Producteur, réalisateur, scénariste, Gorune Aprikian a accepté de répondre à nos questions à l’occasion de la sortie dans les bacs, en DVD, de son premier long métrage « Passade ». Retour sur les coulisses d’une comédie romantique dans le huis clos d’une chambre d’hôtel, ou l’impossibilité d’une rencontre réelle entre deux êtres.
Par Tigrane Yégavian
Comment est né votre film ? Quelle était votre idée de départ ?
- PASSADE est mon premier long-métrage en tant que réalisateur et scénariste après avoir été producteur. J'ai écrit cette histoire presque d'une traite en m'imposant les contraintes d’unité de lieu et de temps. Pour cette première expérience, j'ai voulu traiter du sujet universel et inépuisable qu'est la rencontre amoureuse. Comment, de plaisanteries en confidences, les âmes se rapprochent au point de se toucher.
Les personnages semblent avoir été moulés dans deux sortes d’extrêmes même si l’idéalisme semble être un trait commun. Est-ce une invitation à repenser la fragilité du lien amoureux dans notre société de consommation urbanisée et le jeu des sentiments ?
- J'ai voulu me pencher non pas tant sur l'amour que sur le besoin d'amour, qui est un sentiment ambivalent tantôt tendre, tantôt manipulateur. L'histoire de cette rencontre s'inscrit entre le moment où le sexe n'est plus un enjeu et celui où il est question de s'engager. Ce n'est donc pas un film sur le sexe. Traditionnellement, le sexe est la conclusion, l'aboutissement logique, la consécration du marivaudage amoureux d'une comédie romantique. Ici, il n'est que le début de l'histoire, à peine l'élément déclencheur, car pour moi c'est le malentendu qui déclenche le mécanisme amoureux de PASSADE.
Scénariste et réalisateur de votre premier film, vous n’avez pas choisi la facilité en vous astreignant à un huis-clos entre un homme et une femme dans une chambre d’hôtel au pied du canal Saint Martin. Qu’est-ce qui vous a motivé dans ce choix ?
- Peut-être est-ce ma casquette de producteur qui m'a fait choisir un dispositif réduit au plus simple ? Mais je me suis rapidement rendu compte lorsque je suis passé à la partie artistique que cette apparente simplicité du dispositif: deux personnages, une chambre, une nuit - cachait en réalité une extrême difficulté artistique que je n'avais pas mesuré lors de l'écriture. Ce fut un défi passionnant à relever.
Le décor suggestif de la chambre d’hôtel est agrémenté d’un beau mobilier et d’une bibliothèque. Une façon de relativiser l’anonymat de l’espace ?
- Dans un huis clos, le réalisateur va chercher à utiliser tous les éléments à sa disposition pour varier les angles et les situations. La chambre devient un personnage muet du film. Au début, elle est un espace pour adulte (voire adultère) et se transforme imperceptiblement en aire de jeux. Elle se métamorphose selon les émotions que vivent les personnages : celles liées à l'enfance, au jeu, au sexe, à la confidence, au duel, à la provocation, à l'abandon... on est dans les nuages, les miroirs, les cabanes.
Il y a enfin un autre élément de décor et qui devient presque un personnage : le canal Saint-Martin. Nous le voyons, ce qui est rare, dans sa nudité car nous avons profité de son vidage qui a lieu tous les quinze ans. Mais ce n'était pas prévu dans le scénario original. Quand j'ai appris que le Canal allait être vide durant notre tournage, j'ai eu un moment d'angoisse. Puis j'ai adapté le scénario en faisant du Canal qui se déshabille tous les quinze ans, un parallèle avec Vanessa qui tombe rarement amoureuse. Désormais, le Canal vide est devenu un élément indissociable de PASSADE.
On voit les relents de l’enfance chez Paul. Cultivée, belle, espiègle, sensible, le personnage de Vanessa la prostituée n’est-il pas par moment un peu « trop romantique » ?
- Ce que dit PASSADE est assez simple : l'amour fleurit sur le territoire de l'enfance et flétrit dans celui des adultes, symbolisé ici par l'argent. C'est pourquoi, effectivement Paul est un "homme-enfant". Vanessa, pour moi, est simplement une femme dans toute sa complexité. Le fait qu'elle soit une prostituée me permettait de mettre en place une situation où dès le départ le sexe n'est plus un enjeu. Ce que l'on va observer est une rencontre, le développement d'un amour rendu d'autant plus difficile par le métier de la jeune femme. La situation donne à Vanessa un ascendant sur Paul au départ de l'histoire, mais au fur et à mesure qu'elle va se livrer, elle va dénuder son âme, se fragiliser. Je pense que la situation et les décors ne sont pas réalistes mais que les sentiments des personnages le sont. Vanessa n'est pas pour moi un personnage romantique c'est à dire exceptionnel. C'est la métaphore d'une jeune femme normale qui tombe amoureuse dans une situation compliquée.
Leurs métiers, le décor de la rencontre, la durée de cette rencontre relèvent plus de la poésie que du réalisme. Mais je suis persuadé que tomber profondément amoureux suit des étapes psychologiques très proches de ce que vivent les personnages. Plaisir, complicité, manipulation, peur, métaphysique....
Le DVD de votre film sort dans les bacs en France. Espérez-vous une projection en Arménie si cela n’a pas encore été le cas ?
- Je serai très heureux et honoré d'une projection en Arménie. La question de la traduction se poserait alors car c'est un film avec beaucoup de dialogues.
NB. Pour se procurer le DVD : http://www.editionsmontparnasse.fr/p1902/Passade-DVD