenica en ex Yougoslavie et d’autre part, un génocide de « 2ème catégorie », celui des Arméniens qu’on pourra continuer de nier impunément.
Par Anne-Marie Mouradian
Elle a choisi la date du 24 avril pour légiférer en ce sens. « Si la Chambre souhaitait insulter la mémoire des victimes du génocide de 1915, elle n’aurait pas pu mieux s’y prendre » a déclaré dans un communiqué le Comité des Arméniens de Belgique.
« Regrettable hasard du calendrier », assurent les auteurs de la proposition.
Pour le gouvernement belge qui est à l’initiative du texte, la loi anti-négationniste ne doit s’appliquer qu’aux seuls génocides reconnus par une juridiction internationale. L’objectif explique-t-il est de répondre à des exigences de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe. En réalité, si ceux-ci suggèrent une limitation aux génocides sanctionnés par une instance internationale, ils ne l’imposent pas et laissent aux Etats membres le soin de décider. Pour le ministre de la Justice, Koen Geens, le choix était clair : « Je regrette qu’il n’y ait pas eu de tribunal international il y a 100 ans, mais c’est comme cela. »
Pour contourner l’argument, trois partis avaient déposé des amendements : le parti francophone Défi, le parti nationaliste flamand N-VA et le Centre démocrate Humaniste (CdH). Au nom du CdH, les députés Christian Brotcorne et Georges Dallemagne proposaient d’étendre le champ d’application de la loi anti-négationniste aux génocides reconnus par le Conseil de l’Europe, par le Parlement européen ou par la Belgique, ce qui aurait réglé la question.
Le génocide arménien a été reconnu par le Sénat belge en 1998, puis en 2015 par le Premier ministre Charles Michel au nom du gouvernement et par le Parlement. « La position du Parlement belge n’était peut-être pas très claire » explique Georges Dallemagne qui avait à l’époque regretté cette tiédeur, « c’est pourquoi on s’est également référé dans notre amendement au Parlement européen et au Conseil de l’Europe ».
Une décision honteuse
Les amendements ont tous été rejetés. La Chambre a choisi de punir tous les négationnismes à l’exclusion de celui à l’encontre du génocide des Arméniens. Ce faisant, elle commet une injustice non seulement envers sa communauté arménienne, mais également envers les démocrates turcs qui ont le courage de se battre contre le négationnisme d’Etat d’Ankara, a fait remarquer le député Peter De Roover.
Plus tôt dans cette journée du 24 avril, une commémoration avait été organisée par le Comité des Arméniens devant le Mémorial aux victimes du Génocide, à Bruxelles, en présence de représentants de partis politiques. On y avait entendu un représentant libéral affirmer solennellement que jamais le Mouvement Réformateur son parti, celui du Premier ministre et du ministre des Affaires étrangères, ne laisserait tomber les Arméniens. Il allait s’avérer que deux députés libéraux venaient de déposer une nouvelle proposition de loi visant la reconnaissance légale du génocide arménien de 1915 et la sanction de son négationnisme.
Si le geste était destiné à apaiser l’indignation suscitée par la discrimination envers les Arméniens, il semble sans utilité concrète. En effet, les propositions de loi deviennent caduques lors de la dissolution de la Chambre, ce qui sera le cas en vue des prochaines élections législatives du 26 mai.
On apprenait par ailleurs en fin de journée, que le ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, participait à une réception organisée par deux associations turques d’hommes d’affaires, en présence de l’ambassadeur d’Ankara. A l’issue de l’événement il commentait dans un tweet : « 24 avril. Réjoui d’avoir discuté ce soir de nos relations avec la Turquie avec des entrepreneurs TOBB - TÖSED. J’ai notamment insisté sur le rôle moteur de la communauté d’origine turque en Belgique pour dynamiser nos relations et resserrer les liens humains entre nos peuples. »
Il existe en Belgique de nombreux relais de la propagande nationaliste d’Ankara parmi la communauté turque qui connaît cette difficulté d’avoir, en grande partie, intégré le négationnisme comme composant de son identité. La classe politique belge a laissé faire, par intérêt électoraliste ou économique. Ce 24 avril, elle vient de franchir une honteuse et dangereuse ligne rouge. Quelques jours auparavant, le journaliste Dorian De Meeûs écrivait dans un courageux éditorial de La Libre Belgique intitulé « Le communautarisme nuit gravement au devoir de mémoire » : « En admettant simplement que les Turcs actuels ne portent aucune responsabilité dans le massacre perpétré il y a 104 ans, l’on pourrait éviter de piétiner la mémoire des victimes et sensibiliser les jeunes aux tragédies incontestables de notre Histoire. »