La Cour internationale de Justice a de nouveau imposé à l'Azerbaïdjan l'obligation de mesures conservatoires visant à s' s'abstenir de « toute action visant directement ou indirectement à expulser les Arméniens de souche restants du Haut-Karabakh ».
Par Olivier Merlet
« La République d’Azerbaïdjan doit[…]: veiller à ce que toute personne qui aurait quitté le Haut-Karabakh après le 19 septembre 2023 et qui souhaiterait y retourner soit en mesure de le faire en toute sécurité, librement et rapidement ; veiller à ce que toute personne qui serait restée au Haut-Karabakh après le 19 septembre 2023 et qui souhaiterait en partir soit en mesure de le faire en toute sécurité, librement et rapidement ; et veiller à ce que toute personne qui serait restée au Haut-Karabakh après le 19 septembre 2023 ou qui y serait retournée et qui souhaiterait y rester ne fasse pas l’objet de recours à la force ou d’intimidation susceptible de l’inciter à fuir ».
L'ordonnance a été rendue le 17 novembre par la Cour internationale de Justice par treize voix contre deux en réponse à la requête déposée par l'Arménie contre l'Azerbaïdjan le 12 octobre. Elle est censée obliger l’Azerbaïdjan à présenter à la Cour dans un délai de huit semaines un rapport sur les dispositions prises pour lui donner effet aux mesures conservatoires indiquées. « [Elle] est capitale », souligne un communiqué du ministère arménien des Affaires étrangères, « dans aucune autre affaire de l'histoire de la Cour, un État n'a dû faire face à autant d'ordonnances relatives à des mesures conservatoires dans le cadre d'une seule et même procédure ».
En France, le quai d'Orsay a lui aussi salué cette décision en faisant valoir nommément auprès de l'Azerbaïdjan le caractère obligatoire des décisions de la CIJ. « Cette ordonnance conforte la position tenue avec constance par la France, qui rappelle à cette occasion son soutien indéfectible à la Cour internationale de Justice et le caractère obligatoire de ses décisions, y compris en indication de mesure conservatoire ».
Bakou a vertement réagi à la déclaration de la diplomatie française, la jugeant « hors de propos et inacceptable ». L'accusant de deux poids deux mesures et de préjugés à son encontre ainsi que de « s'immiscer dans les affaires de la Cour sur un sujet qui ne la concerne pas ». Usant de sa rhétorique devenue habituelle, Bakou a de nouveau invoqué « la politique coloniale notoire [ de la France ]Paris et « ses essais nucléaires illégaux », et soutenu contre toute l'évidence de ces derniers mois que « l'Azerbaïdjan prend ses obligations internationales au sérieux ».
Lors de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE qui s'est tenue ce week-end à Erevan, le délégué du gouvernement arménien pour les questions juridiques internationales Yeghishe Kirakosyan a justifié les plaintes de l'Arménie contre l'Azerbaïdjan devant la Cour internationale de justice. « Les discours haineux, l'animosité et la haine qui se répandent dans les médias sociaux sont, pour nous aussi, l'une des causes profondes du conflit que nous connaissons. C'est la triste réalité dans laquelle nous vivons. […] La Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale sur laquelle s'appuie l'Arménie interdit les politiques de discrimination raciale, l'animosité raciale envers des groupes spécifiques, y compris des groupes ethniques. Les affaires portées par l'Arménie devant la Cour internationale de justice ont donné lieu à plusieurs mesures provisoires intérieures prises par la Cour. Plus précisément, la première a été émise par la Cour en décembre 2021, et concernait la cessation et l'arrêt de la propagande et des discours de haine par les autorités publiques d'Azerbaïdjan, ainsi que la préservation des droits des Arméniens de souche qui sont sous le contrôle de l'Azerbaïdjan et la préservation des monuments culturels arméniens ».
Déclaration du MAE d'Arménie sur l'ordonnance de la Cour Internationale de Justice du 17 novembre
« Nous saluons l'ordonnance de la Cour internationale de justice du 17 novembre, qui a été adoptée sur la requête déposée par la République d'Arménie dans le cadre de l'affaire portée contre la République d'Azerbaïdjan en vertu de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD).
Dans son ordonnance, la Cour a déclaré que "selon les rapports des Nations Unies, plus de 100 000 personnes d'origine nationale ou ethnique arménienne ont été contraintes de quitter leur lieu de résidence et de rejoindre la frontière arménienne depuis l'opération lancée par l'Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh le 19 septembre 2023". Selon l'ordonnance, l'opération mentionnée "a eu lieu dans le contexte de l'exposition de longue date de la population du Haut-Karabakh à une situation de vulnérabilité et de précarité sociale." Comme l'indique l'ordonnance, "les résidents de cette région ont été gravement touchés par la perturbation durable de la liaison entre le Haut-Karabakh et l'Arménie via le corridor de Lachin, qui a empêché le transfert des personnes d'origine nationale ou ethnique arménienne hospitalisées dans le Haut-Karabakh vers des établissements médicaux en Arménie pour y recevoir des soins médicaux urgents. Il y a également eu des entraves à l'importation dans le Haut-Karabakh de biens essentiels, ce qui a provoqué des pénuries de nourriture, de médicaments et d'autres fournitures médicales vitales".
Ainsi, dans son ordonnance du 17 novembre, la Cour a estimé qu'il existait un risque imminent de préjudice irréparable pour les droits des Arméniens au titre de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
En outre, les engagements unilatéraux que doit prendre l'Azerbaïdjan sont "contraignants et créent des obligations juridiques", y compris son engagement à faciliter l'accès au CICR et aux inspections de l'ONU, à protéger et à ne pas endommager ou détruire les monuments, artefacts et sites culturels.
[…]
La Cour a également ordonné à l'Azerbaïdjan de "soumettre à la Cour, dans un délai de huit semaines, un rapport sur les mesures prises pour donner effet aux mesures conservatoires indiquées et aux engagements pris par l'agent de l'Azerbaïdjan". L'Arménie aura alors la possibilité de soumettre des commentaires sur ce rapport.
En même temps, l'ordonnance de la Cour réaffirme les mesures conservatoires indiquées dans ses ordonnances du 7 décembre 2021 et du 22 février 2023.
L'ordonnance de la Cour est capitale : dans aucune autre affaire de l'histoire de la Cour, un État n'a dû faire face à autant d'ordonnances relatives à des mesures conservatoires dans le cadre d'une seule et même procédure. Cela témoigne du risque permanent de préjudice irréparable que le comportement de l'Azerbaïdjan fait peser sur les droits des Arméniens de souche en vertu de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
Cette ordonnance de la Cour, comme les précédentes, crée des obligations juridiquement contraignantes en vertu du droit international ».