L’Institut français en Arménie, « la vitrine culturelle française » selon les propos de l’ex-Ambassadeur en Arménie, Jonathan Lacôte, vient d’être officiellement créé. Cette institution dont l’ouverture avait été annoncée lors du Sommet de la Francophonie, en 2018, est désormais une réalité.*
Guillaume Narjollet, Conseiller de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France en Arménie, pleinement engagé dans ce mouvement, revient pour le Courrier d'Erevan sur les défis et les enjeux portés par l’ouverture de cet Institut français.
Par Lusiné Abgarian
Monsieur le Conseiller, l'annonce de la création de l’Institut français en Arménie «célèbre» le 30e anniversaire des relations diplomatiques entre la France et l’Arménie. Est-ce un hasard et pourquoi maintenant ?
C’est à la fois une coïncidence et dans le même temps, ce n’est pas totalement un hasard. Le projet de l’Institut français en Arménie a commencé à se matérialiser il y a déjà quelque temps. L’annonce officielle de la création d’un établissement culturel a en effet été faite au moment du Sommet de la Francophonie, en 2018, et déjà, avant cet événement, il y avait eu des remarques et des réflexions sur le fait que dans un pays francophile comme l’Arménie, il était étonnant de ne pas avoir un Institut, alors qu’il y en a dans les pays voisins.
On peut ajouter que ce n’est pas un hasard, car le fait d’arriver au 30e anniversaire des relations diplomatiques, a provoqué une accélération du processus. Il y a eu une volonté au plus haut niveau, notamment celle du Président de la République française, de faire en sorte que la France ait vraiment une vitrine culturelle de plein exercice à Erevan. Je dirais que les choses étaient en cours, mais que le dossier traînait peut-être un peu. Il est évident qu'à l’approche de cet anniversaire et dans le contexte de l’après-conflit, l’attention portée à l’Arménie par le Président de la République a fait que l’on arrive aujourd'hui à la création de l’Institut pour le 30e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et l’Arménie. C’est une excellente nouvelle et un très beau cadeau d’anniversaire.
À quelles attentes de la société arménienne l’Institut français tient-il à réponde ?
De ce que j’ai pu observer depuis mon arrivée en Arménie, il y a une image très positive de la France. Nous sommes dans un pays francophile. Le dernier conflit a renforcé ce sentiment puisque finalement, même si la France est loin géographiquement, elle s’est quand-même positionnée très clairement. Je crois que les Arméniens s’en souviennent et ils ont eu le sentiment qu’à un moment où ils se sentaient un peu isolés, la France était, malgré la distance, à leurs côtés. Elle était solidaire de l’Arménie. Au-delà de cela, il y a un inconscient arménien qui identifie la France à la culture et un Institut français est fondamentalement un opérateur culturel. Il y a un fort désir de France en Arménie, l’ouverture d’un Institut pourrait contribuer à le satisfaire. Pas tout seul, parce que l'Institut fonctionne en lien, en synergie, en partenariat avec d’autres institutions et opérateurs. Il peut donner une impulsion et peut aussi jouer un rôle de médiateur, que ce soit dans les arts vivants, les arts de la scène, le cinéma, la danse, la peinture ou la photographie. Et l’Institut va proposer une programmation au sein de ses locaux, mais aussi en partenariat avec des prestataires extérieurs.
L’une des idées que nous avons eues, c’est de pouvoir labéliser et soutenir des lieux tiers, externes, des partenaires. Cela pourrait les aider dans leur fonctionnement et leurs démarches, notamment pour mettre en place des projets ou trouver d’autres partenaires, des soutiens financiers ou matériels. Et on peut, bien sûr, coproduire un certain nombre de choses.
Croyez-vous que la présence culturelle française en Arménie soit encore plus ancrée avec la programmation proposée par l’Institut français ?
