L’ambassade d’Arménie en Syrie déplacée à Beyrouth a commencé à s’organiser pour mettre en œuvre de potentiels rapatriements des populations arméniennes de Syrie si ces dernières seraient menacées par les nouveaux maîtres du pays. Un premier avion en partance de Damas arrivera à Erevan demain, le 14 décembre, avec à son bord des Arméniens de Syrie ayant fui les combats. Hovhannes Alexanyan, chef du département d’intégration des rapatriés au Bureau du Haut-Commissaire aux affaires de la diaspora, a également annoncé la poursuite des programmes d’aide organisés par l’Arménie pour ses compatriotes vivant en Syrie. Plusieurs associations et ONG se sont également joints à Erevan pour apporter des soins de première nécessité et de l’aide humanitaire.
Par Ralph Sammouri et Paul Loussot
Arménie-Syrie, des liens étroits qui ne datent pas d’hier
La présence arménienne en Syrie remonte à il y a bien longtemps, bien qu’elle soit souvent associée avec les afflux de réfugiés fuyant les massacres commis par l’armée ottomane et leurs sbires durant le génocide des Arméniens de 1915. En effet, dès la proclamation du christianisme comme religion d’Etat en Arménie en 301, plusieurs missionnaires, commerçants et marchands affluèrent vers l’actuelle Syrie, territoire comportant d’importantes communautés chrétiennes.
S’en suit alors de longs siècles de coexistence entre les communautés arabes et arméniennes en Syrie, tantôt pacifique et tantôt belliqueuse. Conquise puis intégrée à l’empire ottoman, la Syrie de l’époque ottomane consistait en une mosaïque complexe : se mélangeaient alors plusieurs communautés distinctes, chrétiennes (Arméniens, Assyriens…) mais également arabes, kurdes…
Toutefois, l’entreprise macabre entamée par les Jeunes Turcs provoqua l’exil de nombreux arméniens vers plusieurs grandes villes syriennes. Le pays fut marqué par le génocide au fer rouge, comme le témoigne les événements de Deir ez-Zor, dont le désert fut le tombeau de milliers d’Arméniens déportés de force par les ottomans. Cette ville accueillit une grande partie des réfugiés arméniens en Syrie. Plusieurs communautés arméniennes se sont également installées dans d’autres villes, dont la plus emblématique reste Alep. Ainsi, 25% de sa population était constituée d’Arméniens en 1925.
Comme conséquence de cet exil forcé, la communauté arménienne s’est organisée pour subvenir à ses besoins et à s’intégrer dans la société civile syrienne. Si certains ont décidé de rejoindre l’Arménie soviétique au sortir de la seconde guerre mondiale, la Syrie restait une terre hospitalière pour les communautés arméniennes la peuplant.
A la veille de la guerre civile syrienne qui déchira le pays et la région entière, différents recensements évaluaient la population arménienne ou d’origine arménienne en Syrie à environ 70 000-80 000 individus, certains allant jusqu’à 100 000. Depuis le début du conflit, 16 623 d’entre eux auraient fui en Arménie pour y trouver refuge (NDLR: UN in Armenia, UNHCR)
Les ravages de la guerre n’ont pas épargné la communauté arménienne d’Alep. La population, estimée à 60 000 personnes, aurait été réduite à seulement 8 000 à cause des destructions importantes ayant défigurés le quartier arménien de la ville. Les Arméniens, minorité religieuse et ethnique en Syrie, se sont retrouvés particulièrement vulnérables face aux attaques des groupes islamistes djihadistes comme l’Etat Islamique ou le Front Al-Nusra.
A ces persécutions s’ajoute l’hostilité de l’armée turque, occupant une importante partie du territoire syrien, qui arme et finance une partie des rebelles syriens appartenant à l’Armée nationale syrienne (ANS), fondée à partir de l’Armée syrienne libre et de d’autres groupes rebelles à tendance islamiste. Le bras armé d’Ankara s’acharne à combattre les Forces Démocratiques Syriennes, menées en majorité par les Kurdes des YPG et YPJ, auxquelles se sont alliés une partie des Arméniens de Syrie, notamment par l’intermédiaire du bataillon Nubar Ozanyan, créé en 2019, qui regroupe des combattants arméniens de Syrie luttant aux côtés des FDS pour la défense et la protection de la communauté arménienne de Syrie.
