
L’identité arménienne a longtemps associé nationalité et religion. Croire et suivre le rite apostolique arménien fut longtemps une tradition universelle pour tous les Arméniens. Mais au cours du XXe siècle, les déplacements de population à travers le monde suivant le génocide arménien (1915-1923), le joug de l’URSS et la mondialisation ont ouvert l’identité arménienne à d’autres influences, qui se retrouvent dans la façon dont les Arméniens fêtent Noël.
Par Camille Ramecourt (en partenariat avec le magazine Le taurillon)
Une fête chrétienne, mais quel jour ?
Avec la quasi-totalité de la population qui se déclare chrétienne, la question n’est pas tant de savoir si l’on fête Noël en Arménie, mais plutôt de savoir comment et selon quelle tradition. L’église des premiers siècles célèbraient à la fois la Nativité, le 1er miracle des Noces de Cana et le baptême de Jésus le même jour, le 6 janvier.
Cependant, le Pape Libère au IVe siècle a décidé de séparer les célébrations afin de christianiser la fête païenne du solstice d’hiver, considérée par erreur être la nuit du 24 décembre à l’époque. Ainsi, techniquement, orthodoxes et catholiques célèbrent Noël à la même date du 25 décembre, mais les calendriers diffèrent. Les orthodoxes suivent le calendrier julien, avec 13 jours de retard sur le calendrier grégorien des catholiques, ce qui leur fait fêter Noël le 7 janvier du calendrier grégorien. L’écrasante majorité des Arméniens sont apostoliques, orthodoxes, mais n’ont pas séparé la Nativité et l’Épiphanie, et conservent une célébration commune de ces deux évènements le jour de la Théophanie, le 6 janvier du calendrier grégorien… sauf pour les Arméniens de Jérusalem, qui n’ont pas adopté le calendrier grégorien et célèbrent encore la Théophanie le 6 janvier du calendrier julien, le 19 janvier du calendrier grégorien.
En somme, lorsque l’on parle de “Noël arménien” c’est en général de la Théophanie du 6 janvier du calendrier grégorien dont on parle.
Les Arméniens tous orthodoxes ?
En Arménie, l’église catholique de rite latin coexiste avec celle de rite arménien, fêtant Noël à la même date de deux calendriers différents. Le rite latin est apparu à la fin du XXe siècle dans la République d’Arménie nouvellement indépendante, sous l’influence de missionnaires européens. Mère Thérésa, parmi les premières, a souhaité venir en aide à la suite du tremblement de terre de Spitak de 1988, et elle aurait même révélé au Catholicos Vazgen I (le plus haut responsable religieux du pays) que son père était Arménien. Selon le rite latin, Noël se fête le 25 décembre.
L’église catholique de rite arménien cependant, est une église endémique au pays, fondée au XVIIIe siècle. Les Arméniens catholiques sont ultra-minoritaires en Arménie, 0,46%, suivent les mêmes dates que les orthodoxes, et célèbrent donc la messe de Noël le 5 janvier au soir et le 6 au matin, en arménien. Très peu de différence donc, entre ces deux rites.
Bien évidemment, dans la diaspora, des Arméniens ont pu changer de rite, d’église, ne trouvant pas nécessairement d’églises apostolique arménienne dans leur nouveau pays, ou le rite s’est lui-même adapté. Par exemple, au Brésil, une communauté catholique arménienne fête Noël, en arménien, mais le 25 décembre.
Deux réveillons, deux messes, deux repas
La République d’Arménie actuelle est l’Arménie orientale, celle qui était sous contrôle russe, puis de l’URSS avant de devenir République d’Arménie indépendante dans les années 1990. L’influence sociétique a fait que Noël se célèbre en deux temps en Arménie. Les cadeaux se retrouvent sous le sapin ou dans les chaussettes le 31 décembre, et on va à la messe le 5 et le 6 janvier. L’URSS voyant d’un mauvais œil les célébrations religieuses, l’emphase était mise sur le réveillon du Nouvel An, qui est devenue une fête familiale et l’est restée pour l’Arménie indépendante.
