Soleil radieux et30 degrés à l'ombre annonce, pour ce dimanche 7 juillet, la météo d'Erevan. Tant mieux car Vardavar débarque dans la capitale, avec ses batailles d'eau fraiche à tous les coins de rue. Maillot de bains de ou ciré de rigueur.
Par Darya Jumel
Chaque année, au cœur de l'été arménien, une tradition tant attendue par les arméniens, anime avec gaieté villes et villages : Vardavar ou le festival de la Rose (en deux mots bien distincts). Car Vardavar est surtout célèbre aujourd'hui pour sa fête de l'eau, où chacun s'arrose - en un seul mot cette fois - gaiement, amis, voisins, et même les inconnus, sans risquer d'offenser qui que ce soit.
À Erevan, toute la capitale semble participer : même la marchande de café abandonne son stand pour vous asperger. Dans le centre-ville, impossible de faire plus de trois mètres sans être éclaboussé, voire même submergé par un véritable tsunami. Les conducteurs de voitures doivent circuler vitres relevées sous peine de recevoir sur les sièges, s'ils n'y prennent garde, tout le contenu d'un seau d'eau. Sur la célèbre avenue du Nord, le commerce de pistolets à eau et de seaux en plastique bat son plein, vendus jusqu'au soir par d'espiègles mamies complices de ces assauts liquides.
Mais tout comme la rose, la réalité est parfois plus piquante. Attendez-vous aussi aux arrosages en règle, inattendus, intempestifs et souvent mal venus, aux rafales de très puissants pistolets à eau, aux fuites désespérées pour ne pas être mouille, aux poursuites, aux glissades et aux genoux éraflés et… au portable irrémédiablement noyé. Le chaos règne dans la capitale : cris, rires, et larmes quelquefois, se mêlent en un véritable capharnaüm aquatique. Bref, une journée où sortir et rentrer sec est un vœu pieu.
Avertis, et pour ceux qui souhaite être de la fête, Vardavar reste un grand moment de joie et de défoulement, auquel même les résidents étrangers et les touristes, nombreux en cette saison estivale, ne manquent pas de participer. La communauté iranienne, notamment, se rassemble chaque année place de la République, pour danser sous les jets d'eau des lances à incendie actionnées depuis le sommet des camions de pompiers. Les femmes savourent particulièrement cette liberté de danser en public, plaisir interdit dans leur pays. Les agences de tourisme ont même inscrit l'évènement au programme de leurs séjours.
Les origines de Vardavar remontent aux temps anciens de l'antiquité, au Vème siècle avant Jésus-Christ. Astghik, déesse païenne de l'amour, de la beauté, de l'eau et de la fertilité, souvent associée à la Vénus des cultures occidentales avait été enlevée par Yahvan, le dieu des enfers, qui avait aussi plonger les habitants de la Terre dans les ténèbres. Elle fut finalement libérée par Vahagn, son bien-aimé et dieu du feu. Pour célébrer cette victoire et chasser les ombres, Astghik répandit des roses sur laTerre, ces fleurs symbolisent le retour de l'amour et de la lumière. Plus tard, les rites païens des anciens Arméniens ont commencé à rendre grâce à la déesse en lui offrant des fleurs dans les temples sacrés, implorant les esprits de l'eau de leur envoyer la pluie. Avec l'arrivée du christianisme en Arménie, les anciennes coutumes païennes ont été intégrées et réinterprétées dans le contexte de la nouvelle foi où la signification de la rose s'est alors étendue pour symboliser la Transfiguration du Christ, la révélation de sa nature divine.
La tradition s'est perpétuée dans l'histoire. Au moment de Vardavar, les habitants des régions montagneuses d'Arménie effectuaient des pèlerinages vers des lieux sacrés comme le monastère Saint-Karapet, perché sur les pentes des montagnes dans l'est de la Turquie actuelle. Ces voyages, entrepris par des clans ou des villages entiers, incluaient des offrandes pour assurer de bonnes récoltes. Au cœur de ces sanctuaires, des centaines de pèlerins se rassemblaient souvent pendant plusieurs jours, priant au moment où les champs étaient prêts pour la moisson. Des gerbes de blé et des épis de maïs étaient disposés autour de l'autel, symbolisant la protection des cultures contre les intempéries comme la grêle et les sauterelles.
Sous le régime soviétique, Vardavar s'est fait discret, les célébrations religieuses étant souvent réprimées. Cependant, après l'indépendance de l'Arménie en 1991, Vardavar a retrouvé sa place dans le cœur des arméniens, célébrée avec une ferveur renouvelée. Aujourd'hui, même dans les provinces reculées, malgré le calme des rues désertes, on peut entendre les rires joyeux des enfants et le bruit des éclaboussures d'eau fraîche tandis qu'à l'église, la liturgie matinale célèbre la Transfiguration de Jésus-Christ qui sera suivie suivie de la consécration de l'eau et de la bénédiction des fruits, notamment de la pomme, symbole essentiel de cette fête.