Elles sont professeur, journaliste, chercheuse, politicienne... Naïra, Ani, Constance, Thénie et les autres ont l'amour de la langue française en partage. Le Courrier d'Erevan les a rencontrées et leur a laissé la parole. Elles nous racontent leur histoire, en français dans le texte, simple et extraordinaire. Portraits de femmes, exemplaires, touchantes, dérangeantes, une autre image de l'Arménie.
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Littéraire de formation Anahid Davtyan s’était consacrée, au début de sa carrière à la promotion de la langue et de la culture françaises dans la région de Lori, au nord de l’Arménie. Enseignante à l’université de Vanadzor et à l’école de Spitak, fondatrice du Centre culturel franco-arménien, Anahid a poursuivi son chemin vers le monde de l’entreprise, cette fois-ci encore, de l’Arménie à la France.
Par Lusine Abgaryan
Membre du Groupement interprofessionnel international arménien (G2IA) basé à Paris, Anahid accompagnait régulièrement les entrepreneurs arméniens dans leurs séminaires de formations lorsqu'en 2007, suite à l’année de l’Arménie en France, elle s'est vu confier par la région Rhône-Alpes, dans le cadre de sa coopération décentralisée, l'organisation et la gestion d'un vaste programme sur l'ensemble du territoire arménien, destiné à y diffuser le plus largement possible les notions de développement durable. Ce n’était encore que le début de sa carrière.
Du tourisme et du vin
C'est lors de ces multiples formations pour entrepreneurs qu'Anahid découvre sa nouvelle voie : la viticulture et plus particulièrement l’œnotourisme, dit aussi "tourisme viti-vinicole", un tourisme rural centré sur la découverte des régions viticoles et de leurs produits. Experte indépendante auprès de la Fondation du vin et de la viticulture d’Arménie placée sous les auspices de l’état, Anahid participe à la mise en place et à la gestion de trois projets conçus en collaboration directe avec plusieurs organismes français : la formation des viticulteurs en Arménie, avec l’Institut de Richemont dans le département des Charentes, la mise en place d’un système d’indication géographique contrôlée avec le ministère de l’agriculture français et l’INAO (Institut national d’appellation d’origine), et enfin, la reconnaissance du terroir arménien en tant que destination recommandée d’œnotourisme. Ce dernier volet est promis à une grande réussite selon elle : « l’Arménie possède une riche histoire et une très ancienne tradition liée à la viticulture. C’est d’ailleurs en Arménie qu'une équipe de scientifiques américains et d'archéologues arméniens ont retrouvé la toute première cave au monde de production de vin ».
Anahid n’est pas moins certaine que « le monde entende très bientôt parler du vin arménien », qui commence à intéresser les spécialistes internationaux, viticulteurs comme œnologues : « Les vins d'Arménie ont une qualité qui commencent à être reconnue internationalement. Beaucoup d'entre eux ont gagné des médailles d’or ou d’argent dans des concours internationaux majeurs ».
Pour approfondir ses connaissances du monde viti-vinicole et toujours dans l'objectif de développer l’œnotourisme en Arménie, Anahid prépare actuellement un diplôme universitaire dans la spécialité à l’université de Bourgogne de Dijon.
De l’art et de la soie
C’est une histoire personnelle dramatique qui a mené Anahid à l’art et à la création. Elle s'y réfugie, suite à la disparition soudaine de sa sœur, sa manière à elle de surmonter le traumatisme et de sublimer sa douleur. C’est ainsi que nait "Liana", son premier foulard. « Ma soeur voulait, en partant, que je travaille la soie. Elle avait envie d’être délicatement enveloppée. Elle m’a alors demandé de créer quelque chose qui allait lier le vin, la soie et notre enfance ». C’est ainsi qu’en 2017 démarre sa création de foulards de soie raffinés qui matérialisent la symbolique arménienne.
« Aujourd’hui je cumule ces deux métiers qui se vont bien ensemble. La création occupe une part importante dans ma vie. Je crois qu'elle est partout : non seulement dans la production, mais aussi dans les relations », énonce-t-elle.
Anahid aurait voulu faire imprimer ces foulards en Arménie, mais bien qu’il y eût une longue tradition de cette production en Artsakh avant sa soviétisation, de nos jours, on ne produit malheureusement plus de vraie soie en Arménie. « Il n’y a plus de production, mais les papillons de verres produisant la soie avaient « attaqué » la région de Hadrout, il y a un an », se souvient-elle. Ses foulards, conçus à partir de dessins originaux, sont fabriqués et imprimés en Italie.
Des dessins et de leur sujet
Les motifs imprimés sur ses foulards de soie sont en lien direct avec son for intérieur et son identité : « c’est le fil de mon histoire et mon arménité ». Ils lui viennent inconsciemment et une fois ses dessins achevés, elle n’arrive pas à échapper à la représentation de la grenade, du raisin, des oiseaux ou des lettres arméniennes qui l'habitent particulièrement : « Les lettres sont passionnantes. On croit que l’on ne peut s'en inspirer qu'une seule une fois, mais non : on ne cesse jamais de découvrir les lettres arméniennes tant elles revêtent de formes différentes et de mystères qui les entourent. D’après une légende, certaines lettres de l’alphabet arménien correspondent même aux formules du tableau de Mendeleïev, celui de classification périodique des éléments ».
Anahid témoigne aussi de son souhait de sortir des sujets qu’elle explore aujourd’hui : « Je me cherche encore, je me pose beaucoup de questions… Mais des certitudes aussi se mettent en place avec l’expérience. Ce que j’aimerais, c’est de sortir aussi de mes sujets pour explorer d’autres existences et d’autres histoires ».
Chacun de ses foulards a sa propre histoire, liée à une période, à une personne ou à une histoire. Comme l’explique Anahid : « J’avais déjà commencé à dessiner d'après les monuments historiques d’Artsakh avant la guerre. Mon foulard "Shushi" » par exemple, a complètement changé d’approche aujourd’hui. Ghazanchetsots (NDLR, la grande église de Shushi) a changé elle aussi, et les anges qui le décoraient n’existent plus. Cette métamorphose m’a donnée l’idée de créer un foulard qui s’appelle "La nuit de Shushi", parce que je crois que Shushi s’est endormie maintenant, les anges la protègent, quelque part. Quand j’ai présenté ce foulard sur internet, ce sont surtout les hommes qui s'y sont intéressés et c’était impressionnant », dit Anahid.
« Ma création m’aide aussi à m’oublier », conclut-elle.