Depuis plus de quarante ans les débats concernant le Suaire de Turin font rage dans les milieux scientifiques.
Par Anna Aznaour, notre correspondante à Genève
Les faits se passent un vendredi d’avril, comme aujourd’hui. Un homme de 33 ans avait été trahi par un proche et arrêté sur-le-champ pour trouble à l’ordre public. Il n’était pas le premier à s’être déclaré messie en s’insurgeant contre les autorités. Mais contrairement à d’autres, ce rebelle-là ne mettait pas en cause l’autorité impériale de l’occupant étranger. Sa contestation était tournée contre la récolte obligatoire de l’impôt dû aux prêtres de son propre peuple, qu’ils utilisaient pour s’enrichir. D’après ce révolutionnaire du nom de Jésus de Nazareth, le Seigneur n’attendait pas de pièces d’argent de ses partisans.
Ce vendredi d’avril, le contestataire est cloué sur une croix par les poignets et les pieds. Quelques heures après, son cadavre est descendu de la croix, enveloppé dans un drap et emmené dans un tombeau. Deux jours plus tard, lorsque sa mère Marie vient au tombeau avec Marie Madeleine, elles le trouvent vide. De son vivant, Jésus avait prédit sa mort violente et promis de ressusciter.
D’abord chez les Arméniens
C’est ainsi que commence l’histoire incroyable du drap ayant enveloppé le corps sans vie de Jésus, sur lequel son image se serait imprimée sans aucune intervention humaine. Les premières mentions de ce tissu en lin, baptisé plus tard suaire de Turin, datent du 1er siècle et proviennent d’Urfa, ancienne ville arménienne actuellement en Turquie. D’après les historiens, il aurait disparu de cette cité pendant la persécution des chrétiens pour réapparaître à Constantinople. Puis il aurait été ramené dans l’Hexagone par les croisés suite à leur pillage de la ville. Devenu propriété de la famille de Charny, le linceul sera exposé à l’église Sainte-Marie de Lirey entre les années 1357 et 1370, rapportant des revenus confortables à ses détenteurs.
Il arrivera à Turin en 1578 après avoir transité par Genève et Chambéry et acquiert une célébrité mondiale le 28 mai 1898 lorsque l’Italien Secundo Pia, avocat et photographe amateur, le prend pour la première fois en photo à l’occasion des 400 ans de la ca- thédrale de Turin. Les négatifs révèlent, à sa grande surprise, un visage d’une netteté saisissante.
Dès 1900, le drap fait l’objet de recherches et d’examens d’authentification. Le bal des controverses et des passions est lancé, avec des déclarations retentissantes qui se contredisent jusqu’à aujourd’hui.
Les résultats des tests
C’est en 1976 que l’on découvre l’image tridimensionnelle figurant sur le linceul grâce à deux physiciens américains et à l’analyseur d’images de la NASA. Suite à cela, STURP, un consortium regroupant des scientifiques de différentes disciplines, effectue les premiers prélèvements officiels sur le drap.
Les résultats des tests aux rayons X, ultraviolets, chimiques et autres sont rendus publics en 1978. Ils sont sans appel: l’image imprimée sur le suaire n’a pas pu être tracée par la main de l’homme! Ce constat invalide d’office toutes les affirmations de faux qui surgiront pendant les décennies suivantes. Parmi elles, l’étude de la datation du tissu réalisée au carbone 14 en 1988, qui affirme qu’il aurait été fabriqué au Moyen Âge (vers 1350).
Toutefois, en 1999, un professeur de botanique de l’Université de Jérusalem trouve sur ce morceau de lin des pollens d’une plante de la mer Morte disparue au 8e siècle. Deux chercheurs qui avaient participé à l’étude de 1988 reconnaîtront publiquement des erreurs dans les années 2000 en expliquant que d’importants indices comme la chaleur, l’humidité, la présence de moisissures ou la contamination bactérienne – prouvée en 1996 – n’avaient pas été pris en compte lors des analyses. En effet, le suaire avait été restauré maladroitement au Moyen Âge après plusieurs tentatives de destruction à caractère criminel qui l’avaient légèrement endommagé.
L’hypothèse de Mouraviev
Ce qui ressort de nombreuses études sur le sujet, c’est que ce drap date très probablement de l’époque de Jésus et que les taches qu’il arbore proviennent d’un homme qui a été crucifié après avoir subi le martyre décrit dans les évangiles. En revanche, on ne peut affirmer avec certitude qu’il s’agit de Jésus de Nazareth. Cependant, la raison de l’impression de l’image sur ce drap reste un mystère.
Mais pas pour Serge Mouraviev dont l’article paru en 1997 dans la revue Applied Optics met le point sur le i. Le texte, d’une grande rigueur scientifique, explique les hypothèses de formation, sous l’effet du soleil, de l’image visible sur le linceul. Son auteur, un interprète de conférence, traducteur et helléniste, est également coauteur, avec l’historien André Cherpillod, du livre « Apologie pour le suaire de Turin par deux scientifiques non croyants ». Pour lui, la double image visible sur le suaire de Turin a été formée sous l’effet des rayons du soleil sur le cadavre humide enduit auparavant d’arômes (aloès et myrrhe), selon la tradition funéraire juive d’antan, qui auraient rendu le drap photosensible. Agnostique, cet érudit n’explique pas l’image du suaire par une intervention divine ou par la Résurrection. Selon lui, le mérite du linceul est de nous rappeler les innombrables Jésus d’aujourd’hui réduits en poussière sans souvenirs ni trace aucune.