Rodolphe Barsikian, une œuvre entre particules digitales et "phygitales"

Arts et culture
13.12.2021

Rodolphe Barsikian, un artiste du digital vient d’exposer pour la première fois en Arménie, un pays qui porte son identité et marque inconsciemment son travail. Une "black box" de théâtre et des écrans suspendus… Une sensation d’immersion dans le travail artistique de Rodolphe Barsikian, le dessin vectoriel, une autre façon de penser l'expression graphique…

Par Lusine Abgarian

Nous avons rencontré l’artiste dans l'univers sombre de son œuvre "phygitale", mi-physique, mi-digitale, le terme en vogue d'un art qui met en dialogue des pierres gravées et les incrustations digitales de sa banque d’images.

Comment avez-vous été orienté vers l’art digital, quels étaient vos débuts ?

Je dessine depuis tout petit. C’est ancré en moi. Je dessinais des carrés et des cubes avec un crayon, je décalquais aussi.

Ensuite, j’ai passé le concours de l’École d’art publique de la Ville de Paris (l'EPSAA), une école très académique qui m’a permis de construire des œuvres dans l’espace, de me faire un œil artistique et d'éprouver ma technique. Je me suis ensuite orienté vers une école de graphisme, l'Institut supérieur des arts appliqués (LISAA), plus créative, qui autorise une plus grande audace au niveau technique et dont les professeurs sont des personnalités déjà reconnues dans leur domaine. L'un d'entre eux, Marie Arnold, m’a orienté vers le digital. J’ai compris qu’il y avait une sorte de liberté dans le dessin vectoriel et je me suis lancé dedans corps et âme, en développant mes propres techniques.

Il y a aussi un lien étroit entre mon travail et la musique. J’ai fait ce métier parce que mon père, qui est d’ailleurs guitariste, était fan de Pink Floyd. En voyant les pochettes de ses albums, j’étais fasciné et je voulais le illustrer moi-même. Plus tard, j’ai exécuté un dessin qui se rapprochait un peu de l’une des pochettes d’albums du groupe psychédélique anglais.

Je suis entré assez rapidement dans la vie professionnelle. J’ai d'abord travaillé comme designer graphique, mais vers l'âge de 35 ans j’ai voulu prendre une autre direction et me suis orienté vers l’art expérimental.

Parlez-nous du processus de création de vos œuvres et de cette exposition également.

J’ai créé une banque d’images. J’ai collecté énormément d’éléments d’observation du réel, même si c’est digital et complètement abstrait comme travail. Ce sont des parties graphiques, des éléments organiques observés dans la nature et traduits graphiquement. Des branches, par exemple. Le réel et le "phygital" sont liés.

Ce que j’expose c’est un extrait de mon travail. C'était trop complexe d'apporter ici les pièces exposées à Paris, elles sont de grande taille et fragiles. Les sculptures qui font partie de l’exposition ont été faites en Arménie. Des sculpteurs de "khatchkars", les fameuses "croix de pierre" arméniennes ont été réalisées sur la base de ce que je leur ai fourni. Les éléments plastiques sur les pierres sont liés à la partie digitale.

Dans ce travail, on est dans l’écriture. L’aspect typographique est important, c’est la partie inconsciente de mon travail. Sur les "khatchkars", on imbrique des modules les uns dans les autres, tout ce qui apparait en couleur, c’est la partie émotionnelle de mon travail. Cela rajoute de l’énergie et du mouvement. Je fais un travail de structure, pas de peintre. C’était important pour moi en tant que français d’origine arménienne d’exposer et de montrer le savoir-faire arménien. J'en ai déjà reçu des échos en France.

Quel est le concept de votre travail ? Y a-t-il des sujets particuliers incarnés par vos œuvres ?

C’est le travail d’une vie. Si j’avais su écrire, j’aurais été écrivain. Malheureusement je n'ai pas ce talent, c’est une autre forme d’expression, une écriture émotionnelle que j’ai inventée avec ses propres codes. D’ailleurs, quand on regarde bien les dessins, on peut remarquer des éléments de l’alphabet arménien qui me sont venus de manière inconsciente.

Vous avez certainement des sources d’inspiration.

Tout à fait. Mes principales sources d’inspiration sont les artistes qui m’ont marqué dans ma jeunesse. J’ai une culture très "design graphique". En France, ce sont les "M/M", des designers graphiques très connus dans le monde entier qui ont collaboré avec des artistes mondialement connus comme Kanye West par exemple, ou d’autres personnes encore.

À quel moment la couleur doit intervenir dans votre création ?

Quand je construis mes œuvres, je laisse reposer un peu, comme la pâte à pain. J’attends le bon moment. La construction nécessite beaucoup d’énergie, autant que la déstructuration, au gré du moment, au gré de l’attitude, mais aussi de l’environnement. Quand je déstructure une œuvre, je lui donne "son âme". D’autres paramètres extérieurs peuvent aussi intervenir : l’endroit où je me trouve, la musique que j’écoute, l’humeur… Une œuvre récente par exemple, faite pendant le confinement en France et la guerre de 44 jours en Arménie, que je voulais très organique. Je n’avais pas envie de lui donner de la poésie : j’étais dans le "brut". C’était plus lourd, plus intense, avec des éléments plus imposants, de gros modules avec des couleurs vives. On était dans l’explosion, c’était brutal ! En général, quand je crée des œuvres dans un moment plus poétique, plus spirituel, je prends le temps. Là, pour alourdir l’œuvre, j’ai gardé beaucoup d’éléments que j’efface normalement. J’ai aussi ajouté une couleur plutôt organique, j’étais dans le rouge. C’est une œuvre qui s’appelle "Extraction 1".

Vous disiez que la musique est liée à votre travail. Quel type de musique écoutez-vous pendant votre processus de création ?

J’ai une culture très "rock". Je suis fan de Pink Floyd et Radio Head, de la musique électro, hardcore, métal… Je suis aussi influencé par le hip-hop et le rap… Je suis de la génération qui a vu naitre tous ces mouvements et cette musique accompagne mon travail. Mais mon spectre musical est très large.