Le jeudi 09 janvier 2025, s’est tenue à l’hôtel Marriott d’Erevan la grande conférence « Women Leadership and Tech in Armenia » soutenue par l’ambassade belge en Arménie et l'ambassadeur S.E. M. Eric De Muynck, animée par Mariam Harutyunyan, fondatrice et directrice de l’initiative KinArmat, et rassemblant Mariam Torosyan, CEO de SafeYOU, et Lara Tcholakian, dirigeante exécutive à l’école internationale de leadership Matena. Cet évènement important a mis en lumière le rôle des femmes dans le leadership et la technologie en Arménie. Revenons dessus.
Par Layla Khamichli - Riou
La conférence a débuté par le discours de l’ambassadeur belge, Monsieur De Muynck, qui a judicieusement rappelé une vérité essentielle : « Nous croyons fermement que l’égalité des genres est un pilier de toute société démocratique. » Il a également souligné que « réduire les disparités dans les forces de travail stimule l’économie », soulignant ainsi l’impact positif d’une société plus inclusive. Ce discours d’introduction a été suivie par celui de la modératrice Mariam Harutyunyan, fondatrice de KinArmat.
KinArmat : construire des ponts pour une société inclusive
KinArmat est une initiative novatrice qui vise à promouvoir le leadership féminin et l'inclusion sociale en Belgique, en Arménie et au-delà. « Nous croyons que chacun peut apprendre de l’autre, mais il existe encore trop peu de ponts pour permettre ces échanges », a souligné Madame Harutyunyan. KinArmat se veut un espace d'échange et d'apprentissage mutuel, particulièrement destiné aux femmes issues de milieux sous-représentés, en leur offrant des opportunités de leadership et en favorisant les dialogues intergénérationnels.
Après le succès des « KinArmat Talks » à Bruxelles, où des leaders ont partagé leurs perspectives avec un public diversifié, le programme s’étendra à Erevan en 2025 avec des initiatives ambitieuses. Parmi elles : un programme dédié à la réduction de l’écart entre les genres en matière de santé, un programme de leadership soutenu par ONU Femmes, et un projet de littératie pour renforcer l’accès à l’éducation. Ces projets sont soutenus par des partenaires de renom tels que l’OTAN et ONU Femmes, et s’inscrivent dans une vision plus large d’une société inclusive et équitable. « Nous construisons les ponts nécessaires pour une société plus inclusive », a affirmé la fondatrice, rappelant que KinArmat repose sur l’idée de mutualiser les expériences pour créer un espace où les femmes peuvent s’épanouir et développer leur plein potentiel. C’est sur ces paroles pleine de promesses que la modératrice a laissé la parole aux intervenantes Mariam Torosyan et Lara Tcholakian.
SafeYOU : la technologie au service des femmes
Mariam Torosyan, fondatrice et PDG de SafeYOU, a ensuite présenté cette plateforme innovante qui vise à prévenir les violences faites aux femmes grâce à la technologie. Lancée pendant la pandémie, SafeYOU est une application gratuite qui offre des outils d'assistance d'urgence, de sensibilisation et de soutien communautaire. Elle permet notamment d'envoyer des alertes géolocalisées à des contacts pré-sélectionnés, tout en enregistrant des preuves audio en cas de danger. « Notre objectif principal n’est pas de sauver les femmes après un incident, mais de faire en sorte que la violence ne se produise pas », a expliqué Madame Torosyan. Déjà déployée dans des pays comme l’Arménie, la Géorgie, l’Irak, la Pologne et les États-Unis, SafeYOU collabore étroitement avec des ONG, des agences gouvernementales et des organisations internationales. Malgré des défis comme le manque de financement – « Comment peut-on monétiser le nombre de vies que l’on sauve ? », s'interroge la PDG – l’impact de la plateforme est significatif. Elle ambitionne d’influencer plus d’un million de vies d’ici 2030, tout en œuvrant à bâtir une société plus solidaire et proactive. Pour Mariam Torosyan, la clé réside dans la prévention et la sensibilisation : « Comment la technologie peut-elle servir à résoudre un problème ? » ; SafeYOU répond à cette question en mettant la puissance de la technologie au service de la sécurité et de l’autonomisation des femmes.
