Dans un discours particulièrement violent et manipulateur, Ilham Aliyev avait provoqué, à la veille du week-end dernier, une forte et légitime indignation des autorités arméniennes, dans un contexte de débuts de pourparlers où la volonté d'apaisement semble loin d'être partagée. Mardi soir, le président du conseil de l'Europe, Charles Michel, sans explicitement donner raison à l'Arménie, a toutefois clairement démenti les allégations du maitre de Bakou.
Par Olivier Merlet
La réaction d'Erevan a été vive suite aux déclarations du président azerbaïdjanais le 27 mai dernier. En visite symbolique dans une colonie pilote du district de Zangilan à 25 kilomètres de Kapan, chef-lieu de la Province du Syunik, Ilham Aliyev, à l'occasion de la fête nationale azerbaidjanaise, s'est en effet laisser aller à un discours plutôt inattendu après avoir échangé sur la paix au sommet de Bruxelles moins d'une semaine plus tôt.
« Nous dictons l'ordre du jour. À quel motif ? Bien sûr, au motif des conséquences de la guerre. Parce que nous sommes un État victorieux, parce que l'Arménie est un État vaincu. C'est une réalité que tout le monde devrait accepter. Bien sûr, ce facteur est au premier plan lors des contacts azerbaïdjanais-arméniens. »
Sans doute galvanisés par la commémoration de l'indépendance azerbaïdjanaise de 1921, les propos du président Aliyev ont résonné d'inquiétants accents nationalistes et franchement belliqueux à l'égard de l'Arménie. Profitant opportunément des manifestations des partis d'opposition qui ont perturbé la capitale ces dernières semaines, Aliyev a même lancé à l'intention des deuxième et troisième présidents qu': « ils pensent que s'ils étaient au pouvoir, l'issue de la guerre aurait été différente. Absolument pas ! Au contraire, s'ils ne veulent pas qu'on leur écrase à nouveau la tête, ils doivent s'asseoir et ne pas regarder dans cette direction. […] Qu'ils voient notre force et en tirent les conséquences. »
Enchainant attaques violentes et contre-vérités, le président azerbaidjanais, dans une rhétorique emportée, a surtout exclu toute négociation avec l'Arménie sur le statut du Karabakh, affirmant qu'Erevan y avait elle-même renoncé et que la réunion de Bruxelles démontrait que « le "Haut-Karabakh" était absent du lexique des organisations internationales », l'Arménie doit accepter « une réalité que le monde entier reconnaît ». Deux jours plus tôt, s'exprimant à propos de cette même réunion, Nikol Pashinyan avait indiqué que les deux parties continuaient d'être en désaccord sur l'ordre du jour des discussions sur le processus de paix
Évoquant enfin l'ouverture des voies de communication traversant le sud du territoire arménien dans la province du Syunik, entre Bakou et le Nakhitchevan, Aliyev a de nouveau fait référence au Zangezur comme à une terre dont « tous les lieux, tous les villages sur le territoire de l'Arménie actuelle, et à son est, et à son ouest, ont appartenu au peuple Azerbaïdjanais».
« Les aspirations vers le territoire souverain du pays voisin et le recours à la force pour atteindre ces objectifs ne sont rien d'autre qu'un mépris des normes du droit international, ce qui remet sérieusement en question la sincérité des intentions de l'Azerbaïdjan de parvenir à la paix dans la région », a répondu le ministère des Affaires étrangères arménien dans un communiqué du 28 mai, appelant les dirigeants azerbaidjanais à « ne pas torpiller les discussions menées dans les formats existants par une rhétorique belliciste et expansionniste ». Rappellant que pour elles, le mandat international du Groupe de Minsk continuait toujours « d'exister bel et bien », les autorités arméniennes ont réaffirmé leur position de principe, « à savoir que les négociations sur la normalisation des relations entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan devraient […] aborder l'ensemble des questions, y compris le règlement définitif du conflit du Haut-Karabakh ».
Dans la soirée de ce mardi, Charles Michel, par la voix de son bureau de presse, publiait à son tour un communiqué, niant avoir préconisé le retour du Haut-Karabakh sous le régime azerbaïdjanais lors de la réunion trilatérale de Bruxelles le 22 mai et confirmant les affirmations de l'Arménie rejetant l'idée d'ouvrir un corridor terrestre permanent qui relierait l'Azerbaïdjan à son enclave du Nakhitchevan.
Soulignant que « la terminologie est particulièrement sensible dans ce contexte », Charles Michel a clairement fait valoir que sa déclaration « sur les résultats de la réunion des dirigeants du 22 mai ne devrait pas être interprétée comme favorisant un résultat prédéterminé des discussions dans un sens ou dans l'autre ». Il a par ailleurs formellement reconnu « l'absence de revendications extraterritoriales en ce qui concerne les futures infrastructures de transport » déplorant que « toute supposition contraire est regrettable».
« En fin de compte, conclut-il, ce qui importe le plus, c'est que toutes les questions soient abordées de manière exhaustive, notamment les droits et la sécurité de toutes les populations. Il est nécessaire de préparer les populations à la paix et d'insister sur le rôle primordial que jouent les déclarations publiques à cet égard ».