Après les tragiques événements survenus en Artsakh, le drame pour l’Arménie serait de ne plus anticiper les possibles soubresauts futurs en géopolitique, directement liés à sa situation. Tous se concentrent autour du gaz et du pétrole.
Par Régis Danielian
Peut-être pas demain, mais très prochainement, sans doute d’ici quelques semaines, le baril de pétrole devrait atteindre le seuil symbolique de 100$ le baril. Le gaz et le pétrole sont au cœur des jeux de pouvoir avec des influences, dont les arméniens payent le prix.
Mais revenons un peu dans le passé, afin de mieux comprendre les aboutissants actuels.
À partir de 2005, les prix du pétrole dépassent 50$/baril pour la première fois, causés par un malicieux mélange de hausse de la demande de pays émergents (Chine, Inde, etc.), d’une offre qui se raréfie et donc devient plus coûteuse, de jeux de pouvoir. Mais ce qui monte vite, à tendance à chuter vite aussi. La crise financière de 2008 va rééquilibrer les prix momentanément, mais pour remonter de plus belle dans la foulée et se stabiliser à de hauts niveaux.
De nombreux pays utilisèrent cette manne financière continue pour diversifier leurs investissements (comme les Emirats Arabes Unis), ou s’armer, comme l'Azerbaïdjan dont les achats massifs d’équipements militaires débutèrent à ce moment-là, au fur et à mesure que l’argent du pétrole augmenta le PIB du pays. Nous connaissons la suite.
Cette situation devint néanmoins intenable pour des pays consommateurs qui ne purent plus assurer une croissance stable à leurs industries. Mais sans solutions alternatives disponibles. En parallèle, le réchauffement climatique, causé par les énergies fossiles, commença à se voir au yeux du Monde, avec des conséquences dramatiques impossible à ignorer. L’exploitation des couches de schistes aux USA, parallèlement à la mise en place de solutions moins gourmandes en énergies fossiles, et une politique européenne clairement plus vertueuse, relâcha la pression sur les prix qui baissèrent, mais peu.
Les industriels et investisseurs dans le domaine de l’énergie ne savent plus trop où donner de la tête. Si les prix du baril sont trop bas, leurs bénéfices s’estompent ainsi que leurs désirs d’investissements. Si les prix sont trop hauts, cela pousse les pays et les gens à trouver des alternatives (voitures électriques, panneaux solaires, pompes à chaleur, énergies renouvelables, etc.) afin de réduire leur frais et leur empreinte carbone en même temps.
Depuis 2005, les moments de calme furent rares. Parallèlement, la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique augmenta, mais trop lentement pour obtenir une once de l'indépendance supplémentaire, avec des choix qui, in fine, se révélèrent désastreux, notamment sur le choix du gaz (russe notamment) par les Allemands au dépend du nucléaire.
La dépendance énergétique quasi totale des pays de l’UE (surtout l’Est et le Sud), réduit à néant tout levier de pression sur des fournisseurs peu amicaux et qui en jouent afin d’augmenter leur pouvoir et leur influence, et réaliser leurs desseins. Si des solutions techniques existent (solaire, éolien, nucléaire, smart grid, etc.), elles sont lentes et coûteuse à mettre en place.
En 2022, la guerre en Ukraine agita un marché de l’énergie déjà très mouvementé, entraînant des décisions prises dans la précipitations, sans être trop regardant quant à l’interlocuteur prêt à livrer gaz et pétrole, pour des industries en plein rebond, et totalement dépendante des importations énergétiques comme l’Allemagne, alors que la France, se basant sur le nucléaire peut se permettre le luxe de l’indépendance.
Sans entrer dans les détails complexes des arcanes du marché des énergies fossiles, on peut sans prendre trop de risques que les prix vont atteindre la barre symbolique des 100$ d’ici peu, et s’y maintenir jusqu'à la fin de l’année. Le gaz quant à lui, reste à des tarifs stables et pas trop élevés. Période rêvée pour les producteurs.
Les prix du gaz semblent se stabiliser, entre autres grâce aux perspectives d’exportations venant de l’est de la Méditerranée (Israël, Chypre, Liban, Égypte), et au gaz qui arrive en Europe, sous forme liquéfié, y compris russe et donc non soumis aux sanctions. Cela reste donc une bonne source d’énergie à prix raisonnable.
Les évènements de 2022 obligèrent l’UE à prendre des décisions dans la précipitation, au dépend de l’Arménie, en dépit du bon sens et de la morale. Les importations de pétrole dans l’UE ne vont pas cesser, qu’elles viennent d’Arabie ou d'Azerbaïdjan, mais devraient continuer de baisser comme c’est le cas depuis 2006. Et plus le pétrole est cher, plus la recherche de solutions alternatives devient pressante.
En 2022, 10% des voitures neuves vendues en Europe de l’Ouest roulaient à l’électrique. Ce taux est monté à 15% depuis. Et cela va continuer, voir s'accélérer sous la pression populaire, car les solutions existent et se multiplient.
Par voie de conséquence, l’influence que les pays exportateurs de pétrole pouvaient obtenir ici et là pour assouvir leur agenda politique va s’estomper avec la fin de la rente pétrolière. Moins d’argent qui rentre, moins de sollicitation du monde extérieur pour sécuriser des approvisionnements énergétiques. Logique simple.
Depuis 2010, leur production pétrolière baisse de manière continue. Celle de gaz augmente, mais les prix après avoir atteint des sommets anormaux l’année dernière reviennent à des niveaux acceptables, ce qui attire les clients afin de faire tourner les centrales électriques, dont beaucoup fonctionnent au gaz.
La production azéris en gaz atteint le 1/4 de celle de la Norvège, la moitié de l’Égypte, à peu près celle du Royaume Uni. Bakou reste un acteur du secteur énergétique, mais pas le plus important. Sans compter les projets d’exploitation de gaz israéliens et chypriotes qui viendront directement concurrencer Bakou d’ici quelques années, et qui eux auront la préférence des Européens.
Les 100$/baril devraient faire l’effet d’un électrochoc sur les consommateurs européens, avec en perspective une accélération des initiatives pour trouver des alternatives et gagner en indépendance, surtout dans le domaine des transports. Les pays producteurs de pétrole savent que l’avenir de leur industrie est irrémédiablement compromis, surtout vis-à -vis des acheteurs occidentaux.
Un gaz bon marché attirera longtemps les clients. L’OPEP+ (dont l'Azerbaïdjan fait partie) a décidé de limiter sa production de pétrole, afin de rafler une dernière fois la mise. Les exportations d’énergies fossiles de l’Azerbaïdjan comptent pour 95% de leurs revenus. Ceci étant, les chantages exercés par certains pays s'estomperont d’ici quelques années, car leur unique levier de pression deviendra obsolète, mais pas dans un avenir proche.