Laurent Wauquiez, politique français dont les ambitions présidentielles ne sont un secret pour personne, était en voyage en Arménie au titre qui pour l'instant est encore le sien de président de la région Auvergne-Rhône-Alpes. À peine descendu de l'avion, sa première visite a été pour l'UFAR, l'Université française en Arménie où l'attendaient, outre les officiels, un parterre d'étudiants venus échanger avec celui qui a toujours témoigné d'un soutien indéfectible à l'Arménie et à leur établissement.
Par Olivier Merlet
« Le moment est exceptionnel, profitez-en » a lancé, la rectrice aux étudiants qui se préparaient à débattre avec Laurent Wauquiez. Le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, en déplacement de quatre jours en Arménie cette dernière semaine de mars, avait amené avec lui une imposante délégation d'élus et de représentants d'institutions ainsi que d'entreprises françaises et arméniennes. Par sa recommandation, Salwa Nacouzi faisait-elle donc, sans doute, allusion à l'exemple d'énergie et de dynamisme de l'ambitieux politicien, benjamin des députés français en son temps.
Avec cette nouvelle visite arménienne et les rencontres inscrites à son agenda, Laurent Wauquiez a une fois de plus manifesté son grand attachement à l'Arménie.
Avec l'UFAR, toujours, faire bouger les murs
Et loin des considérations politiciennes françaises, le compliment de Salwa Nacouzi, rectrice de l'UFAR, se voulait avant tout un sincère remerciement au leader d'une région - la première région "arménienne" de France - dont le soutien ne s'est jamais démenti depuis la création de ce pôle d'excellence français à Erevan que constitue son université. Celle de Lyon III en est d'ailleurs membre-fondatrice et Laurent Wauquiez, dès son premier voyage en Arménie en 2019, avait décidé l'octroi d'un financement de 600 000 euros, le premier et le plus important de la part de collectivités locales, en vue de la réimplantation de l'UFAR dans de nouveaux locaux
« De constater que le projet n'a pas avancé, que rien n'a bougé et cet argent n'a pas été dépensé me met hors de moi, je déteste ça ! » s'est immédiatement offusqué le président d'Auvergne-Rhône-Alpes. « Je consultais de nouveau le dossier dans l'avion tout à l'heure : la rectrice est très engagée, l'ambassadrice aussi, ça fait partie des choses qu'on doit faire bouger. Il s'agit d'une petite somme », a-t-il cependant poursuivi avec humour, « dix millions d'euros… Mais ça se trouve, de même qu'un terrain », a-t-il encore ajouté.
« De grands projets sont lancés sur Erevan et ses alentours, ce n'est pas à moi de me prononcer sur leur nécessité, mais ce qui est certain, et c'est un élément de réflexion qui vaut aussi bien pour le business que la politique, le mieux est l'ennemi du bien », a -t-il prévenu. Plutôt que de rêver à un gigantesque campus prestigieux qui verra le jour on ne sait quand, je préfère que l'on quitte ces locaux et que l'on arrête d'être à l'étroit. Le site actuel n'est plus du tout à la hauteur de ce que l'on attend d'une université franco-arménienne digne de ce nom. Je dois avoir des discussions à ce sujet avec les autorités arméniennes, je suis prêt à mettre davantage dans la balance en termes d'engagements de ma région mais la contrepartie que j'exigerai sera que le projet sorte tout de suite », a conclu Laurent Wauquiez en refermant ce dossier.
Contre l'ignorance et la cécité
Car c'est aussi de l'Arménie et avec sa jeunesse la plus prometteuse que l'ancien maire du Puy-en-Velay souhaitait discuter, pour lui faire part de son inquiétude et de sa révolte vis-à-vis de la situation qu'elle traverse aujourd'hui mais aussi de la confiance qu'il voue à son devenir. Tenant tout d'abord à lui témoigner de sa solidarité, Laurent Wauquiez a évoqué l'émotion qui l'avait saisi, quelques minutes plus tôt, alors qu'il avait été invité à se recueillir devant le mémorial des treize étudiants de l’université tués au combat contre l'Azerbaïdjan ces deux dernières années.
L'émotion avait été forte lorsque la sœur de l'un d'eux, Anna Sargsyan, lui avait remis un livre mémoire qu'elle avait écrit sur son frère disparu. « D'avoir été capable d'écrire ce livre sur ton frère », cherchant Anna du regard dans l'amphithéâtre, « c'est quelque chose de très fort. J'aimerais que ton livre soit traduit en français car la première bataille, c'est de faire savoir. De faire en sorte que ceux qui sont morts ne le soient pas pour rien et qu'ils ne soient pas oubliés. La meilleure façon d'organiser la résistance de l'Arménie, c'est de faire que tout le monde ouvre les yeux, que les gens comprennent qu'il n'y a pas que ce qui se passe en Ukraine, il y a aussi ce qui se passe en Arménie et en Artsakh ».
