"Plus jamais ça" : un séminaire sur les crimes de masse à l’Université française d’Arménie

Complément spécial UFAR
08.10.2024

Un séminaire intensif de deux jours sur les crimes de masse s’est tenu à l’Université française d’Arménie (UFAR), sous l’égide du Mémorial de la Shoah de Paris et avec le soutien du ministère allemand des Affaires étrangères.

Par Olivier Merlet

 

« Interroger le “Plus jamais ça” - Comparer pour mieux singulariser » … Son titre évocateur soulignait l’ambition de l’événement : confronter les horreurs du passé avec rigueur et objectivité à la croisée de l’histoire et du droit, dans l'espoir de mieux comprendre ces tragédies collectives et prévenir leur répétition.

L’initiative, rare en Arménie, revêtait une importance toute particulière, soulignée par Salwa Nacouzi, rectrice de l’UFAR, en ouverture du séminaire. « Le moment est exceptionnel. En tant qu'Arménien, vous êtes déjà impliqué dans le thème de la prévention du génocide, les génocides sont une tragédie personnelle et nationale. Mais vous devez comprendre que c'est aussi une question scientifique très sérieuse ». Elle a aussi rappelé ces mots de Simone Weil, répondant à ceux qui refusent de nommer et reconnaître les génocides : « Si nous n'avons pas parlé c'est parce que l'on n'a pas voulu nous entendre, pas voulu nous écouter. »

Pendant deux jours, cinquante étudiants de toutes les filières, leur nombre était limité, ont pu plonger dans les arcanes de l’histoire des crimes de masse grâce aux témoignages d’éminents historiens et spécialistes du génocide. Des documents d’archives du Mémorial de la Shoah, minutieusement collectés depuis la Première Guerre mondiale, ont servi de base aux discussions. À travers cette démarche scientifique, l’objectif n’était pas simplement de comprendre des faits, mais de mesurer l’importance de la terminologie et des mots employés pour décrire ces atrocités.

L’importance des mots dans l’histoire

Pour Bruno Boyer, représentant du Mémorial de la Shoah, la précision des termes utilisés est cruciale : « Les inexactitudes terminologiques peuvent engendrer des incompréhensions profondes ». Il a évoqué l’écrivain George Orwell, qui dans "1984" dénonçait la manipulation des mots pour changer le sens des réalités : « les nazis ne seraient plus des nazis, les fascistes ne seraient plus des fascistes, et le génocide ne serait plus perçu comme tel ». Constat glaçant à l’heure où certains régimes autoritaires, certains voisins de l'Arménie, tentent de réécrire ou de nier l’histoire. « Nous voulons redonner aux mots tout leur sens, évaluer objectivement ce que sont les atrocités de masse et les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et le nettoyage ethnique ». L'atelier portait ce message fort : préserver la vérité historique contre les falsifications.

« Vous êtes les descendants d'une nation qui a vécu un destin tragique », a souligné Bruno Boyer, reconnaissant la signification et la dimension uniques que revêtait ce séminaire, ici à Erevan, si différent de ceux déjà organisés à Belgrade, Barcelone ou Milan. Il a invité les étudiants à se concentrer sur cette mémoire partagée des Arméniens en leur rappelant l’importance d'en transmettre les faits, précis et rigoureux, mais surtout de les rendre compréhensibles, afin qu'ils puissent éclairer pertinemment ceux qui peuvent et pourront encore se dérouler, aujourd'hui et demain.

Défis contemporains et mémoire historique

C'est justement au présent et à son actualité que l'ambassadeur de France en Arménie, venu lui aussi salué l'événement, a tenu à se référer. Olivier Decottignies a lui aussi rappelé que la comparaison entre évènements historiques est essentielle pour formuler une analyse éclairée, surtout face à la diversité des points de vue. « Nous assistons aujourd'hui à une politique de déni, lorsque certains rejettent simplement ce qui est arrivé aux Arméniens ». Reconnaissant avoir reçu des témoignages édifiants de la part de Yezidis lorsqu'il travaillait en Irak, l'ambassadeur a insisté, à l'intention des étudiants, « dans un monde où les tragédies se répètent — du Haut-Karabakh au Moyen-Orient — maintenir vivante la mémoire historique devient un défi central ».

L'histoire des génocides n'a bien sûr pas été ignorée durant ces deux journées de séminaire. Claire Mouradian, professeure à l'École des hautes études en Sciences sociales de Paris (l'EHESS) a présenté les facteurs constituants de "la matrice intellectuelle du génocide des Arméniens", et Suren Manukyan, chef du département d'études comparatives sur le génocide au Musée-institut de Tsitsernakaberd, a tracé le portrait de ses principaux auteurs et responsables.

Le but véritable de cette formation visait avant tout à donner aux étudiants les outils pour comprendre la vérité parfois inavouable du monde qui les entoure et être en mesure de contrer les tentatives de falsification qui se multiplient. Face à la montée des discours négationnistes, de la fausse information et de la distorsion des faits, la compréhension précise de l’histoire des crimes de masse devient plus que jamais un impératif moral et politique. À travers cette initiative, l’Université française d’Arménie et ses partenaires internationaux ont réaffirmé leur engagement pour la vérité et la justice.