Marie Muller : un rossignol franco-arménien

Arts et culture
10.11.2021

Le 13 novembre, l’opéra « Didon et Enée » d’Henry Purcell sera joué à la Maison de l’art et du sport de Gyumri. Le rôle de Didon sera interprété par la cantatrice Marie Muller. Cette chanteuse lyrique franco-arménienne au talent prometteur raconte son parcours au Courrier d’Erevan. Son témoignage nous donne à contempler l’émergence d’un papillon, la naissance d’une artiste.

Par Priscille Pavec

Les yeux clairs, le regard franc, le sourire lumineux… Marie Muller est de ces femmes qui ont une présence. Dans la rue, on se retourne sur son passage. On imagine alors combien elle doit en imposer sur scène ! Pourtant, Marie Muller n’est pas intimidante. Avec beaucoup de simplicité, elle raconte comment elle est devenue musicienne. Nymphose, émergence, envol : la chrysalide s’ouvre, le papillon apparaît.

Nymphose

Marie vient d’avoir 19 ans. Trop jeune pour être chanteuse lyrique ? « Mon premier rôle d’opéra, je l’ai chanté à 9 ans », confie-t-elle. Elle interprétait alors Amour, dans Orphée et Eurydice de Gluck. L’opéra avait été monté par sa mère, Narine Simonian, à la fois pianiste, organiste et directrice musicale. Effectivement, le musique coule dans les veines de Marie Muller depuis sa naissance… Et même avant ! Son arrière-grand-mère était chanteuse, sa tante est violoniste, sa cousine organiste. Marie commence le piano à cinq ans, l’orgue à l’âge de huit ans. Elle s’épanouit au contact des musiciens qui gravitent autour d’elle ; les concerts auxquels elle assiste sont la sève dont elle se nourrit.

Pourtant, enfant, elle est plus attirée par les arts plastiques que par l’art lyrique. Mais à douze ans, prenant conscience de son talent, elle déclare : « Si je n’avais pas ce don pour la musique, je serais devenue architecte. » Si… Car elle a acquis cette certitude qui ne la quittera plus : la musique est sa vocation, une vocation qui est aussi un devoir. Elle a reçu un don, elle se doit de le faire fructifier, de le déployer, de le mettre au service. « La profondeur de mon désir m’a donné, d’une certaine manière, la légitimité pour devenir musicienne. Mais l’essentiel restait à faire : travailler, travailler, travailler. » Le talent ne suffit pas. Marie Muller ne s’en cache pas : la clef du succès réside dans l’effort.

Emergence

Tout en suivant le cursus du Conservatoire régional de Boulogne en orgue, Marie a donc pris des cours particuliers de chant lyrique. Elle a fait partie de la maîtrise du Conservatoire régional de Paris de 2017 à 2019. Depuis qu’elle a 17 ans, elle enseigne le solfège, la théorie musicale et le piano à Paris. Elle étudie toujours le chant lyrique au Conservatoire du 10ème arrondissement de Paris, avec la cantatrice baroque Guillemette Laurens, et tentera le concours du CNSM de Paris en chant lyrique cette année. Elle a, bien sûr, reçu le soutien inconditionnel de Narine Simonian qui a su transmettre sa passion à sa fille. « Je suis très reconnaissante envers ma mère qui m’a éduquée musicalement. Elle m’a formée… Pour que je vole ensuite de mes propres ailes. »

Envol

L’oiseau s’apprête, effectivement, à s’envoler. Cet opéra de Purcell dans lequel elle va chanter, Marie le considère comme un tournant dans sa vie d’artiste. « Je suis un bourgeon que ce rôle va faire éclore. J’ai le sentiment que quelque chose en moi est en train de s’ouvrir, de fleurir. » Cette éclosion, une fois encore, ne se produira pas sans des heures et des heures de dur labeur. Il en faut à la chenille pour devenir papillon. Depuis plusieurs semaines, les répétitions s’enchaînent, sans répit. Au fur et à mesure qu’elle incarne Didon, Marie s’attache à son personnage, au point de s’y identifier. « Je retrouve un peu de moi dans le caractère de Didon. C’est une femme honnête, très honnête. Elle a conscience de ses devoirs en tant que reine et elle consent à d’énormes sacrifices pour s’y conformer. Je crois que je suis prête, moi aussi, à beaucoup sacrifier à la musique qui est à la fois mon devoir… Et ma joie ! »

Une joie que Marie tient à transmettre. Pour qui chante-t-elle ? A qui sont destinés ses trilles, ses vibratos ? « Avant tout, je chante pour la musique. Elle est toujours là pour moi, et je le lui rends sur scène. » Une personnification de la musique ? « En un sens, oui. Quand je suis avec mon orgue, quand je chante… Je ne suis pas seule. » Marie chante toutefois aussi pour son public. « Je chante pour les gens à qui je peux faire du bien, pour cette femme de ménage que je croise tous les jours et à qui j’ai offert une place. J’aimerais qu’elle passe une soirée magique ! » Celle du 13 novembre le sera, nous n’en doutons pas.

Marie conclut sur l’importance de ses origines arméniennes. « L’Arménie tient évidemment une grande place dans ma vocation d’artiste. La musique est comme un socle sur lequel repose toute ma famille arménienne ! » Se produire en Arménie, c’est donc pour Marie une fierté : « Je suis très heureuse de chanter ici, à Gyumri. Gyumri est une citée traumatisée, et je veux donner aux gens l’occasion de sourire ! Mais attention, je ne veux pas que les gens aient pitié de cette ville. Gyumri est forte, elle a connu des épreuves mais s’est toujours relevée. Aujourd’hui, elle est debout ! » Debout, la ville le sera le 13 novembre, pour applaudir l’envol de Marie Muller !