Entre chorégraphie et poésie : dernière session de l’Atelier d’art dramatique

Arts et culture
12.04.2023

La deuxième saison de l’Atelier d’art dramatique bilingue s'est clôturée par une session travaillé de travail sur le corps et la poésie menée par Eric Leconte et Thierry Thieû Niang, deux artistes aux sensibilités très différentes.

Par Lusine Abgaryan

 

Eric Leconte, comédien professionnel au théâtre depuis une quarantaine d'années nourrit un grand intérêt pour la pédagogie et la passation de savoir. Outre ses créations théâtrales, il poursuit des activités d’enseignement auprès de publics variés, des jeunes notamment. Il a récemment travaillé sur un spectacle intitulé "Tigrane" en collaboration avec le comédien franco-arménien Tigrane Mekhitarian. Il anime également des ateliers de prise de parole et de rhétorique dans le cadre de la programmation du Mucem de Marseille.

Thierry Thieû Niang quant à lui, est danseur et chorégraphe. Parallèlement à son parcours de création, il initie des ateliers de recherche chorégraphique tant auprès de professionnels que d’amateurs de tous âges mais aussi de personnes autistes ou de détenus. Officier des Arts et lettres, lauréat de la bourse de la "Villa Médicis hors les murs", de la Fondation Unesco-Aschberg et du prix "Chorégraphe SACD", il intervient auprès d’écoles d’art, de conservatoires supérieurs d’art dramatique et chorégraphique, d’associations de quartiers, d’hôpitaux et de prisons dans différentes villes en France et à l’étranger.

À l’occasion de leur visite professionnelle en Arménie, le Courrier d’Erevan s’est entretenu avec ces deux artistes invités par l’Atelier.

 

Pendant ces deux semaines, les stagiaires de l’Atelier ont eu la possibilité de travailler avec vous le corps, Thierry, et avec vous, Eric, la poésie: Parlez-nous de cette expérience.

Thierry Thieû Niang : L’expérience a été belle, intense et généreuse ! Les deux groupes de comédiens, à Gyumri et Erevan ont été présents au travail proposé, ouverts aux propositions, aux ateliers de recherche chorégraphique et aux exercices d’improvisation ou de composition spontanée. Ils ont montré un intérêt et une assiduité constante, une énergie de groupe renouvelée chaque jour, un investissement de chacun et chacune et une dynamique incroyable des corps en mouvement au présent des présences. 

Ils ont également proposé des réponses pertinentes sur les questions du mouvement corporel dans le travail d’acteur, la place de l’imaginaire du mouvement dans la relation aux textes, à la dramaturgie, aux écritures scéniques et à la mise en scène. Le groupe a réussi à s’emparer du vocabulaire et de la grammaire d’un mouvement dansé, de l’espace et du temps, des corps au plateau.

Eric Leconte : Ces deux semaines de travail avec les jeunes comédiennes et comédiens d’Erevan et de Gyumri ont été une aventure humaine et artistique riche, intense et inoubliable. Cela faisait plusieurs années que je n’avais pas autant été "dépaysé" au plein sens du terme, avec la sensation d’être à la fois si loin et si proche. Suite à cette expérience, je n’aurais pas la prétention de dire que je connais l’Arménie mais je crois avoir entamé un dialogue avec ce pays et ses habitants. Ces derniers sont inspirés et animés par une autre réalité sociale et politique, une autre culture, une autre histoire qui oblige à un déplacement, à une remise en question des valeurs qui structurent mes pensées et mes actes. In fine, à "bouger" et à m’interroger de nouveau sur moi-même, en tant qu'artiste mais aussi, et peut-être surtout, comme être humain.

Que souhaitiez-vous transmettre aux stagiaires pendant ces deux semaines ?

T.T.N. : Au départ il y avait juste le désir de rencontrer avec des comédiens arméniens dans leur travail, leurs projets et leur formation professionnelle. Rencontrer des artistes d’une autre culture et partager avec eux mon expérience de danseur-chorégraphe au service du théâtre.  

Chercher avec eux un mouvement commun, questionner nos processus de création, expérimenter des situations où les corps seraient acteurs et moteurs d’un théâtre à venir. Tenter un mouvement singulier, poétique et politique pour renouveler des points de vue et des idées autour de la dramaturgie et du travail de mise en scène. Chercher ensemble l’émotion et la joie d’un geste, d’un déplacement, d’une action, d’une danse. 

E.L. : Ce que je souhaitais transmettre aux stagiaires c’est une introduction à la mécanique de la langue française, de sa matière, de sa structure et des outils dont dispose le poète ou l'auteur, au théâtre, pour nous permettre de partager sa sensibilité, sa pensée. Il ne s’agissait pas tant d’apprendre à bien parler français pour pouvoir jouer dans cette langue mais de comprendre comment elle fonctionne.

Est-ce que les jeunes artistes arméniens vous ont transmis à leur tour quelque chose pendant cet échange ?

T.T.N. : Tous et toutes m’ont accueilli avec beaucoup de générosité et d’écoute. Ils ont fait preuve d’imagination, de créativité et m’ont guidé à travers leurs propositions à découvrir leurs histoires de vie et de théâtre, leurs désirs professionnels et l’énergie incroyable dans la persévérance et la curiosité. 

E.L. : Ce que les jeunes comédiennes et comédiens m’ont transmis, dans ce pays peut-être plus dur que le nôtre, c’est une joie et un appétit de vivre qui m’ont fait un bien fou. En fait, ils m’ont appris à m’émerveiller de nouveau, à regarder le théâtre et le monde sans trop de préjugés ni d’idées toutes faites, à rester curieux. Ce qui pour un acteur est essentiel et je les en remercie.

Avec quoi repartez-vous ?

T.T.N. : Je repars avec de la joie, le désir de les retrouver et de travailler avec certains sur un projet de création partagée, une aventure à continuer, à faire grandir. Je les remercie de tout cœur.

E.L. : Je repars avec des regrets. Celui de n’avoir pas pu travailler plus longtemps et de quitter des personnes que j’aime. Mais aussi avec des sourires, des fous rires, des notes de guitare ou d’accordéon, des paroles de chansons abandonnées au vent sur les bords de la rivière Akhouryan près du monastère de Marmashem, et tant d’autres choses. Et surtout avec le désir de revenir bientôt et de reprendre le fil de cette conversation suspendue pour un temps…