Հայաստանի կանայք - Femmes d'Arménie - Julie d’Aragon : “Peindre la lumière dans l’obscurité”

Arménie francophone
07.02.2022

Elles sont professeur, journaliste, chercheuse, politicienne... Naïra, Ani, Constance, Thénie et les autres ont l'amour de la langue française en partage. Le Courrier d'Erevan les a rencontrées et leur a laissé la parole. Elles nous racontent leur histoire, en français dans le texte, simple et extraordinaire. Portraits de femmes, exemplaires, touchantes, dérangeantes, une autre image de l'Arménie.

*****

La lumière. Elle irradie du sourire de Julie d’Aragon, de ses yeux rieurs, de ses mèches blondes. Et, surtout, de ses tableaux. Cette artiste peintre de 40 ans aime les couleurs et sait les travailler, les faire briller, leur donner vie. Touchée par l’Arménie où elle s’est rendue pour la première fois en 2011, elle y revient avec un désir : peindre une lumière qui, dans ce pays assombri par le deuil, continue de briller.

Par Priscille Pavec

La couleur, la joie, la vie…

Originaire du sud-ouest de la France, attachée au monde rural et aux valeurs portées par les agriculteurs, Julie commence par obtenir un diplôme d’ingénieur agronome. Elle travaillera ensuite dans la finance avant d’éprouver le besoin de se reconvertir. Mais en quoi ? « Après quinze ans dans la banque, on a l’impression qu’on ne sait rien faire. » Une impression peut être trompeuse… Loin de se laisser impressionner, celle qui dit se situer « entre impressionnisme et fauvisme » saura ignorer son impression et écouter son inspiration !

Julie ne fait rien à moitié. Ses toiles ne sont pas clair-obscur, elles sont claires. Lumineuses. Julie est entière et quand elle décide de changer d’air, elle part faire le tour de la terre ! Ou du moins, de l’Europe méridionale, en quête de lumière. Après plusieurs mois en Espagne et en Italie, où elle parfait sa technique avec des cours très stricts, Julie peaufine son style. Elle se concentre sur la peinture des villes. Madrid, Rome, Bordeaux, Albi… Des cités colorées qui respire la gaieté. Attirée par l’art sacré, Julie peint aussi des Nativités. Elle veut faire d’un mystère une toile, soulever un coin du voile et, sans surprise, elle choisit un mystère… joyeux.

Vivacité et légèreté, ne riment pas (chez Julie !) avec oisiveté. L’artiste est une bosseuse. « Ma peinture est une peinture de longue haleine. Je mets plusieurs mois à terminer un tableau, j’y reviens sans cesse. » Adepte du couteau qui donne du relief à ses œuvres et lui permet de jouer avec la lumière, Julie réalise ses tableaux à l’acrylique et les termine à la peinture à l’huile. Depuis peu, elle a appris à utiliser les couleurs transparentes et appose sur ses toiles un glacis qui leur apporte du brillant et (toujours !) de la lumière.

L’Arménie : coup de cœur de l’artiste

Contrée éloignée, terre inexplorée et, surtout, berceau de la chrétienté, l’Arménie avait tout pour attirer Julie. C’est pourtant presque par hasard qu’elle s’y rend en 2011, accompagnant une amie. Sa première impression la laisse perplexe. Pas d’infrastructures, pas d’organisation : place au désordre et à l’improvisation ! Julie le sait désormais : une impression peut être trompeuse... Rapidement, elle se laisse séduire par le pays et par ses habitants. « Je me souviens surtout des rencontres. Par exemple, nous avons été invitées à boire un thé chez une famille où personne ne parlait anglais, nous ne parlions pas un mot d’arménien et nous avons passé deux heures extraordinaires. En Arménie, ce sont les heures perdues qui sont les meilleures. Elles ne sont pas perdues d’ailleurs, elles alimentent le trésor de souvenirs avec lequel on repart. »

Touchée par les Arméniens, Julie est aussi séduite par la peinture arménienne. « Il y a dix ans, j’ai adoré visiter la Galerie Nationale. J’y ai rencontré une peinture très colorée ! » A Gyumri, cette année, elle a découvert le musée des Sœurs Aslamazyan. Encore un coup de cœur. Les joues de Julie prennent la couleur des coquelicots peints par Mariam Aslamazyan lorsqu’elle évoque, avec enthousiasme, l’œuvre de l’artiste arménienne. « Encore une fois, j’ai admiré la capacité des artistes arméniens à jouer avec les couleurs. » Et avec les émotions. Face à certaines toiles, Julie n’a pu retenir ses larmes.

