Monsieur l'ambassadeur, vous êtes ambassadeur de France dans notre pays depuis octobre 2017. Comment se sont passées pour vous ces deux années en Arménie ? Votre travail diplomatique en Arménie se passe à un moment remarquable. Vous avez pris vos fonctions d'ambassadeur sous l'ancien gouvernement, puis il y a eu un changement de gouvernement en Arménie. A votre avis, qu'est-ce que ce changement a apporté pour l’Arménie ? Qu'en pensez-vous à ce sujet ? Comment évaluez-vous les relations entre l’Arménie et la France ? Le Premier ministre de la République d'Arménie s'est rendu à Paris à plusieurs reprises, le Président français était, à son tour, venu en Arménie. La France est l'un des partenaires importants et amicaux de l'Arménie. Comment la France considère-t-elle l'Arménie aujourd’hui ? Dans quelle mesure les relations avec l'Arménie sont-elles une prioritaires pour la France ?
Cette période a été très riche et dense, tant pour l’Arménie que pour la relation franco-arménienne. L’année 2018 a naturellement marqué un tournant avec la révolution de velours et la tenue à Erevan du Sommet de la Francophonie avec la participation du Président de la République, Emmanuel Macron, deux événements qui ont conduit à un changement profond de la perception de l’Arménie en France, lui donnant un caractère plus positif et tourné vers l’avenir.
Les événements politiques qui se sont produits en Arménie vont de pair avec un nouveau dynamisme de la relation bilatérale. La France souhaite être au premier rang des partenaires de l’Arménie dans la consolidation de la démocratie, du renforcement de l’Etat de Droit, de la mise en œuvre de ses réformes. Nos relations reposent sur un tissu dense de relations entre les Parlements ainsi que les collectivités territoriales dont de nombreuses délégations (Ile de France, Bouches-du-Rhône, Auvergne-Rhône-Alpes, Lyon…) se sont rendues en Arménie ces derniers mois, témoignant d’un intérêt particulier pour la « nouvelle Arménie ».
Cette « nouvelle Arménie », qui est une réalité qui dépasse le seul domaine politique, impose de revisiter l’ensemble des domaines de coopération entre nos deux pays et de leur donner un nouvel essor.
Pour l’Ambassade, ces changements impliquent de nouer un réseau extrêmement dense de relations dans tous les domaines : avec les nouvelles autorités et les nouveaux élus, tant au Parlement que dans les municipalités, bien-sûr, mais également dans la société civile, les milieux éducatifs et artistiques.
Il y a actuellement en Arménie un changement générationnel dans tous les domaines, politique bien-sûr, mais également économique, avec l’essor des nouvelles technologies, ainsi que dans le domaine culturel. Le rôle d’une Ambassade est d’aller à la rencontre de ces nouveaux acteurs, hommes et femmes, et de les aider à nouer des partenariats avec la France, chacun dans son domaine. La relation franco-arménienne est marquée par une forte dimension historique et mémorielle mais il faut construire la relation franco-arménienne du XXIè siècle, fondée sur les nouvelles dynamiques à l’œuvre, tant en France qu’en Arménie.
Donc effectivement, mes équipes et moi avons été très actifs durant ces derniers mois !
Le Premier Ministre Nikol Pachinian était récemment en visite de travail en France. Le 12 novembre dernier, il a eu un entretien privé avec le Président français Emmanuel Macron dans le cadre du Forum sur la paix de Paris. Ils ont discuté des problèmes urgents liés aux relations franco-arméniennes, abordé les mesures prises en vue du lancement du dialogue arméno-européen sur la libéralisation du régime de visas, et ont attaché de l'importance à l'organisation de visites mutuelles à haut niveau et ont eu un accord approprié dans ce sens. Quelles sont les questions à l'ordre du jour des autorités arméniennes et françaises aujourd'hui, et s'attend-on à une visite du président français en Arménie?
L’agenda des relations franco-arméniennes est très dense. Dans cet esprit le Président Emmanuel Macron a annoncé son intention d’effectuer prochainement une visite bilatérale en Arménie.
La France déploie actuellement des projets ambitieux en Arménie :
- la construction, à proximité de Tumo, d’un nouveau campus pour l’Université française en Arménie afin d’accueillir plus d’étudiants dans ses cinq facultés, notamment celle dédiée à l’informatique et aux mathématiques appliquées, ouverte en 2018. L’ambition de l’UFAR est de former en Arménie une jeune élite francophone et de devenir une référence à l’échelle internationale.
- la relocalisation de l’Ecole française Anatole France afin d’augmenter sa capacité et d’en faire un établissement d’excellence ouvert tant aux élèves français qu’arméniens.
