Alors que la campagne pour les élections présidentielles turques devrait s'ouvrir demain 10 mars, la principale coalition des partis d'opposition s'est trouvé un champion, grand favori des sondages.
"La Table des Six*" ("Alti Sisayi") qui réunit les principaux partis d’opposition, avait pourtant eu le plus grand mal à s’entendre sur le nom d’un candidat unique jusqu’à frôler la dislocation. Meral Aksener, qui dirige le Bon Parti, deuxième mouvement de cette coalition, avait appelé les maires d'Istanbul et d'Ankara, respectivement Ekrem İmamoğlu et Mansur Yavaş, à assumer le rôle de candidat, considérant qu’ils avaient plus de chance de gagner contre le président Recep Tayyip Erdoğan. « Vous avez été choisis par la volonté de la nation. Vous avez rempli vos fonctions de la meilleure façon possible », avait-elle déclaré, « notre nation a vu vos efforts et s'est tenue à vos côtés. Et aujourd'hui, au seuil d'un point de rupture critique, nous vous appelons au devoir. […] Soit nous écrirons l’Histoire, soit nous disparaîtrons de l’Histoire ». Les discussions ont été si tendues que la dirigeante a même claqué la porte des négociations avant de finalement se ranger derrière le choix de Kemal Kiliçdaroglu, leader du principal parti de cette coalition, le CHP.
Kemal Kiliçadaroglu, 74 ans, ancien dirigeant de la Sécurité sociale turque, est issu de la gauche mais il est surtout le dépositaire de la tradition laïque de Mustapha Kemal. Son style, très calme, lui vaut les surnoms de "Gandhi turc" ou de "Force tranquille". Son début de campagne est très réussi, avec un discours efficace tenu devant les militants de l’opposition et en présence des autres leaders de la coalition. « C’est le début d’un changement total, a martelé Kiliçdarogulu. Nous rendrons au peuple ce qui lui a été enlevé, et nous vaincrons ensemble. Ce n’est pas moi le candidat, c’est vous tous ! »
Après 20 ans de régime Erdogan, l’opposition a des raisons d’y croire, le premier sondage est d'ailleurs encourageant pour l’opposition, à 57 contre 43 pourcent, en faveur de Kemal Kiliçdaroglu en cas de duel contre Recep Tayyip Erdogan.
Les enquêtes d’opinion ne sont certes pas très fiables en Turquie, néanmoins l’écart est important et constitue un signal encourageant, les maires d’Istanbul et d’Ankara cités plus haut, ont apporté leur soutien à Kemal Kiliçdaroglu aui pourrait très vraisemblablement recevoir également celui du principal parti kurde, le HDP, dont le nombre de partisans - 12 pourcent lors des dernières élections - pourrait fort bien faire basculer le scrutin. Le candidat de l'opposition s’est aussi beaucoup déplacé sur les zones affectées par le séisme du 6 février et dont l’impact est susceptible d'influencer le résultat des votes. Beaucoup de Turcs reprochent à Recep Tayyip Erdogan la lenteur des secours et surtout la vaste corruption toujours en pratique dans le secteur du bâtiment et à l'origine de l’effondrement de nombreux immeubles.
Recep Tayyip Erdogan n’a évidemment pas dit son dernier mot et n’a aucune intention de lâcher le pouvoir qu'il détient seul depuis 20 ans. Il maitrise la plupart des médias et peut imposer la censure sur les réseaux sociaux, comme il l'avait fait pendant les premières heures du tremblement de terre. Il demeure charismatique et son autoritarisme séduit son électorat. Recep Tayyip Erdogan peut également se prévaloir de sa stature internationale et de sa capacité à jouer les médiateurs entre Kiev et Moscou.
A l'inverse, Kemal Kiliçdaroglu manque de charisme et son image d’homme de gauche, associée à son appartenance à la minorité religieuse des Alevis, une branche minoritaire de l’islam, pourrait le desservir.
La campagne officielle devrait donc démarrer demain, vendredi 10 mars, avec la publication d’un décret présidentiel confirmant la date des élections pour le 14 mai. A deux mois du vote, les jeux sont donc très ouverts, c’est l’une des élections les plus déterminantes pour la marche du monde en cette année 2023.
Sources Petit-Journal et France-Info
* Composition de la "Table des Six":
Parti républicain du peuple (CHP) : parti kémaliste fondé par Atatürk,républicain, social-démocrate, laïc) présidé par Kemal Kılıçdaroğlu,
Le Bon Parti (IYI parti) : nationaliste, conservateur, présidé par Meral Akşener,
Parti de la Félicité (SP, Saadet partisi) : islamo-conservateur), présidé par Temel Karamollaoğlu
Parti Démocrate (DP, Demokrat partisi) : conservateur et laïc, présidé par Gültekin Uysa
Parti de l’Avenir (Gelecek partisi) : libéral-conservateur présidé par Ahmet Davutoğlu (ancien membre de l’AKP, ministre des Affaires étrangères de 2009 à 2014, et premier ministre entre 2014 et 2016)
Parti de la Démocratie et du Progrès (DEVA, Demokrasi ve Atılım Partisi) : libéral-conservateur, présidé par Ali Babacan (ancien membre de l’AKP, ministre de l’Économie de 2002 à 2007 et de 2009 à 2011).