D’un magazine à une maison d’édition : l’itinéraire passionnant de Newmag

Arts et culture
20.05.2021

La publication d’un livre est toujours une aventure extraordinaire. La maison d’édition Newmag, avec une liste de parutions sortant de l’ordinaire, vise notamment à aider le lecteur arménien dans sa croissance personnelle. Artak Aleksanyan, directeur de Newmag, nous livre une belle présentation de cette maison d’édition qui a une place de choix sur le marché du livre arménien, avec une compétence notable et une dynamique surprenante.

Par Luciné Abgarian

La maison d’édition Newmag est entrée sur le marché du livre en se focalisant sur la littérature de non-fiction. Pourquoi ce choix ?

Newmag publiait le magazine du même nom depuis 2010. Le dernier numéro du magazine est sorti en décembre 2017. Et comme la publicité s’est principalement transportée sur les plateformes numériques, nous n’avons pas été à la traîne de la tendance mondiale, et nous avons arrêté de publier le magazine. Mais comme il y avait une équipe professionnelle de traducteurs, relecteurs, designers, nous avons décidé de nous lancer dans l’édition. La monétisation du livre est en fait, beaucoup plus élevée, vous pouvez vendre un très bon magazine pendant un mois seulement, mais vous pouvez republier un bon livre plusieurs fois.

J’observais moi-même le marché pour identifier les lacunes que Newmag pouvait combler. Je me suis rendu compte qu’il manquait principalement des livres de non-fiction, c’est-à-dire qu’il n’y avait pas de maison d’édition qui s’appuie spécifiquement sur ce genre.

Pour le premier livre, nous avons porté notre choix sur un best-seller mondial, le leader sur plus d’une trentaine de marchés. Il s’agit de « L’Art subtil de s’en foutre : Un guide à contre-courant pour être soi-même (arm. Թքած ունենալու նուրբ արվեստը» de Mark Manson.

 

Comment se déroule la sélection des best-sellers mondiaux ?

D’habitude, c’est moi qui fais les propositions de livres à publier, et il y a, bien sûr, le comité d’édition de Newmag qui discute les propositions pour les approuver ou pas. Quant à moi, je fais le choix d’abord en fonction des statistiques de vente ; puis, nous examinons la pertinence du livre pour notre public ; enfin, nous calculons le temps nécessaire pour la traduction, pour savoir si le lecteur sera toujours intéressé à le lire après un certain temps.

Notre principe est de publier des livres qui aideront les gens à vivre, à s’orienter, à prendre des décisions, à connaître le monde, mais aussi à se connaître.

 

Newmag a commencé à publier également des œuvres d’auteurs arméniens contemporains. Comment trouvez-vous vos auteurs ?

En fait, ce sont les écrivains arméniens qui nous trouvent et nous proposent leurs œuvres. Malheureusement, nous n’avons pas encore un grand portfolio d’auteurs arméniens, et ceci pour les raisons suivantes : d’abord, nous refusons nous-mêmes 50% des manuscrits qui nous parviennent, les autres 45 % d’auteurs n’ont pas l’habitude de travailler avec des maisons d’édition, ils pensent avoir écrit l’œuvre de leur vie et trouvent souvent que l’éditeur ne doit pas faire des propositions de modification. Nous travaillons donc avec les 5 % qui restent.  

 

Est-ce que Newmag envisage de faire une extension de son répertoire de genres littéraires ?

Depuis six mois, nous avançons modestement vers l’intégration du genre de la fiction dans notre collection. Nous ne l’avions pas prévu au début, mais il y a une forte demande. La deuxième direction dans laquelle nous allons nous lancer, c’est la littérature pour enfants. La troisième sera la publication d’une littérature scientifique populaire. Comme nous avons commencé par la publication des livres sur la croissance personnelle, nous ferons progressivement la transition vers la littérature scientifique populaire, comme par exemple, la trilogie de Harari, ou « Un acte honteux » (arm. « Խայտառակ արարք ») de Taner Akcam.

Enfin, la quatrième direction qui est très importante pour nous, c’est la littérature professionnelle sur les affaires ("business").  

 

Qu’est-ce que le lecteur arménien préfère lire aujourd’hui et quelle est la raison de cette tendance, si telle existe ?

Je pense que le lecteur arménien n’est pas très différent du lecteur français ou un autre. En termes de comportement de consommation, ils sont quasiment identiques, dans le sens que le lecteur arménien lit Harari tout comme le lecteur français le lit. Le lecteur arménien s’intéresse à la croissance personnelle, le lecteur français s’y intéresse aussi. Le but ici est de fournir le livre et  de créer une offre. Il semble qu’il y ait beaucoup de maisons d’édition, mais en réalité le choix n’est pas suffisant en Arménie.

 

Que dirait le directeur d’une maison d’édition aux lecteurs qui pensent que le papier est désormais obsolète ?

Je pense que lorsque le cinéma a été créé, tout le monde parlait de la mort du théâtre. Lors de la création de la télévision, tout le monde parlait de la mort du cinéma et du théâtre. Mais les chiffres des trois dernières années montrent le contraire: les gens reviennent au papier, parce que le papier peut donner beaucoup de choses. Tout d’abord, il ne fait pas mal aux yeux, deuxièmement, c’est une autre culture de lecture, troisièmement, c’est beaucoup plus pratique. Et enfin, c’est le passe-temps le plus inoffensif, car sauf le livre, il n’y a pas d’autre passe-temps qui n’ait aucune conséquence dangereuse possible.

Cela signifie-t-il que la lecture électronique est une mauvaise habitude ? Bien sûr que non. Moi, personnellement, je lis en deux versions, mais en général, je n’arrive pas à avoir les mêmes impressions avec le numérique, qui me parviennent du papier.  Ils se complètent. Par exemple, la littérature professionnelle, je la lis uniquement en version électronique, mais les livres que je veux ressentir sont en papier.

 

Qu’est-ce qui vous attire et vous passionne le plus dans ce métier de directeur d’une maison d’édition ?

Le fait que le lecteur lise mes livres préférés et qu’il ait les mêmes émotions que moi. Par exemple, il y a une tournure inattendue dans l’intrigue du «  Le patient silencieux » (arm. « Լռակյաց հիվանդը ») d’Alex Michaelides, et quand je le lisais, j’ai failli tomber de ma chaise. Plus tard, en lisant les critiques de nos lecteurs, j’ai compris qu’ils ont ressenti ce passage de la même manière que moi et pour cette raison, je considère ma mission accomplie.

 

Quels livres publiés par Newmag nos lecteurs doivent absolument découvrir ?

Les souvenirs de Vardan Gregoryan «Road to home» (arm. « Տուն տանող ճանապարհը. Իմ կյանքի պատմությունը »). C’est un livre très coloré qui décrit l’itinéraire d’un jeune irano-arménien de 20 ans vers les grattes-ciel de New York. Je recommanderais de lire le livre de Djorkaeff  «Snake» , car il a eu une carrière de footballeur intéressante formée d’abord par son jeu, mais aussi par son personnage et ses principes. Et ce livre parle exactement de ses choix et de ses décisions compliquées, ainsi que de son travail acharné.

Je recommanderais de lire également le mémoire de Karen Balyan intitulé «Phoenix  Darbinyan », qui traite de l’architecture moderniste d’Erevan abolie, et qui présente en profondeur la philosophie avec laquelle la ville de Erevan a été construite.