Leadership : entre résilience et auto-conscience
Après avoir présenté SafeYOU, la conférence s’est concentrée sur le thème suivant : le leadership. Ce dernier a été abordé sous l’angle de la résilience personnelle et de la conscience de soi. Pour Mariam Torosyan, « le leadership commence par une forte relation avec soi-même », une capacité essentielle pour naviguer dans un monde souvent hostile aux femmes. Elle a souligné que cette résilience intérieure permet non seulement de surmonter les défis, mais aussi d’inspirer son entourage.
De son côté, Lara Tcholakian, cadre à la Matena International School of Leadership, a défini le leadership comme « la capacité d’aider une autre personne à développer son potentiel ». Elle a mis en lumière les défis culturels spécifiques auxquels les femmes arméniennes font face, notamment les traumas personnels mais aussi culturels, les attentes sociétales et familiales qui les poussent à incarner une perfection souvent inatteignable.
« J’ai coché toutes les cases pour être une femme parfaite et réussie, mais pourquoi ne suis-je pas heureuse ? », a-t-elle confié, témoignant de la pression imposée par un système où les émotions sont souvent perçues comme des faiblesses. Pour Madame Tcholakian, la clé du leadership réside dans la conscience de soi : « Plus je comprends mes faiblesses, mes émotions et mes souvenirs, mieux je comprends mon équipe, et je deviens une meilleure leader. »
En cultivant cette introspection, les leaders peuvent non seulement mieux gérer leurs équipes, mais aussi créer un environnement où chacun peut s’épanouir. Selon Lara Tcholakian, un bon leader commence par « comprendre le comportement humain et la personne qui se trouve à ses côtés ». Cette approche souligne l’importance d’adopter une écoute active et de reconnaître l’individualité de chaque membre d’une équipe. Plutôt que d’imposer une vision uniforme, il s’agit de s’adapter aux besoins et aux aspirations de chacun pour révéler leur plein potentiel. En outre, la communication constitue une autre caractéristique d’un bon leadership. Cela ne se limite pas à parler mais inclut également la capacité d’écouter attentivement. « La communication, c’est savoir parler et écouter », a-t-elle insisté, rappelant que l’écoute est une qualité souvent négligée, mais indispensable pour construire des relations de confiance. À cela s’ajoutent l’intégrité et le courage, notamment le « courage de dire la vérité au pouvoir ». Cette posture exige une force intérieure qui permet d’être honnête même face à des défis ou des pressions. Le courage et la vulnérabilité sont intrinsèquement liés. « C’est le courage d’être vulnérable », a-t-elle affirmé, soulignant qu’un leader qui accepte de montrer ses faiblesses inspire souvent une plus grande authenticité et solidarité au sein de son équipe. Cette vulnérabilité, loin d’être une faiblesse, devient une force qui favorise des connexions profondes et sincères avec les autres. Enfin, Madame Tcholakian a conclu que le leadership n’est pas réservé à une élite : « Nous avons tous la capacité d’être un leader. » Pour elle, le rôle d’un leader n’est pas de dominer ou de contrôler, mais d’« aider les gens à devenir meilleurs ». Cette vision démocratique du leadership redéfinit le rôle du leader comme celui d’un guide, d’un mentor ou d’un catalyseur, capable de créer un environnement où chacun peut s’épanouir.
Ces échanges ont révélé que, bien que les défis culturels et sociétaux soient nombreux, ils peuvent être surmontés grâce à une approche introspective du leadership. Cette démarche, fondée sur la compréhension des autres par une meilleure connaissance de soi, s’impose comme une voie vers un leadership plus empathique et efficace.
