Les éditions du Cerf ont récemment publié le témoignage exceptionnel et émouvant du Père Bernard Kinvi, jeune prêtre togolais, qui a accueilli, en 2013-2014, lors du conflit civil en Centrafrique, des blessés et des malades sans distinction ethnique, communautaire ou religieuse. Dans son ouvrage intitulé « Mission », il témoigne des épreuves endurées au péril de sa vie et analyse avec une lucidité rare la nature des conflits qui ravagent la Centrafrique, oubliée de la communauté internationale. Pour en savoir davantage à ce sujet, Le Courrier d’Erevan s'est entretenu avec le journaliste, rédacteur pour plusieurs revues géopolitiques, Tigrane Yegavian, qui a accompagné le Père Kinvi dans l’écriture de ce livre.
Par Anna Baghdassarian
Un témoignage extrêmement poignant
En 2013, lorsque la République centrafricaine plonge dans le chaos et la violence, lorsque la haine s'empare des esprits et l’amour recule, le père Bernard Kinvi, jeune religieux togolais, membre de l’ordre des caméliens, s’engage dans la mission de sauver, au péril de sa vie, des milliers de blessés et de malades sans distinction ethnique, communautaire ou religieuse.
Pour son engagement exceptionnel en faveur des droits de l’homme, il reçoit en 2014 le prix Alison Des Forges, décerné par Human Rights Watch. Le père Bernard Kinvi est également l’un des finalistes du Prix humanitaire AURORA 2016. C’est à cette occasion qu’il rencontre le journaliste Tigrane Yegavian, une entrevue qui sera à l’origine d’une belle histoire d’amitié. Par la suite, le jeune prêtre se rend compte que c’est avec l’aide de son nouvel ami qu’il voudrait raconter son histoire au monde.
« Le père Kinvi, par son témoignage et son vécu, nous ramène à l’essentiel et accomplit à la lettre les Evangiles »
« J’ai fait la connaissance du Père Bernard Kinvi en Arménie en printemps 2016, alors qu’il venait tout juste d’être nominé pour la liste des finalistes du Prix Aurora. A cette occasion, j’avais rédigé un portrait et l’avais accompagné dans plusieurs sites sacrés et dans le centre-ville d’Erevan. Ce n’est que de nombreux mois plus tard, qu’un beau jour, il m’a fait part de son désir que je l’aide à écrire un livre servir les malades au péril de sa propre vie s’il le faut ; doublé d’une analyse lucide et sans complaisance sur son histoire. Il souhaitait témoigner de son expérience de chrétien, engagé à sur les enjeux du conflit qui ravage la République centrafricaine »,- se souvient Tigrane Yegavian. Ce qui l’avait particulièrement impressionné dans le parcours du père Kinvi, c’était son extrême humilité, alliant un courage extraordinaire et une sérénité qui parfois frisait l’incompréhension. « Sans doute un mystère de la foi qui nous fait nous remettre en question : voici un homme comme vous et moi qui reconnaît ses faiblesses et ses défauts, accepte de se confier entièrement à Dieu dans une communion totale. Ce qui m’intéresse dans son récit, c’est que nous sommes tous deux de la même génération. Son train de vie à Lomé, lorsqu’il était adolescent est très parlant. D’où mon admiration de l’avoir vu porter autant de montagnes, armé de sa seule confiance et de son amour envers le Créateur. Je trouve ce témoignage extrêmement poignant, tenant compte du fait que j’ai grandi dans une société déchristianisée et en perte de repères. Le père Kinvi, par son témoignage et son vécu, nous ramène à l’essentiel et accomplit à la lettre les Evangiles »,-nous raconte Tigrane.
Un pays plongé dans l’oubli
Dans le livre « Mission », le père Kinvi se présente à la fois comme homme d’Église et observateur de la situation explosive en République centrafricaine. D’une part, il témoigne de l’amour du Christ, de la foi et, d’une autre, il décrypte la réalité, en parlant de son pays, plongé dans le chaos et la violence. On peut donc considérer que c’est à la fois un témoignage spirituel et une analyse géopolitique. « Ce livre a ceci de pertinent qu’il est tout à fait ancré dans le réel. Il conjugue à la fois une dimension spirituelle et un volet géopolitique, sans concession envers la « communauté internationale ». Le père Kinvi ne mâche pas ses mots lorsqu’il pointe du doigt les « errements » ou les « failles » des forces françaises de la mission Sangaris tout comme la lourdeur bureaucratique de l’ONU, dont les casques bleus se sont vus confiés une mission difficile à mettre en œuvre », - souligne Tigrane Yegavian.
La Centrafrique reste un pays méconnu dans le monde. Dans les médias internationaux, son conflit civil est souvent mal interprété : si beaucoup pensent qu’il est de nature confessionnelle, son fondement est en réalité davantage politique, militaire et économique.
« La république Centrafricaine évoque un pays oublié, une ancienne colonie délaissée par la France qui, par le passé, a eu un dirigeant haut en couleur en la personne de l’empereur Bokassa »
Avant la rencontre avec le père Kinvi, Tigrane Yegavyan, auditeur de RFI et rédacteur pour plusieurs revues géopolitiques, avait quelques notions éparses sur le sujet. « Mais force est de constater que ce conflit n’intéresse que médiocrement l’opinion publique française, absorbée davantage par d’autres thématiques. La république Centrafricaine évoque un pays oublié, une ancienne colonie délaissée par la France qui, par le passé, a eu un dirigeant haut en couleur en la personne de l’empereur Bokassa »,-dit-il.
La voix universelle chrétienne
« Le livre s’adresse au grand public de 7 à 77 ans, sans distinction de race et d’appartenances religieuses (ou pas) »,- souligne le coauteur Tigrane Yegavian. « C’est une invitation à débattre à la fois de la gestion calamiteuse du conflit centrafricain par les Centrafricains eux-mêmes et les Occidentaux d’autre part. L’autre aspect qui m’intéresse serait de faire entendre une voix chrétienne universelle qui s’adresse à l’ensemble de l’humanité décloisonnée de tous les clivages socio-ethnique. Une voix qui doit aussi résonner dans les communautés catholiques d’Occident qui se crispent par crainte de perdre leur héritage culturel et leur patrimoine. Une voix qui parle de la foi et de l’espérance dans un langage simple, un appel à témoigner de la richesse que l’on a reçu, de l’intensité du vécu, pour le faire partager au plus grand nombre ».