La jeunesse d’Artsakh est l’une des premières victimes du blocus qui dure depuis plus de cinq mois, entre cursus scolaire perturbé et rationnement.
Par Allan Branger et Vassili Donn
Cela fait maintenant 163 jours que la route reliant l’Arménie à l'Artsakh est bloquée par les Azerbaïdjanais. À Stepanakert, la vie est de plus en plus rude pour toutes les générations, jeunes et vieux qui tentent de s’en sortir comme ils peuvent.
« Depuis le blocus, notre qualité de vie a beaucoup changé, nos magasins sont vides et il n’y a pas toujours de nourriture disponible. Avant, nous mangions beaucoup des fruits et des légumes, maintenant, il n'y en a presque plus » affirme Mane, contactée par téléphone, une élève de 14 ans qui vit à Stepanakert. La jeune fille qui souhaite un jour devenir professeure confie qu’elle a peur pour son avenir. « Nous sommes inquiets, car personne ne sait ce qui va se passer demain. Mes camarades et moi, nous n’arrivons plus à nous concentrer pendant les cours. À vrai dire, le seul endroit où je me sens en sécurité maintenant, c’est auprès de ma famille ».
Son amie Gayane, indique que la file d’attente pour obtenir l’aide humanitaire est interminable. Cette élève de l'école de physique et de mathématiques de Stepanakert confie aussi que l'électricité et le gaz deviennent des ressources rares. Pour autant, elles ne perdent pas espoir « je ne veux pas partir, j’aime ma ville. Je suis persuadée que si nous nous unissons tous ensemble, l’Artsakh pourra réussir à faire l'impossible et redevenir libre » soutient Gayane. Elle continue : «Il faut que les gens parlent de ce qui nous arrive, je ne veux pas que l’on devienne de grands oubliés, nous aussi nous avons le droit de vivre ». D'une voix désespérée, Mane s'exclame : « Les Artsakhiotes sont privés de leur droit de vivre en paix et d'être libres. Malgré cela, le monde entier reste silencieux. Nous voulons qu'ils ouvrent la route de la vie ! Depuis le 12 décembre, cette « route de vie » est fermée par le blocus azerbaïdjanais. Elle autorise uniquement le passage de l'aide internationale et des forces de la paix russes. Pour les Arméniens originaires de la région ou ayant de la famille sur place, un voyage n’est même plus envisageable. Artyun, 18 ans, est originaire de Stepanakert et vit à Erevan pour ses études. « Le problème n’est pas d’être séparé de sa famille, c’est de ne pas pouvoir les rejoindre si nous en avons envie ou besoin » déplore-t-il. Son amie Mélanie, à Erevan depuis maintenant trois ans et aussi originaire de l’Artsakh, n’a pas vu sa famille depuis plus de sept mois. Avant le blocus, elle rentrait pour les vacances scolaires auprès de sa famille qui se trouve à Stepanakert. Pour l'étudiante, le gouvernement ne se soucie pas de leur cas.
Une inaction politique perçue comme un abandon
Pour Arayik, le gouvernement a une part importante dans la responsabilité de la perte de ce territoire. Il confie, intransigeant : « si l’Artsakh se trouve dans une telle situation, c’est dû à l’inaction du gouvernement arménien ». De passage à Erevan fin novembre, le jeune garçon de 17 ans s'apprêtait à rentrer chez lui quand l'accès a été bloqué. Après être resté quelques jours à Goris, il a fini par comprendre que cela prendrait plus de temps que prévu et vit depuis chez son oncle. Il continue l’école à Erevan.
Mélanie approuve : «personnellement, je n'attends plus rien de de ce gouvernement par rapport à la situation d’Artsakh». Comme un coup de grâce pour les Artsakhiotes, le Premier ministre Nikol Pashinyan, le 22 mai, reconnaissait ce territoire comme partie intégrante de l'Azerbaïdjan. Artyun est persuadé que si les exactions azerbaïdjanaises ne sont pas sanctionnées, les intérêts économiques étrangers en sont la cause. « Beaucoup de pays européens ont de nombreux intérêts, notamment gaziers avec l’Azerbaïdjan. Ils ont peur de parler et de dénoncer les actes qu'il commet. S'il était puni, il n'agirait pas de la sorte ».
Un sentiment d’abandon également dû à la guerre en Ukraine selon lui : « Le monde entier a les yeux tournés vers l’Ukraine et c’est très bien. Moi-même, je les soutiens entièrement, mais je pense que si les gens soutiennent l’Ukraine, c'est avant tout qu'ils détestent les Russes. Personne ne déteste les Azerbaïdjanais… ».
« Après l’Artsakh, ils attaqueront l'Arménie »
« Les Azerbaïdjanais espèrent qu’on se fera à l’idée d’être rattachés à leur pays. Ils se trompent : aucun habitant de l’Artsakh ne pourra s’y accommoder. Ils tuent nos hommes, violent nos femmes et s’amusent avec le corps de nos défunts. Ils détruisent nos églises et nos Khatshkars pour imposer leur culture. Ce qui se passe chez nous, c’est aussi un génocide culturel !» s’exclame Artyun.
Pour ces jeunes d’Artsakh, c’est véritablement la survie de leur identité qui est en jeu. « C'est très éprouvant de regarder les photos des destructions faites par les Azéris car c’est notre patrimoine et notre héritage culturel qui s’écroule sous nos yeux » confie Mélanie.
Pour Artyun, jeune Stepanakertsi de 18 ans, le peuple arménien se voile la face. « Les gens ne comprennent pas que le problème ne se résume pas à l’Artsakh. Après nous, l'Azerbaïdjan s’attaquera à l’Arménie. Lorsque leurs maisons seront menacées, les Arméniens se réveilleront peut-être, mais lorsque cela arrivera, il sera déjà trop tard » déclare très remonté le jeune garçon. Mélanie confirme qu’une cohabitation potentielle avec les Azerbaïdjanais est impossible « cela détruirait notre culture et notre identité. Aucune personne normale n’aimerait vivre avec ces gens-là ». Alors qu’ils participaient à une manifestation en soutien à l’Artsakh devant l'Opéra récemment, les trois jeunes gens confient avoir été choqués du peu de monde présent.
Malgré la condamnation de la Cour internationale de justice de La Haye en février dernier et celles de la communaute internationale, la situation reste inchangée dans le corridor et les civils ne peuvent circuler. La jeunesse d’Artsakh, toutefois, ne se laisse pas abattre : « je pense que notre peuple est fort car il continue de vivre là-bas quoi qu’il s’y passe, ils n’ont pas peur, ils sont braves » affirme Mélanie. Mais le sentiment d’impuissance demeure. Pour tenter d'en sortir et d'agir, à leur niveau et avec les moyens dont ils disposent, ils ont choisi l'arme de la sensibilisation et relaient systématiquement sur leurs réseaux sociaux toute les actualités de Stepanakert « pour que le monde soit au courant des horreurs perpétrées par l’Azerbaïdjan ».