L’archimandrite Bagrat Galstanyan, membre du Conseil Spirituel Suprême de l'église apostolique arménienne, mène vers Erevan un mouvement populaire baptisé ‘’Tavush pour la patrie’’, attendu dans la capitale ce 9 mai.
Par Olivier Merlet
Certains voient en lui un Makarios arménien, l’archevêque orthodoxe grec, père fondateur de la République de Chypre en 1960, artisan de son indépendance qui pendant plus de trente ans incarna sa nation comme peu d’hommes d'État. Bagrat Galstanyan, homme d’église, archimandrite du diocèse de Tavush, est actuellement en marche vers Erevan à la tête d’un mouvement populaire, "Tavush pour la patrie", né il y a 10 jours le long de la frontière redessinée avec l’Azerbaidjan.
Tout a commencé le 26 avril, précisément, lorsque les habitants Kirants, et d'autres riverains des quatre villages frontaliers du Tavush restitués à l'Azerbaïdjan ont monté des tentes et bloqué la route le long de laquelle ils habitent, l'axe Erevan - Tbilissi, l'un des trois cordons ombilicaux du pays. Rapidement dépêchés sur place, le ministre de l'Intérieur et d'autres personnalités proches du gouvernement ont tenté de parlementer. Blocage, déblocage, re-blocage et détermination, la tension est vite montée, les bérets rouges et surtout noirs, les forces spéciales de la police n'ont pas tardé à intervenir, arrestations et brutalités à la clef. Pas d'opération spéciale affirmait pourtant le gouvernement.
Et il est apparu : Bagrat Galstanyan, archimandrite du diocèse de Tavush, aux côtés de ceux qui ont peur et ne veulent que rester vivre sur leur terre, sans crainte des tirs ennemis. On l'a vu s'asseoir sur l'asphalte, le 2 mai, pacifique mais décidé, tenant tête aux forces de l'ordre, résolu comme à Shushi bombardée, début novembre 2020, lorsqu'il il chantait pour la dernière prière à Ghazanchetsots.
Bagrat Galstanyan, Vazgen de son nom de baptême, est membre du Conseil Spirituel Suprême de l'église apostolique arménienne depuis 2017. Il exercait auparavant les fonctions de directeur du Bureau des Affaires conceptuelles ecclésiastiques du Siège Mère et, précédemment encore, l'office de primat du diocèse arménien du Canada, à Montréal pendant 10 ans. Théologien érudit, il est titulaire d'une thèse de doctorat sur "le système de santé de l'Arménie, ses marges historiques, sociales et théologiques, le passé, le présent et les perspectives de développement futur". C'est lors de son ordination en 1995 par Karekin Ier qu'il prend le nom de Bagrat, en référence à Bagrat Vardazarian, victime des purges staliniennes, arrêté en 1937 puis fusillé un an plus tard au motif d'agitation antisociale. Tout un symbole…
La présence à Kirants d'un homme d'église - et pas n'importe lequel - a d'un coup cristallisé beaucoup d'espoirs en Arménie, populaires avant tout, bien au-delà du Tavush et de la question des frontières. C'est aussi sans doute celui de "l'homme providentiel" que l'Arménie se cherche depuis au moins la fin de la guerre des 44 jours. Quelques personnalités lui ont publiquement exprimé leur soutien, ceux des rangs du pouvoir d'avant 2018 pour la plupart, évidemment, mais la classe politique arménienne retient encore ses commentaires. Les médias proches du gouvernement aussi, l'agence officielle Armenpress en tête qui a clairement fait le choix jusqu'à ce jour de ne pas en parler.
Baptisé "Tavush pour la patrie", le mouvement a quitté Kirants samedi dernier pour rejoindre la capitale, Erevan, qu'il compte atteindre le 9 mai, le jour de la victoire soviétique de 1945. « Nous irons à pied, nous irons en bus ou en voiture, on s'allongera, on dormira, on reculera de 3 m, on avancera de 6, on ira comme on veut. Ce mouvement est né naturellement et il se déroulera naturellement. » a annoncé le 6 mai son leader pour le moins charismatique. Le soir, qvec tous ses coreligionnaires, il atteignait lemonastère d'Haghartsin, non loin d'Ijevan. « Cette marche nous apportera une chose : l'honneur et la patrie » déclarait alors Bagrat Vardazarian.
Hier dimanche, le cortège a passé la nuit à Tsovagyugh, sur les rives du lac Sevan, à mi-chemin du parcours. « Vous êtes le plus, le plus, un peuple qui vit sous les yeux du Seigneur, qui a [depuis] si longtemps le sentiment d'avoir été privé de sa dignité, de sa joie, qu'aujourd'hui il est faible, blessé. Nous souhaitons que vous vous leviez en tant que nation et peuple unis et que vous détruisiez complètement cette stigmatisation. […] Rien ne peut être lié à une personne, rien » a encore ajouté le prélat, sans citer de nom, « c'est une lutte pour conquérir la patrie et la dignité. Il s’agit de la victoire de la vérité ».
Interrogé sur la finalité de ses revendications et ses intentions, Bagrat Vardazarian préfère s'en tenir à l'origine de la création de son mouvement, la démarcation des frontières. « Notre revendication est d'arrêter tout ce processus illégal commencé dans le mensonge lors de la campagne électorale de 2021, lorsque l'on a dit aux villageois qu'il n'y avait pas de problème ». Il prévient cependant, « Je ne sais pas quel développement vont se produire mais notre action doit être menée à son terme ».