L'Institut français est un opérateur qui a une visibilité particulière, géographiquement identifiée. C’est-à-dire qu’il est le plus souvent distinct de l’ambassade du pays où il se trouve. Aujourd’hui, par exemple, en Arménie, il existe un Service de coopération et d’action culturelle qui, sans avoir de lieu propre, essaie de mener une programmation culturelle ambitieuse, entre le Festival du film francophone, des expositions ou le spectacle vivant. Mais il n’y a pas de lieu symbolique visible en ville, avec une charte graphique, avec un logo, un libellé « Institut français ».
Ce lieu sera un endroit ouvert au public. Il y aura une médiathèque, des expositions temporaires, du spectacle vivant, des concerts, une programmation cinématographique. Nous souhaitons que ce lieu s’ancre dans l’horizon mental des gens, qu'il devienne partie prenante de leur quotidien.
Pourriez-vous nous dévoiler un peu de la programmation de l’Institut ?
Nous avons commencé à travailler sur la programmation 2022 dès la fin du printemps 2021, car nous devons anticiper l’organisation des événements culturels. Les projets de l’Institut devront avoir pour philosophie d’aller à la rencontre d’autres partenaires et d’autres opérateurs de la société civile, des artistes. Une dimension qui pourrait être intéressante, c’est celle des résidences d’artistes. L’Institut ne sera pas lui-même outillé pour accueillir des artistes sur place, mais il va s’associer avec d’autres lieux pour ces projets. Certains sont en cours, notamment celui de Djadjour à côté de Gyumri [NDLR : reconstruction de la maison-musée du peintre Minas Avétissian] mais également celui que l’Ambassade mène avec Serge Avédikian dans le cadre de l’Atelier d’art dramatique et qui vise à identifier un lieu.
Nous aimerions aussi renforcer la dimension du spectacle vivant et des arts visuels à savoir le théâtre, le cirque contemporain, la danse mais aussi la peinture, la photographie, etc.
Le lieu dans lequel l’Institut sera installé, comprendra également un auditorium. En termes de programmation, nous aurons donc des possibilités assez importantes pour le cinéma et la musique. L’objectif est de couvrir tout le spectre de l’animation culturelle. Être à la fois attentif au public arménien, susciter son intérêt, et en même temps, ne pas s’interdire de lui proposer des nouveautés auxquelles il est moins habitué.
Pour la deuxième année consécutive, nous avons décidé de programmer du cirque contemporain. C’est un type de spectacle encore assez méconnu en Arménie. Il y a une grande tradition du cirque ici, mais c’est davantage une lecture classique. Le cirque contemporain raconte une histoire illustrée de performances mais il ne s’agit pas simplement d’une succession de numéros comme dans le cirque traditionnel. Il y a une autre façon d’aborder l’exercice et d’essayer de combiner les différents arts du cirque dans une même séquence.
Dans quels locaux sera accueilli l’Institut ?
Nous avons eu de nombreuses discussions avec la Fondation Aznavour, puisque l’Institut a vocation à être hébergé dans ses locaux. Nous sommes donc en négociation avec elle, puisque l'Institut, appelé à recevoir du public, suppose un certain nombre de contraintes quant à l'organisation de l’espace et la disposition des lieux. L'Institut est aussi un centre d’enseignement et la question des salles des cours se pose, de même que celle des espaces dédiés aux activités culturelles et aux expositions.
Le bâtiment qui abrite le Centre Aznavour, et donc à l'avenir l’Institut français, doit subir de très importants travaux qui ne nous permettront pas de nous installer dans ces locaux, avant 2024 voire 2025. Ceci signifie que l’Institut va être amené à prendre bail dans des locaux provisoires pour démarrer ses activités. Là, nous allons entrer dans une vraie phase de transition où cet Institut qui existe juridiquement, doit désormais être créé dans les faits.
