À Gumri, le souvenir de l'avant demeure, mais il laisse peu à peu place à la naissance d'un après

Actualité
07.12.2018

Il y a trente ans, le 7 décembre 1988, un terrible tremblement de terre dévaste environ 40% du territoire arménien. La ville de Leninakan (actuelle Gumri) est détruite à 60%, et perd une part importante de sa population. En tout, la catastrophe fera plus de 25 000 morts, 140 000 handicapés, 500 000 sans-abris, en touchant 940 000 personnes retrouvées dans la zone sinistrée et en détruisant 40 % d’industrie de l’Arménie soviétique.

Par Agnès Ohanian

En Arménie, l'année 1988 est marquée par d'importantes revendications sociales, notamment de grandes manifestations écologistes et indépendantistes. Cette même année voit le début d'un conflit qui oppose les Républiques d'Arménie et d'Azerbaïdjan pour la région du Haut-Karabagh. La guerre durera six ans jusqu'à la signature d'un cessez-le-feu en 1994.

Survenue dans une période de profonde crise politique et sociale qui agite la république arménienne, la date du 7 décembre 1988 est ainsi une véritable césure pour le pays tout entier, constituant alors l'idée d'un avant et d'un après. C'est également un tournant historique pour l'URSS, qui ouvre pour la première fois ses frontières pour accueillir l'aide humanitaire de l'étranger venue pour secourir les survivants du séisme.

La ville qui a changé plusieurs fois de noms (Alexandrapol – Koumaïri - Leninakan – Gumri…) a eu une période glorieuse. À l'époque impériale russe, elle connaît un important développement industriel. Son essor rapide en fait l'une des plus importantes villes du Caucase du Sud, avec Tiflis (actuelle Tbilissi, Géorgie) et Baku (Azerbaïdjan). Pendant la période soviétique, la ville rebaptisée Leninakan demeure un centre urbain important, malgré le devancement d'Erevan, devenue alors capitale de la République socialiste soviétique d'Arménie. Gumri est également deuxième ville du pays et le chef-lieu de la région de Shirak, aujourd'hui la région la plus pauvre de la République d'Arménie.   

Trente ans sont passés mais la blessure reste ouverte: pour Gumri, une génération n'a pas suffi pour apaiser le souvenir du tremblement de terre. La situation dans la ville s'améliore très (trop!)  lentement, même si ces dernières années, d'importants travaux ont été entrepris et semblent faire renaître la ville. Cependant, les conséquences du tremblement de terre sont toujours visibles dans l'espace public. Bâtiments en ruine et domiks (préfabriqués destinés à reloger temporairement les sinistrés du séisme) forment aux côtés des nouvelles constructions le paysage de la ville, car trente ans après, certains Gumreci vivent encore dans des domiks. Malgré l'aide humanitaire des associations de la diaspora arménienne, la misère constitue encore le quotidien de nombreux habitants de la ville. Selon Teresa Mkhitaryan, fondatrice et directrice de l'association Germoglio, « La corruption et la mauvaise gestion de l'aide humanitaire ont empêché la résolution des problèmes ».

Surnommés les « grandes gueules », réputés être blagueurs et fanfarons, les Gumreci dont le dialecte rappelle les sonorités de l'arménien occidental sont parvenus cependant à conserver leur sens de l'humour légendaire. La ville qui a vu naître certains des plus grands artistes arméniens est aujourd'hui tournée vers l'avenir. Certaines personnes s'y engagent pour la renaissance de Gumri. Une renaissance respectueuse de l'être humain et de l'environnement. Artush Yeghiazaryan, militant écologiste, fondateur et directeur du salon de thé Herbs and Honey, apporte un souffle nouveau à la ville. L'association Emili Aregak œuvre pour l'intégration des enfants handicapés, dans une société où le handicap demeure tabou. La nouvelle génération de Gumri compte des talents certains et une volonté créatrice. Le célèbre groupe de rock Bambir, qui a donné un concert le 6 décembre 2018 en hommage aux victimes du tremblement de terre, en est un exemple. Pour la jeune artiste plasticienne Suzanna Ghazar, Gumri est une source d'inspiration. Les deux jeunes architectes français Hugo Daguillon et Thomas Trouville, créateurs du projet Up' Gumri, contribuent également à la renaissance de la ville. Autant d'exemples qui laissent entrevoir une ville tournée vers l'avenir. 

À l'occasion du trentenaire du tremblement de terre du 7 décembre 1988, le Courrier d'Erevan a préparé un dossier spécial que vous pourrez lire à partir de la semaine prochaine.