Sur le plateau de l’Atelier d’art dramatique bilingue en janvier se jouaient des scènes de Molière, de Beckett et de Pommerat. Yveline Hamon et Ewa Lewinson, deux artistes françaises étaient invitées à pratiquer la transmission dans un environnement bilingue, à Erevan et à Gyumri.
Par Lusine Abgaryan
Yveline Hamon est comédienne et metteur en scène, elle enseigne depuis 25 ans un métier pour elle d' «un bonheur absolu». Ancienne élève de Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, elle a travaillé aux côtés de grands maîtres comme Antoine Vitez, Daniel Mesguich ou Charles Tordjman. Il y a quelques années, elle a fondé le Studio JLMB (Jean-Louis Martin-Barbaz) qui avait accueilli l’été dernier les stagiaires de la première édition de l’atelier.
Ewa Lewinson, elle, a parcouru tous les cours de théâtre qui existaient à Paris, ayant traversé trois systèmes différents, comme elle l’évoque, sous trois ministres de Culture différents. L'Institut d’études théâtrales, la Maîtrise spécialisée de théâtre, l'école Dullin où enseignaient les acteurs diriges par Jean Vilar... Ayant réalisé ses propres mises en scène dans un théâtre avant-gardiste fondé par un metteur en scène inconnu à l’époque, Antoine Vitez, Ewa a fondé plus tard la section d’art dramatique du Conservatoire de Bourgogne où elle a enseigné pendant 12 ans.
Yveline Hamon et Ewa Lewinson reviennent pour le Courrier d’Erevan sur leur travail avec les jeunes artistes arméniens et font part de leurs observations sur l’état des lieux du monde théâtral aujourd'hui en Arménie.
Comment vous est venue cette idée de venir travailler à l’Atelier, à Erevan, avec de jeunes artistes?
Yveline Hamon : Serge Avédikian m’en avais deja parle l’année dernière alors avant même sa création. Je lui avais dit que je voulais venir et participer à cette belle aventure, c'est arrivé cette année. L’arrivée ici était magnifique : découverte du pays, découverte de Gyumri en premier parce que c’est là que je suis intervenue en premier. Une ville superbe, des gens super, que du bonheur.
Je trouve que le projet est formidable, encore à développer, à réfléchir, trouver d’autres horizons, mais c’est un beau bébé.
Ewa Lewinson : Un jour, j’ai reçu un coup de fil de Serge et j’étais étonnée. Il m'a proposé de voir et j’ai dit oui tout de suite, car j’aime beaucoup enseigner. J’y ai consacré une bonne partie dans ma vie, à l’étranger notamment : au Burkina Faso, en Grèce… C’était une grande joie pour moi, mais aussi une grande tristesse, car les Grecs avaient besoin de faire venir des spécialistes de théâtre de l’étranger, alors qu’on leur doit tout.
L’Arménie, je ne connaissais pas du tout. Il faut dire que l’Arménie pour nous est un peu comme un pays mythique que l'on a très envie de découvrir. À cause de son histoire, bien sûr : un pays enclavé, entouré d’ennemis ; on a envie de le connaître de près. J’ai accepté de venir tout de suite. On nous avait toujours dit que les hivers étaient durs et qu'il pouvait faire jusque moins vingt degrés mais j'ai dit que ça m'était égal, cela m’a même plutôt excitée.
Comment avez-vous trouvé la formation des élèves marquée par le système Stanislavski ?
Y.H. : Il y a un seul point à ce sujet sur lequel je voudrais intervenir. Ils ont une formation qui est relativement complète. Je les ai vu en atelier mais aussi en représentation, et je me suis rendue compte qu’ils avaient un déplacement très délié, une aisance corporelle vraisemblablement due à leur formation, ils savent chanter, danser, c’est une formation complète. J’émettrai toutefois une réserve, que je leur ai exprimée d’ailleurs : ils sont dans un jeu qui est un tout petit peu trop fort pour moi. Je suis très attachée à l’authenticité et il y a chez eux, dans leur formation, un jeu qui est un peu forcé. Ce n’est pas un jeu qui part du cœur mais qui s’appuie sur des mimiques ou d'autres choses de cette nature.
E.L. : J’ai beaucoup de respect pour la formation qu’ils ont reçu, la formation Stanislavski. Elle est extrêmement complète et se suffit à elle-même si on la pousse jusqu’au bout. Les élèves, je les trouve tous formidables. Ceci dit, il y a des aspects que je trouve un peu particuliers. Un jour, un élève m’a dit qu’il avait fait quatre ans d’école et n’avait jamais travaillé la comédie. Ils sont extrêmement graves, ils montrent la souffrance alors que dans la vie, je ne pense pas que les gens d'ici en soient spécialement accablés. Mais j’ai l’impression que pour eux, la vérité, c’est de se situer dans une extrême gravité. Du coup, ils perdent tout l’aspect ludique du jeu de scène. J’ai quand même essayé de leur faire faire les choses d’une manière un peu plus ludique et ils en étaient très étonnés. Par exemple, je leur ai fait travailler le théâtre classique comme une farce, des choses un peu comiques. Ils n’ont pas cette formation justement, et quand je leur ai mis le nez du clown, ils étaient très étonnés. Pendant leurs quatre ans de formation, on ne leur fait pas travailler comme chez nous pas ces ateliers spécifiques du clown, l'Auguste. Ils savent porter le masque blanc mais ils n’ont pas la joie dans leur jeu. Ils ont la gravité, mais pas la joie.
Y.H. : Moi je parle de la jubilation et pour moi c’est une valeur basique. Il n’y a pas cette jubilation effectivement, mais c’est probablement Stanislavski aussi. En revanche, il y a beaucoup d’humour et je l’ai perçu dans tous les exercices qu’on a faits et dans les performances qu’ils ont proposées.
E.L. : C’est aussi une forme de désespoir qu’ils ont. Ce qui est aussi formidable, c’est leur souplesse : quand on leur demande quelque chose, ils le font à fond, il n’y a pas de réserve. Ils sont toujours prêts et il y a un grand engagement et beaucoup de sérieux.