Les derniers événements liés à la guerre civile syrienne, qui se sont conclus par la fuite de Bashar Al-Assad en Russie avec sa famille, posent de nombreuses questions sur le futur de la communauté arménienne de Syrie. La majeure partie des groupes rebelles ayant réalisé cette percée record contre le régime de Damas sont d’obédience islamiste.
Leur meneur Abou Mohammed al-Joulani, chef du groupe islamiste Hayat Tahrir al-Cham, fer de lance de cette offensive éclair, a notamment combattu aux côtés de l’Etat Islamique en Irak, issue de groupe terroriste djihadiste Al-Qaïda. Il est évident que les exactions et massacres djihadistes dont les populations chrétiennes étaient les cibles tout au long de ce conflit semblent pouvoir se répéter à nouveau, le comportement des groupes rebelles islamistes syriens étant encore difficile à prévoir. La guerre a d’ores et déjà causé la destruction de 10 églises arméniennes en Syrie ainsi que 11 écoles arméniennes.
À Alep, la communauté arménienne fortement impactée
Alep étant une ville abritant une forte communauté arménienne, les Arméniens de Syrie y sont particulièrement menacés. Afin de mieux comprendre ce que ces derniers vivent en ce moment, nous avons interrogé un correspondant arménien de la ville d’Alep résidant actuellement en Suède. Souhaitant rester anonyme, il raconte :
" Depuis que la guerre civile a éclaté en Syrie en 2011, la communauté arménienne a pris une position neutre par rapport au conflit avec une certaine proximité du régime syrien pour assurer la protection des lieux de culte et des écoles. Je pense que la majorité d'Arméniens d'Alep a été très surprise par les derniers évènements survenus en Syrie et tout particulièrement par la rapidité avec laquelle les forces du régime syrien ont été vaincues par les rebelles issues des groupes islamistes. Cette situation crée une inquiétude grimpante dans la communauté Arménienne et incite à la grande vigilance. Depuis que la guerre civile a éclaté en Syrie en 2011, la communauté arménienne a pris une position neutre par rapport au conflit avec une certaine proximité du régime syrien pour assurer la protection des lieux de culte et des écoles. Je crois que les relations des Arméniens avec les autres communautés au sein de la ville d'ALEP sont bonnes et basées sur le respect mutuel. J'ajoute également que les Arméniens de la région d'Alep vivent généralement entre eux ’’.
Une stupéfaction générale, mais pas de vague migratoire prévue
‘’Les Arméniens d'Alep ont été très surpris comme nous tous, par l'effondrement de l'armée de Bachar Al Assad face aux rebelles, en dépit des derniers discours rassurants prononcés par les hommes du régime et le soutien inconditionnel de l'Iran et la Russie. À mon avis, il n'y aurait pas des mouvements migratoires vers l'Arménie ou d'autres pays. On compte aujourd'hui entre 10 000 et 12 000 Arméniens présents à Alep. Les garanties avancées par les nouvelles autorités sont multiples et permettent d'espérer un environnement sécurisé pour rester et vivre en Syrie’’.
‘’L’empreinte de la Turquie sera fortement présente dans le nouveau visage de la Syrie, ce qui est de nature à inquiéter fortement la communauté Arménienne d'Alep’.
On ne sait donc pas comment les Arméniens d'Alep pensent de poursuivre leur vie dans ce nouveau contexte. L'empreinte de la Turquie sera fortement présente dans le nouveau visage de la Syrie, et d'Alep tout particulièrement, ce qui est de nature à inquiéter fortement la communauté arménienne de la ville.
A ce jour, tous les yeux se tournent vers le vol spécial prévu le 14 décembre. Le Courrier d'Erevan suivra les événements et vous tiendra au courant de cet éventuel exode, encore un dans la récente histoire arménienne.