Devant tous les étudiants cette fois, Laurent Wauquiez a ainsi souhaité rendre hommage au courage de la population karabakhtsi, « à la résistance de vos compatriotes qui alors même que tout est bloqué refuse de céder et d'abandonner leur territoire. La facilité serait de partir, eux restent là-bas parce qu'ils ont conscience que ce sont les seuls à pouvoir défendre leur terre » a-t-il reconnu en annonçant qu'il se rendrait le lendemain sur la route de Latchine et dans la province du Syunik. « Il faut aussi que nous restions très vigilant à ce que la frontière sud reste ouverte parce que pour vous c'est une protection : vous avez besoin de l'Iran et vous avez besoin de la Russie et on a besoin de ces deux puissances contre Bakou et cette tenaille entre la Turquie et l'Azerbaïdjan. Toute personne qui s'attaquera au Syunik s'attaquera aussi à la France » s'est laissé emporter celui qui s'en verrait bien le premier élu avant de se reprendre en corrigeant : « à un territoire ami de la région Auvergne - Rhône Alpes et de la France ».
L'homme a reconnu la force du choc, « immédiat quand on arrive en Arménie et que l'on est confronté à cette violence », mais aussi les aspirations de la jeunesse arménienne : « J'ai conscience de ce mélange qui vous habite nécessairement entre l'insouciance, l'envie d'avenir et ce poids que représentent toutes ces forces géopolitiques qui planent au-dessus de l'Arménie. J'ai confiance en vous et dans ce qu'est l'Arménie, votre esprit et celui du peuple dont vous êtes aujourd'hui l'avenir et qui n'a jamais baissé la tête ». Il a tenu à leur faire passer ce message : « il n'y a rien de plus beau que de servir quelque chose de plus grand que soi, et vous êtes cette génération qui a le devoir de faire en sorte que l'Arménie sorte de ces épreuves. Avoir une patrie, avoir une nation c'est sacré, il faut la protéger, pour que l'Arménie réussisse elle a aussi besoin que vous lui fassiez confiance et que vous ne partiez pas ».
Une certaine vision pour le devenir et la pérennité de l'Arménie
La transition était déjà toute trouvée pour revenir aux sujets chers à Laurent Wauquiez de l'éducation et de l'enseignement supérieur mais aussi de faire part aux étudiants de l'UFAR de sa vision pour le devenir et la pérennité de leur pays. « Nous nous sommes fait une promesse, celle de ne jamais vous abandonner et d'être toujours aux côtés de l'Arménie, en soutenant d'abord tout ce qui est enseignement supérieur avec l'UFAR et professionnel avec le réseau du centre d'enseignement professionnel franco-arménien. Nous avons également travaillé sur des partenariats économiques, de développement, touristique et agricole, ainsi que dans le domaine de la recherche et de l'innovation. Pour que l'Arménie protège son destin, elle doit être forte économiquement. Vous n'avez pas de gaz, de pétrole ni d'énergies fossiles mais vous avez un atout extraordinaire : votre cerveau arménien, une capacité à former les esprits les plus brillants. Si vous voulez pouvoir combattre des pays qui veulent vous tuer à l'aide des recettes qu'ils prennent des énergies fossiles, c'est sur cela que vous devez compter ».
Pour Wauquiez, l'Arménie aurait sans doute à gagner en s'inspirant du modèle israélien avec la construction d'une société fondée sur les technologies et les start-up, « un tout petit pays qui assume sa prospérité. Pour que ça marche, vous avez besoin d'aide, ça veut dire qu'il faut que la diaspora arménienne s'investisse très fortement en soutenant ce choix et que notre coopération internationale se positionne autour de cette idée. Celle de l'UFAR, autour de l'économie des services, de l'innovation et de la codification en est une très bonne. S'il y a un secteur sur lequel il faut faire porter le maximum, c'est celui-là, d'autant que l'économie digitale permet de s'organiser de façon beaucoup plus fluide et que les mines d'or du 21e siècle, elles sont là où l'on trouvera les cerveaux, les ingénieurs et les codeurs et donc les entreprises. Ici, à l'UFAR, vous y avez tous votre place : elles ont aussi besoin de juristes et de commerciaux, il faut concevoir et élaborer les projets ».
A la question de Gevorg Baghdasaryan, ancien étudiant de la faculté de marketing de l'UFAR mais aussi de l'Institut d'Administration des Entreprises Lyon III qui voulait justement savoir vers quels domaines devraient s'orienter les entrepreneurs arméniens, notamment ceux du secteur des PMI-PME, Laurent Wauquiez a une nouvelle fois repris en exemple Israël, « pays de la tech mais aussi de l'agriculture. Une agriculture prospère capable de nourrir son pays et de transformer des produits agroalimentaires est capitale lorsque l'on est sans cesse confrontés aux risques de blocus ». Faut-il y voir un symbole involontaire appelant à la stabilisation que chacun souhaite, le politicien auvergnat a aussi évoqué l'Égypte et son secteur du tourisme : « gros pourvoyeur de devises et havre de loisirs au milieu d'une région compliquée ou beaucoup viennent se vider la tête et se ressourcer. L'Arménie possède semble-t-il cet atout potentiel ».
Potentiel et indéniable. De cette géographie exceptionnelle, Laurent Wauquiez y a aussi fait faisait allusion à plusieurs reprises. Et peut-être de ses mots peut-on tirer cette conclusion lyrique mais si belle et si juste : « Quand on arrive ici, on sent aussi que l'on se trouve dans un endroit unique au monde où la puissance de la montagne et celle du ciel disent beaucoup du peuple qui vit ici. J'aime sentir à la fois ce poids de l'histoire, cette force de s'appuyer sur quelque chose d'aussi puissant sans jamais s'y laisser enfermer et de toujours se projeter vers l'avant ».