Le 5 janvier, les supermarchés sont saturés, donc les hôtes doivent s’organiser en avance pour préparer la tablée : cuisse de porc, khorovats (grillades), dolmas et sarmas (farce enroulée dans une feuille de vigne ou de chou). Les plats varient, selon les influences : cuisine levantine (kufta, houmous, moutabal, muhammara…) pour les Arméniens de Syrie et du Liban ; salade Olivier, blinchiki et éclairs pour l’Arménie post-URSS, et plats locaux pour la diaspora.
Les invités sont nombreux, et si à Erevan la tradition se perd de s’inviter spontanément chez ses voisins, à l’extérieur de la capitale, les voisins, la famille et les amis se rendent naturellement dans leur entourage, sur les 5 jours jusqu’à Noël (31 décembre - 5 janvier). Le réveillon du 5 janvier ne réunit cependant que la famille proche.
Le réveillon religieux du 5 janvier au soir est nommé Tchragalouyts ce qui signifie « allumer une lampe » car lors de la liturgie les fidèles allument des cierges, le leur, celui de leurs voisins, et éclairent l’intérieur de l’église ainsi. À l’issue de la messe de la Nativité, beaucoup prennent une bougie et l’allument à partir de celles sur l’autel. Après quoi, les fidèles la transportent chez eux où elle brûlera encore quelques heures, comme symbole de bénédiction et d’apport de la lumière de Dieu dans leur foyer. Le 5 janvier est un jour de jeûne, qui s’achève après le service du soir, avec une tradition culinaire assez homogène : riz cuit avec des fruits secs (tchamitchov plav), poisson et vin rouge. Le lendemain matin, c’est la messe célébrant le baptême de Jésus, et les Arméniens rapportent de l’eau bénite chez eux.
Table de réveillon de Marine H. Gyumri, région de Shirak.
Pas de réveillon sans une multitude de traditions
Comme la fève de la galette des rois française, une pièce peut être cachée dans des plats pour porter chance et réussite à la personne l’ayant dans son assiette lors du réveillon du Nouvel an, c’est la “Bakhti Kopek”, pièce de la chance. C’est traditionnellement dans un gata, gâteau traditionnel arménien, que se cache la pièce, dans ce cas, on l’appelle Tarehats (de tari : année et hats : pain). Le gata est rond, marqué d’une croix, et de douze boules de pâtes symbolisant les 12 mois de l’année. Il est également possible de cacher une pièce dans des ishli qyufta, des beignets à la viande.
Pour le réveillon du Nouvel An, l’importance est grande car le proverbe arménien dit que “la nouvelle année se passera comme le réveillon s’est passé”. On ouvre les fenêtres dans certaines familles pour laisser l’ancienne année partir et la nouvelle arriver. Après chaque fête chrétienne, tradition est dans la République d’Arménie de se rendre dans les cimetières pour honorer les morts.
Une tradition millénaire d’Arménie est associée aux “arbres de vie”, que l’on retrouve à chaque célébration, le nouvel an en tête. Il symbolise la continuité de la vie, des ancêtres par les racines, le présent du tronc, la fertilité des branches. Tradition était et est encore parfois de rapporter une branche ou un petit arbre dans les foyers, et de les décorer avec des fils colorés, des fruits secs, des noix et gerbes de blé, pour s’assurer une récolte abondante et une famille prospère pour la nouvelle année. Des traditions comme celles-ci trouvent un écho dans les célébrations actuelles, avec des nouvelles générations qui reconnecte avec leur culture et la partage, à l’image des danses traditionnelles arméniennes, chaque année organisées dans les villes du pays pour célébrer la Théophanie.
Arbre de vie décoré lors d’un évènement de danse traditionnel d’Ari Pari, Erevan, Décembre 2025










