Le président d’Arménie Armen Sarkissian était en visite en Suisse la semaine dernière. Ex-physicien, ex-ambassadeur et ex-premier ministre, il pense que son pays peut devenir un modèle de développement dans l’ère numérique.
Stéphane Bussard, Le Temps (Suisse)
En visite en Suisse la semaine dernière, le président d’Arménie, Armen Sarkissian, a été premier ministre, homme d’affaires, ambassadeur en Europe et aussi physicien. Invité notamment par la Chambre de commerce, d’industrie et des services de Genève (CCIG), le chef d’Etat est surtout venu parler d’avenir et de la manière dont il entend profiler son pays dans l’ère numérique.
Directeur général de la CCIG, Vincent Subilia lui-même prend conscience du potentiel de ce pays du Caucase: «Au carrefour des civilisations, l’Arménie se positionne désormais comme un «champion» de l’innovation technologique. A ce titre, ce marché offre d’intéressantes perspectives de croissance aux entrepreneurs genevois.» Armen Sarkissian livre son analyse.
En visite en Suisse, vous avez souhaité montrer que l’Arménie allait faire de la technologie l’un de ses atouts pour bâtir son avenir.
Armen Sarkissian: Le monde d’aujourd’hui est différent, mais il est aussi de plus en plus imprévisible. Or nous continuons à utiliser les méthodes classiques de la physique pour chercher à comprendre des objets qui n’ont rien de classique. Dès que vous commencez à comprendre la manière dont le monde va se développer, il devient évident que l’humain et l’innovation deviendront beaucoup plus importants. C’est la raison pour laquelle je souhaite voir l’Arménie devenir le lieu des start-up, de l’innovation.
Nous avons des arguments à faire valoir. Des années soviétiques, nous avons hérité d’un excellent système éducatif et des centres scientifiques les plus pointus de l’URSS, qu’il s’agisse d’un accélérateur de particules, de centres d’astrophysique ou de physique des plasmas et des lasers. L’Arménie est un pays où la science est très développée. Elle produit de très bons mathématiciens et programmeurs. Nous avons mis en œuvre une initiative pilote dénommée TUMO pour former de jeunes programmeurs. Nous l’avons déjà exportée à Paris et en Allemagne. On espère aussi l’exporter en Suisse. Nous sommes un petit pays, mais très connecté avec le monde.
En 2009 à Zurich, un accord «historique» avait été conclu entre la Turquie et l’Arménie grâce à une médiation suisso-américaine avec Hillary Clinton et Micheline Calmy-Rey. Manifestement, l’accord n’a pas eu de lendemain?
Non, il n’y a rien eu. Je n’étais pas un politicien à ce moment, mais j’avais mes doutes quant aux chances de succès d’un tel accord. Pour qu’il soit suivi d’effets, il faut le soutien total du peuple. Du côté turc, cela a patiné. Il aurait fallu une convergence de vues du premier ministre (à l’époque), Recep Tayyip Erdogan, du président et de la population turque.
En Arménie, le gouvernement aurait dû mener de sérieuses discussions avec la diaspora née du génocide arménien. Vous ne pouvez pas aller de l’avant sans le soutien et le feu vert de la diaspora, qu’on évalue à plus de 8 millions voire à 12 ou 13 millions d’individus dans le monde. C’est une question morale. L’accord de Zurich a néanmoins été un succès diplomatique et je remercie la Suisse d’avoir favorisé ces négociations. J’espère qu’elle fera un jour le même type d’offre de médiation dans d’autres dossiers.
Vous pensez au conflit du Nagorno-Karabakh?
J’ai dit: un jour. Actuellement, l’OSCE [Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe], la Russie, la France et les Etats-Unis restent très impliqués dans le dossier.
Le statu quo dans cette république autoproclamée de Transcaucasie est-il acceptable?
Un conflit gelé est un conflit gelé. Un jour, il y aura dégel.
En Suisse, le Conseil national a reconnu le génocide arménien en 2003. Le parlement du canton de Vaud en a fait de même un peu plus tard. Quelle a été l’importance de ces deux votes?
Ces deux décisions sont importantes pour les Arméniens, pour l’Arménie, pour la justice et pour le monde. Nous ne serons jamais en mesure de parler d’un génocide ou d’atrocités commises à travers le monde par des Etats si l’on ne reconnaît pas et ne condamne pas ce qui est arrivé dans le passé. Si le génocide arménien (1915) avait été reconnu au début du XXe siècle et ses auteurs condamnés sur le plan international, il n’y aurait probablement pas eu d’Holocauste et d’autres génocides. Du moment que vous passez sous silence des événements tragiques, vous préparez le terrain pour d’autres tragédies.
Le défunt chanteur Charles Aznavour a été ambassadeur d’Arménie en Suisse. Quelle image gardez-vous de lui?
C’était un géant, l’un des plus grands poètes du XXe siècle, un grand musicien, individu et citoyen du monde. Il avait eu cette formule que j’aimerais appliquer à tout concitoyen à travers le monde: «Je suis 100% Français et 100% Arménien.» Si vous habitez en Suisse, vous devez d’abord être un bon citoyen suisse, puis un bon citoyen arménien. Il n’y a aucune contradiction entre les deux.