Les différences entre les leaders hommes et femmes
La question des différences entre leadership masculin et féminin a suscité des échanges riches et nuancés. Mariam Torosyan a mis en avant l’impact des normes patriarcales sur la perception et le comportement des hommes dans des positions de pouvoir. « Toutes les normes sociales façonnent les hommes pour qu’ils soient les leaders, mais cela les empêche aussi d’exprimer leurs émotions », a-t-elle expliqué, soulignant comment cette construction sociale affecte non seulement les femmes, mais aussi les hommes. Elle a également évoqué une dynamique particulière observée dans les interactions avec des leaders masculins : « Quand je suis entourée de leaders masculins, je remarque qu’ils ne s’écoutent pas vraiment ; ce n’est pas une question de trouver des solutions, mais de montrer leur puissance. »
Lara Tcholakian, quant à elle, a abordé une autre facette de cette problématique, celle du manque de solidarité entre femmes. « J’ai vu des femmes manquer d’empathie envers d’autres femmes. C’est dommage », a-t-elle regretté. Ce constat illustre les effets d’un système compétitif qui pousse parfois les femmes à adopter des comportements peu solidaires pour se faire une place dans des environnements dominés par les hommes. Cependant, Madame Tcholakian a tenu à nuancer le débat : « J’ai vu d’excellents leaders masculins et des femmes qui manquaient d’empathie. Ce sont les qualités humaines qui comptent. » Elle a ainsi rappelé que le leadership ne peut être réduit à une simple opposition de genres. Ce sont des qualités comme l’intelligence émotionnelle, la capacité d’écoute et l’empathie qui définissent un bon leader, quelles que soient les attentes sociétales liées au genre.
Ces réflexions ont mis en lumière l’importance de déconstruire les stéréotypes de genre en matière de leadership. Si le leadership féminin tend à être davantage associé à des valeurs d’empathie et de collaboration, il est crucial de reconnaître que ces qualités peuvent être incarnées par tous, indépendamment du genre.
Vers un avenir meilleur
La conférence s’est conclue sur des messages puissants et inspirants, rappelant à tous les participants le potentiel de chacun à mener un changement positif. Lara Tcholakian a partagé un enseignement essentiel : « Chacun d’entre nous a la capacité d’être un leader, si nous avons le courage d’être vulnérables. » Ces mots résonnent particulièrement dans un contexte où la vulnérabilité est souvent perçue comme une faiblesse, notamment dans les cultures dominées par des normes patriarcales. Pour Madame Tcholakian, la vraie force d’un leader réside dans sa capacité à comprendre ses propres émotions et à les utiliser pour mieux servir les autres.
Mariam Torosyan a, quant à elle, insisté sur l’importance de rester connecté à nos sources de courage, un principe fondamental qui permet de surmonter les obstacles du quotidien. « C’est ainsi que nous pourrons obtenir ce que nous voulons de la vie », a-t-elle affirmé, soulignant que la persévérance et la confiance en soi sont des clés essentielles pour avancer vers un avenir meilleur. Ce message résonne avec l’expérience de nombreuses femmes leaders en Arménie et ailleurs, qui, face à un environnement souvent difficile, trouvent dans leurs propres ressources intérieures la force de persévérer.
Ces réflexions collectives soulignent une vision partagée : un avenir où la vulnérabilité n'est pas un frein, mais une porte ouverte sur la croissance personnelle et collective. En cultivant l’empathie, la communication ouverte et la confiance mutuelle, les femmes leaders comme Mariam Torosyan et Lara Tcholakian ouvrent la voie à un changement profond, non seulement dans le leadership féminin, mais aussi dans la société dans son ensemble. Le chemin vers un avenir plus inclusif et équitable semble ainsi pavé de petites victoires personnelles, mais aussi d'un engagement à créer des espaces où chacun peut s’épanouir et exercer son potentiel de manière authentique.
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Cet événement a démontré avec force que le leadership féminin, soutenu par la technologie et l’éducation, a le pouvoir de transformer la société arménienne et au-delà. Il appartient désormais à chaque individu de cultiver ces valeurs et de contribuer à un avenir plus équitable. L’Arménie, comme beaucoup d’autres sociétés, fait face à des défis considérables, mais avec des initiatives comme celles de KinArmat, SafeYOU et le travail continu de femmes comme Mariam et Lara, la voie vers un avenir meilleur devient de plus en plus visible. Le leadership féminin en Arménie, soutenu par la technologie et l’éducation, devient un levier puissant pour transformer les mentalités et ouvrir de nouvelles opportunités pour les générations futures.