Peindre la lumière, en dépit de la guerre

Les rencontres qu’elle a faites ici l’ont marquée. Ce ne sont pourtant pas les gens que Julie veut représenter. « Je ne sais pas peindre les visages. Ça viendra peut-être en son temps. » Mais ce n’est pas le moment. A travers d’autres sujets, Julie montre l’Arménie. « Je peins les monastères arméniens. Au début, pourtant, ils m’ont déçue. Des vieilles pierres, j’en ai vu en France, et des mieux conservées encore ! Et puis j’ai compris. J’ai compris que ces monuments abritent l’histoire, qu’ils en témoignent encore aujourd’hui. » Fanaux du passé, les monastères arméniens dévoilent la splendeur d’une époque révolue qu’ils continuent de faire briller.

Ces témoins lumineux, Julie ne se privera pas de les interroger et de les faire parler. En 2011, elle a peint le monastère de Noravank. Séduite par ce lieu hors du commun, elle le décrit comme « le symbole d’une éternité ». La lumière du soleil couchant sur le "Nouveau Monastère" n’est-elle pas un des trésors le plus précieux que recèle l’Arménie ? Julie l’a bien compris, et en volera une partie pour la ramener dans sa patrie. 50% de la vente de ce tableau sera reversé à l’association ACABA, l'Association culturelle arménienne de Bordeaux Aquitaine.

En septembre 2020, lorsque la guerre éclate au Haut-Karabakh, Julie se sent directement concernée. « Dans le sud-ouest, nous avons une maison de famille depuis 450 ans et j’y suis très attachée. C’est tellement important d’avoir un foyer. J’ai pensé à ces gens qui ont dû quitter le leur, partir en abandonnant tout. Leur sort m’a particulièrement touchée. » Julie veut s’associer aux souffrances vécues par les Arméniens. Elle le fera à sa manière : en peignant le monastère de Dadivank, situé dans le Haut-Karabakh. Ce monument est aujourd’hui passé sous contrôle azerbaïdjanais. Qui sait ce qu’il en adviendra ? Une chose est certaine : dans le cœur de l’Arménie comme sur la toile de Julie, Dadivank vivra.

Une lumière qui jaillit de l’obscurité

Aujourd’hui, que peindra Julie de l’Arménie ? « En revenant ici, j’ai senti que ce pays avait souffert. Il est moins joyeux qu’avant. Malgré tout… Il n’a pas perdu sa lumière. Les gens rayonnent, en dépit des épreuves qu’ils traversent. Ils continuent à transmettre leur joie. Et c’est cette lumière que je veux peindre. Cette lumière qui jaillit de l’obscurité. »

Julie est arrivée avec, dans sa valise, l’histoire de Noé à méditer devant le symbole de l’Arménie. Pourtant… « La première fois que j’ai vu le Mont Ararat, je n’ai pas été séduite. » Depuis belle lurette, Julie ne se laisse plus dominer par sa première impression. « Je me suis replongée, avant de venir, dans l’histoire de l’Arche de Noé. J’ai imaginé le déluge, ces ténèbres qui recouvrent la terre pendant quarante jours et puis, sur le Mont Ararat, ces vignes plantées par Noé. Ici aussi, la lumière a jailli de l’obscurité ! » C’est décidément le thème du voyage de Julie. Le thème, peut-être, d’une future exposition sur l’Arménie ? « Peut-être… » Car c’est bien cela que Julie veut montrer de l’Arménie : sa lumière.