Artiste qui ravive la mémoire spirituelle ancestrale et en matérialise les chants, Nina Khemchyan, erevanaise parisienne, est de retour dans sa ville natale pour son exposition "Écho". Passant par les sculptures figuratives, ayant adopté la sphère depuis quelque temps, l’artiste est en perpétuelle quête d'inspiration. Depuis quelque temps, c’est la spiritualité qui la hante…
Par Lusine Abgaryan
Cela fait deux années exactement que Nina Khemchyan a ressenti le besoin de se tourner vers ses origines. « C’est la guerre qui m’a dirigé vers mes sources », confie-t-elle, un déclic, comme pour de nombreux artistes arméniens, qui se sont retournés et rapprochés de leurs origines.
Dans sa rétrospection séculière vers ces sources, le personnage de Mesrop Machtots, le créateur de l’alphabet arménien, s'est imposé, incontournable tout comme son œuvre, un véritable trésor pour les Arméniens ainsi que pour le monde entier. Et lorsqu'on pense à Mesrop Machtots, « la première chose qui vient en tête, c’est l’alphabet », rappelle Nina.
"L’Écho", résultat de sa réflexion artistique, se focalise donc sur la lettre, l’écriture et la lecture, qui constitueraient selon l'artiste, « nos réponses à la barbarie ». C’est ainsi qu’elle fait réincarner les 11 charakans, les chants spirituels de Machtots, arrivés jusqu’à nous sur ses sphères.
Une autre rencontre dirige l’œuvre de Nina. La voix d'Hasmik Baghdassaryan-Dolukhanyan, « angélique », comme la caractérise Nina, interprète ces charakans . Elle est devenue un guide de son travail : « Quand j’ai entendu sa voix, j’ai tout de suite senti une résonance avec mon œuvre », se souvient-elle. Exposée aujourd’hui comme un diptyque alliant la voix de la cantatrice et les sphères qu'elle entoure, elle leur confére encore plus de spiritualité : « Notre oreille entend la voix, notre œil peut suivre le texte », précise Nina, en insistant sur l’aspect de matérialisation qu’offre son œuvre : « Si je voulais fixer la voix qui part de la terre vers l’univers, les sphères l’ont fixée à mi-chemin. Le travail est éphémère. Chaque sphère est vraiment différente. Comme de multiples voix qui entrent en communion vers le ciel ».
L'œuvre entrecroise matériel et spirituel, le bleu est sa couleur. « C’est celle de la spiritualité. Les mots gravés sur les sphères sont dorés, car ceux que nous exprimons, sont de l’or », explique l’artiste.
« Avec ce travail je voulais rendre hommage à Machtots, et puis, je voulais que cette œuvre devienne intemporelle », dit Nina, ajoutant que ce bleu, en vogue, permet de ne pas diriger l’œuvre vers le passé, bien que son sujet lui vienne de la nuit des temps. Elle a décidé d’éviter les nuances de bleu qui se réfèrent directement à l’art oriental : « Malgré le sujet qu'elle évoque, je voulais que la couleur de l’œuvre ne soit pas une allusion au passé. Je voudrais qu’elle soit intemporelle et qu’elle soit parlante pour l’actualité. Il s’agit de la pénitence, et on en a tous besoin aujourd’hui », ajoute-t-elle.
Suspendues en l’air, l’une à côté de l’autre, les sphères décrivent une courbe et surtout pas une ligne droite. La courbe répète le mouvement d’un fragment de notes musicales écrites. La musique a accompagné l’artiste pendant toute sa création, les mots qu’elle gravait en spirale sur les sphères sont les paroles des charakans qui s'élèvent. « Pour cette œuvre, je me suis laissée aller jusqu’à bout, il n’y a pas eu de réserve », se souvient l’artiste.
Nina porte aujourd’hui sur le résultat de son travail le regard d'un visiteur, préservant au fond du cœur, la relation qui la liait à son œuvre durant les deux années précédentes.
L’exposition est ouverte jusqu'au 6 novembre à la Galerie Cafesjian aux Cascades d'Erevan. Le projet est soutenu par l’Ambassade de France en Arménie.