- la création d’un Institut français au sein du Centre Aznavour de Erevan, qui fera de cet établissement exceptionnel un lieu d’où rayonnera l’héritage de Charles Aznavour et la culture française.
- la donation par l’Institut d’Informatique de Toulouse d'un supercalculateur qui dotera l’Arménie d’un instrument unique au service du Gouvernement, du monde académique et des entreprises.
De manière générale, notre coopération vise à accompagner l’Arménie dans son développement et ses réformes avec un accent particulier sur l’éducation et la jeunesse.
S’agissant de la libéralisation des visas, la France souhaite que cet objectif, qui favorisera les échanges entre nos populations, soit atteint avec toutes les garanties nécessaires pour maîtriser les flux migratoires dans l’intérêt tant de l’Arménie que de l’Union européenne. L’Arménie a trop souffert de l’exode de sa population au cours des trente dernières années ; heureusement, la tendance se renverse et la France contribue à la réinsertion en Arménie de citoyens Arméniens qui se sont retrouvés en situation de précarité et d’illégalité en France. Le dialogue sur cette question se poursuit à titre bilatéral afin de bien mesurer les enjeux d’une future libéralisation des visas, dont nous savons qu’elle est très attendue par la population arménienne.
Le Premier-ministre Pachinian s'est rendu au bureau de l'Organisation internationale de la Francophonie à Paris, où il s'est entretenu avec la Secrétaire générale, Mme Louise Mushikiwabo. Comment évaluez-vous le rôle de l'Arménie dans l'Organisation internationale de la Francophonie, quels programmes existe-t-il dans le cadre de cette organisation?
En 2018, l’Arménie a organisé avec succès le Sommet de la Francophonie et en a fait une véritable fête autour de la langue française.
L’adhésion de l’Arménie à l’OIF est un exemple très intéressant, car il s’agit d’un pays qui ne fait partie de la « francophonie historique ». L’Arménie est un pays « francophone de cœur », un pays qui a fait le choix de la langue française dans une région qui elle-même n’est pas francophone. La Francophonie, ce sont aussi des valeurs et l’Arménie a fait le choix de faire rayonner ces valeurs en même temps que la langue française.
L’appartenance à l’OIF donne l’opportunité à l’Arménie d’ouvrir une nouvelle dimension dans sa diplomatie et s’ouvrir au reste du monde. Parmi les 88 Etats représentés à l’OIF, 75 n’ont pas d’Ambassade à Erevan. C’est donc une occasion unique pour tisser des liens multisectoriels avec l’ensemble du monde francophone, notamment l’Afrique.
Mais être membre de la famille francophone suppose un engagement et un investissement en faveur de la langue française. Or l’Arménie ne compte qu’un seul lycée à section bilingue et seulement 11 écoles avec une filière de français renforcé. Pourtant la demande en faveur de l’apprentissage du français est forte, tant en seconde qu’en troisième langue. L’Ambassade de France peut apporter son soutien mais l’enseignement des langues relève avant tout du système éducatif. Les parents et les élèves mesurent bien l’intérêt de l’apprentissage du français, tant pour l’accès à la culture française qu’à celles de l’ensemble du monde francophone, qui est l’espace linguistique qui connaît actuellement la plus forte croissance démographique du monde.
La France est un pays important en termes d'investissements réalisés en Arménie. Quelles sont les nouvelles tendances, projets d'investissement ? Dans quelle mesure la coopération franco-arménienne évolue-t-elle dans ce domaine?
L’excellence de la relation franco-arménienne doit également s’illustrer dans le domaine économique et commercial. Or le marché arménien a longtemps été perçu comme difficile pour les importateurs et investisseurs. Cependant, 2018 a marqué un tournant avec une progression de 66% du commerce bilatéral, dans les deux sens.
L’enjeu aujourd’hui est de favoriser l’arrivée de nouveaux investisseurs qui viennent rejoindre ceux déjà présents en Arménie (Pernod-Ricard, Veolia, Amundi, Crédit agricole, Carrefour…). Au cours des derniers mois, d’importantes entreprises françaises ont approché le marché arménien, notamment dans le domaine des nouvelles technologies, mais également de l’agriculture, l’énergie, le tourisme, ou encore la santé. Nous voyons arriver des investisseurs qui jusqu’à présent n’avaient aucun lien avec l’Arménie. A titre plus anecdotique, une boulangerie-pâtisserie française vient d’ouvrir sur Machtots, avec l’appui de la Chambre de commerce et d’industrie franco-arménienne.
Les entreprises françaises sont très attentives à l’amélioration du climat des affaires, notamment la lutte contre la corruption et à la mise en place d’un système judicaire efficace. Elles regardent également les opportunités qu’offrent à la fois la mise en œuvre du CEPA pour les relations avec l’UE et l’accès au marché de l’Union économique eurasiatique.