C’est un beau défi pour l’ambassade, pour le Service de coopération et de l’action culturelle, pour l’ambassadrice et toute l’équipe. Car finalement, c’est une chance de participer au projet de création d’un Institut français. Cela fait très longtemps que le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères n’en a plus ouvert dans son réseau et c’est donc une expérience unique. Cela montre aussi tout l’intérêt que la France porte aujourd’hui à l’Arménie, dans un contexte où la tendance internationale était plutôt à la fermeture des instituts qui ne fonctionnaient pas de manière satisfaisante et ne pas en ouvrir davantage. C’est un geste et un signal très fort à destination à l’Arménie.
Les autorités arméniennes participent-elles à la réalisation de ce projet ? Ont-elles été déjà sollicitées pour les locaux provisoires ?
Nous n’avons pas encore adressé de demande officielle aux autorités arméniennes pour l'obtention de locaux provisoires. C’est effectivement une option qui n’est pas à exclure. Nous avons déjà sollicité les autorités arméniennes à ce sujet par le passé et elles se sont montrées réactives. Le gouvernement a ainsi mis à notre disposition les locaux actuels du lycée français que nous avons rénové et nous sommes en discussion avec le ministère de l’Éducation pour identifier un site destiné à relocaliser l’UFAR.
Vous avez également évoqué des cours qui seront dispensés à l’Institut français.
La question des cours est très importante. Un Institut français a, dans l’immense majorité des cas, vocation à donner des cours de français. Et quand un Institut français donne des cours, c’est comme s’il s’agissait de cours organisés par l’ambassade et le ministère. Cela suppose donc un certain niveau d’offre et de qualité dont le label Institut français assure la reconnaissance.
Par ailleurs, les cours de français pour l’Institut, au-delà d’être une composante pleine et entière de son activité, représentent un autre avantage. Ils lui permettent aussi de s'autofinancer car un Institut français, c’est un opérateur et un établissement autonomie financière avec ses propres règles comptables. Bien entendu, les bénéfices générés par ce financement sont destinés à être réinvestis dans la programmation culturelle, elle a un coût, et à permettre le fonctionnement de l’Institut.
Au vu de la forte demande arménienne pour la culture française, un budget important est probablement dédié à la programmation des événements et des activités ?
Pour lancer l’Institut, nous disposons évidemment d'une enveloppe budgétaire supplémentaire, mais l’objectif à l'horizon de trois – quatre ans est d’avoir un institut capable de s'autofinancer dans des proportions acceptables et telles qu'il ne constitue pas un poids budgétaire pour l’ambassade et le ministère.
Généralement les instituts fonctionnant correctement ont un taux d’autofinancement situé entre 60-70%, le reste étant couvert par une subvention de l’ambassade, ce qui n’est pas choquant. Aujourd’hui par exemple, l’ambassade continue à financer l’UFAR et cette année aussi nous allons lui verser 40 000 euros de subvention sous forme de bourses pour les étudiants. Avec celles octroyées aux étudiants arméniens allant en France, c’est la moitié du budget de coopération de l’ambassade qui est consacrée à l’enseignement supérieur.
Pendant 20 ans, l’ambassade a subventionné l’UFAR en lui consacrant la moitié de son budget annuel, ce qui est énorme. Elle a ainsi permis à l’UFAR de grandir, d’acquérir une autonomie financière et de pouvoir fonctionner de manière budgétairement autonome. C’est le cas aujourd’hui et cet investissement était donc pleinement justifié.
L’Ambassade pourra aussi faire cet effort en faveur de l’Institut français, pour lui permettre de démarrer le temps qu’il atteigne un mode de fonctionnement où il sera en mesure de s’assumer financièrement.
* Le projet d’Institut français en Arménie, « la vitrine culturelle française », selon les propos de l’ex-Ambassadeur en Arménie, Jonathan Lacôte, vient d’être officiellement approuvé par le gouvernement français. Cette institution dont l’ouverture avait été annoncée lors du Sommet de la Francophonie, en 2018, devient enfin une réalité.