
Le 4 mai 2023, le gouvernement arménien a investi 1,5 milliard de drams (environ 3,6 d'Euros aujourd'hui) dans une société dont la directrice est une amie de l'épouse du maire d'Erevan, Tigran Avinyan. L'entreprise en question, intitulée CFW CJSC, a reçu l'argent huit jours seulement après sa création. Cet investissement a été rendu possible grâce au fonds d'investissement anti-crise Entrepreneur/Etat, créé le 22 mai 2020 par l'Armenian National Interests Fund (ANIF), un fonds d'investissement direct étranger opérant sous l'égide du gouvernement arménien. L'investigation sur l'utilisation de ces fonds a été menée par le journal arménien Hetq.
Pour commencer, quelques faits: l'entreprise CFW CJSC est détenue par des sociétés enregistrées offshore dans l'État américain du Delaware. L'ANIF quant à lui a été créé en 2019 et sera dissout en 2024, et M. Avinyan a continué à présider le conseil d'administration de l'ANIF après avoir été nommé maire adjoint d'Erevan en septembre 2022. La presse arménienne avait plusieurs fois soulevé la question du « conflit d'intérêts » dans ses pages. Les enquêtes sur cette question ont été interrompues en raison de la dissolution de l'ANIF et de sa fusion avec le Comité de gestion des biens immobiliers de l'État.
De 2020 à 2023, le Fonds d'investissement anti-crise Entrepreneur/État a investi dans dix entreprises ainsi que dans le Fonds UE-Arménie pour les PME. Le montant total de l'investissement s'est élevé à 6,650 milliards d'AMD. L'État a acquis jusqu'à 49 % de parts dans diverses entreprises, dont CFW CJSC. L'objectif de cet investissement était de créer des capacités de cybersécurité en Arménie et de former des spécialistes dans ce domaine, qui seraient en mesure à terme de fournir des services de cybersécurité aux entreprises locales et étrangères.
Pour ce qui est du CFW CJSC, c'est Karineh Andreasyan, sa directrice, qui détient 33 % des parts de Lav Products LLC, et Mariam Pahlavuni, qui en détient 34 % des parts, est l'épouse de Tigran Avinyan, maire d'Erevan. Ce dernier a été vice-Premier ministre d'Arménie de 2018 à 2021 dans le gouvernement de Nikol Pashinyan.
Le Delaware est une zone offshore, ou comme on l'appelle communément, un « paradis fiscal ». Une zone offshore est un territoire désigné par un pays donné pour les entreprises étrangères. Les sociétés enregistrées offshore ne peuvent pas exercer d'activités lucratives sur le territoire d'un pays donné. Elles sont toutefois exonérées d'impôts.
Hetq a tenté de savoir si les fonds investis dans cette entreprise par le Fonds Entrepreneur+État ont été dépensés conformément à l'objectif visé. L'ANIF a indiqué que les entreprises ayant reçu de l'argent de l'État n'ont pas soumis de rapports.
Le fonds Entrepreneur+État était censé contrôler l'efficacité de l'utilisation des fonds. Le contrôle s'effectuait de la manière suivante : l'entreprise qui recevait des investissements de l'État devait organiser un concours chaque année et sélectionner une société d'audit indépendante. Cette société devait effectuer un audit et en présenter les résultats au fonds. Celle-ci devait faire partie du « top 10 » des sociétés d'audit.
Il s'avère qu'à l'époque (2019-2023), lorsque Tigran Avinyan occupait le poste de président du conseil d'administration de l'ANIF, le fonds Entrepreneur/État a investi plus de 1,5 milliard de drams dans une entreprise dirigée par l'amie de sa femme.
En réponse à notre demande écrite auprès du Comité de gestion des biens de l'État, nous avons été informés que les conclusions de l'audit étaient confidentielles.
« En ce qui concerne la fourniture des états financiers ou des rapports d'audit des entreprises, nous pensons que les documents demandés peuvent contenir des secrets commerciaux, dont la fourniture/divulgation à un tiers peut poser des problèmes juridiques », indique la réponse.
Ainsi, alors que l'État a donné des milliards d'argent du contribuable à des entreprises privées, le public n'a pas le droit de savoir comment son argent a été dépensé.
Compte tenu des scandales de corruption qui entourent l'ANIF depuis deux ans, il est particulièrement important de savoir comment ces fonds ont été dépensés.
Hetq a également essayé de parler à la directrice du CFW, Karineh Andreasyan. Nous nous sommes rendus à l'adresse indiquée dans le registre national des personnes morales, rue de la République 37, à Erevan. Cependant, il n'y avait pas de société à cette adresse. L'ANIF opérait également dans ce bâtiment avant qu'il ne soit repris par le Comité de gestion des biens de l'État.
Alors, Hetq a envoyé une demande écrite à l'adresse électronique de Karineh Andreasyan, lui demandant de répondre aux questions suivantes :
- La CFW CJSC a-t-elle mis en œuvre les objectifs fixés par le Fonds d'État pour les entrepreneurs ?
- Combien d'employés comptait l'entreprise au moment de l'investissement et combien compte-t-elle aujourd'hui ?
- Combien de spécialistes de la cybersécurité CFW CJSC a-t-elle formés ?
- - Combien de ces spécialistes travaillent dans le domaine de la cybersécurité ?
L'ANIF, le Fonds d'investissement anti-crise Entrepreneur+État, ou le Comité de gestion des biens de l'État ont-ils exigé ou demandé à CFW CJSC de restituer l'investissement de 1,5 milliard d'AMD ?
Mme Andreasyan n'avait pas répondu à notre demande au moment de la publication de cet article. ALors, Hetq a écrit au State Revenue Committee (SRC) pour connaître le nombre d'employés de l'entreprise au moment de sa création et le nombre d'employés actuels. Le SRC a indiqué qu'en avril 2023, CFW CJSC comptait quinze employés, puis deux en août 2024. De septembre 2024 à aujourd'hui, une seule personne a travaillé chez CFW CJSC : le directeur de la société.
En 2023 et 2024, CFW CJSC a payé 108,145 et 166,472 millions AMD d'impôts au budget de l'État.
CFW était censée verser 49 % de ses bénéfices à la République d'Arménie sous forme de dividendes. Nous avons adressé une demande au ministère des Finances pour savoir si l'État avait reçu les dividendes. Le ministère a répondu que, d'après les informations fournies par les organes administratifs autorisés de l'État, il n'existe pas de société d'État appelée CFW CJSC. Le ministère des finances ne sait même pas qu'il existe une telle société, dont 49 % des actions appartiennent à l'État. Il ne peut donc être question de recevoir un dividende.
Nous avons adressé une nouvelle demande au Premier ministre Nikol Pashinyan, lui demandant de nous indiquer si CFW CJSC a versé des dividendes à l'État et, dans la négative, pourquoi. Le bureau de M. Pashinyan a transmis notre demande au Comité de gestion des biens de l'État. Cet organisme n'a pas encore répondu à notre demande.
Dans le contexte des scandales de corruption qui entourent l'ANIF, l'accord avec CFW soulève de sérieuses questions sur l'efficacité, la transparence et le contrôle des investissements publics.
Des fonds publics d'un montant de 1,5 milliard d'AMD ont été acheminés vers une entreprise qui a non seulement des liens avec l'étranger, mais qui n'a rien à montrer en retour.