Parlons de la coopération Arménie-UE. Les États de l'UE ratifient le CEPA. En juillet dernier, la chambre basse du Parlement français a ratifié l'accord. Comment évaluez-vous les réformes en Arménie, cette direction du développement européen? Dans quels domaines voyez-vous en particulier les problèmes que vous souhaiteriez voir résolus plus rapidement en Arménie?
Le CEPA est un instrument très puissant pour le développement des relations entre l’Arménie et l’Union européenne et ses Etats membres. La mise en œuvre du CEPA permettra notamment d’accompagner l’Arménie dans ses réformes et de lui faire bénéficier de l’assistance et de l’expertise européennes. La France soutient notamment les « jumelages institutionnels » qui permettent à une institution arménienne de bénéficier de l’appui d’une ou plusieurs institutions homologues de l’Union européenne. C’est ainsi que la France, en consortium avec la Finlande et l’Estonie a récemment remporté le jumelage qui viendra en appuis au Civil Service Office d’Arménie.
L’Union européenne, en lien avec le Conseil de l’Europe, joue également un rôle majeur dans l’accompagnement de la réforme du secteur judiciaire, qui est fondamental pour le renforcement de l’Etat de Droit en Arménie. Un très grand potentiel de coopération existe également dans le domaine de la protection de l’environnement et de la lutte contre le changement climatique. La mise en œuvre du CEPA peut également contribuer à améliorer le climat des affaires et favoriser les investissements étrangers, facteur de croissance et créateurs d’emplois.
De manière générale, c’est l’ensemble des réformes en cours que l’Union européenne et ses Etats membres peuvent accompagner grâce au CEPA.
Comment évaluez-vous la politique étrangère des autorités arméniennes avec la Russie, les États-Unis et les pays européens?
L’Arménie mène sa politique étrangère d’une manière telle qu’il n’y pas de concurrence entre ses partenaires mais au contraire une réelle coopération, comme le montre l’entente entre France, la Russie et les Etats-Unis au sein du Groupe du Minsk.
Dans quelle mesure les relations arméno-iraniennes et les activités de la mission humanitaire arménienne en Syrie sont-elles perceptibles/compréhensibles pour la France?
Ces relations et activités relèvent de la souveraineté des autorités arméniennes qui ont toujours été très transparentes sur ces sujets dans leur dialogue avec la France.
Parlons de la sécurité régionale. La France est un État coprésident du groupe de Minsk de l'OSCE. Comment évaluez-vous la politique des autorités en matière de règlement du conflit du Haut-Karabakh? La France espère-t-elle un règlement pacifique dans un proche avenir?
Ce que je mesure, c’est le poids et le coût de ce conflit pour l’Arménie, son budget, son économie, ses habitants, en particulier pour les jeunes hommes qui effectuent sur le front un service militaire long, pénible et dangereux. C’est une réalité que connait chaque famille arménienne.
La France, en lien avec les autres Etats co-présidents du Groupe de Minsk de l'OSCE, œuvre à une résolution pacifique et négociée du conflit du Haut Karabakh. Le conflit du Haut Karabakh ne peut avoir de solution militaire et une solution pacifique doit être trouvée autour de la table des négociations. Les bénéfices d’un règlement seraient considérables pour la région.
Le mois dernier, le ministre des Affaires étrangères du Haut-Karabakh, Masis Mayilyan et Laurent Wauquiez, président du Conseil de la région Auvergne-Rhône-Alpes, ont signé une déclaration commune. Début octobre, toutefois, on a appris que le tribunal administratif de la ville française de Lyon avait annulé les accords d'amitié conclus entre plusieurs villes du Haut-Karabakh et de la France. Il s'agit de l'annulation des accords d'amitié entre les villes françaises de Desin-Sharpe et Chartar, les villes françaises de Saint-Étienne et Shoushi. La diplomatie azerbaïdjanaise a-t-elle commencé à influencer? Comment commenteriez-vous l'annulation de chartes de coopération par les tribunaux français?
En tant que l’Ambassadeur de France en Arménie, je suis compétent pour la seule République d'Arménie. De plus il ne m’appartient pas de commenter des décisions de justice prises par des tribunaux indépendants.
Deux attaques ont été signalées le mois dernier. La cible était les structures arméniennes en France, la rédaction du magazine Nouvelles d'Arménie, puis l'école arménienne Samuel-Mourat dans le Sud-Ouest de la région parisienne. Que diriez-vous à cette occasion?
Ces actes délictueux font actuellement l’objet d’une enquête judiciaire en France afin que leurs auteurs soient retrouvés et sanctionnés le cas échéant.