Dans le cadre de la 6ème édition des Rencontres théâtrales francophones en Arménie, la francophonie a été au cœur des discussions et des échanges entre les amateurs de Eugène Ionesco, dramaturge et écrivain roumain de langue française. Ce dernier, en effet, sans se déclarer militant de la francophonie, en est un prôneur par sa vie et son œuvre. En choisissant d’écrire en français, il montre que cette langue peut être une terre d'accueil pour des créateurs du monde entier et un vecteur puissant d'universalité. Son théâtre, par sa portée et sa profondeur, célèbre une francophonie ouverte, accessible et tournée vers l'exploration des complexités de la condition humaine.
Par Layla Khamlichi - Riou
Lors de son intervention durant l’introduction des Rencontres théâtrales francophones en Arménie, Eric Poppe, représentant pour l’Europe centrale et orientale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), a indiqué que le français était « une langue qui véhicule énormément de cultures différentes, on parle des cultures francophones ». L’organisation compte effectivement 88 Etats membres du monde entier, poussant alors Monsieur Poppe a dire : « la langue française n’est plus la langue de Molière au XXIème siècle (…) cette expression donne une image très dépassée de la langue française (…) et comme je l’ai dit tout à l’heure on la parle dans le monde entier (…) et la langue s’enrichit de toutes ces différences. De nos jours, (…) il faut montrer que c’est une langue moderne, c’est comme ça qu’on va attirer les jeunes à parler la langue française ». Dans ce contexte, « la langue française permet aux jeunes arméniens de communiquer avec d’autres jeunes dans la région d’Europe centrale et orientale », et même dans le monde. Ainsi, les jeunes arméniens peuvent compter sur le théâtre francophone.
Nous avons eu la chance d’interroger Lusiné Abgaryan et Ani Janikyan, organisatrices de cette 6ème édition, qui ont pu partager leurs visions de l’importance du théâtre francophone.
Selon Lusiné Abgaryan, cette édition visait à mettre en avant la dramaturgie francophone contemporaine, à la fois pour les jeunes, les amateurs de théâtre, et pour le public arménien plus largement, en plus d’affirmer que « Parler français, c’est une vision différente du monde, c’est une valeur ajoutée. ». En effet, l’événement ne se limite pas à présenter des pièces mais vise à créer une véritable rencontre culturelle autour d’une langue qui favorise l’expression de perspectives multiples. Elle a ajouté : « La culture est un véritable vecteur de rencontre, car tout ce qui ne peut être dit dans d’autres domaines peut être dit très librement, très facilement, dans la culture. »
L’événement met également à l’honneur des auteurs aux identités multiples, tel qu’Eugène Ionesco, auteur roumain et français. Pour Lusiné Abgaryan, cette double appartenance culturelle enrichit l’œuvre d’un écrivain, ajoutant une dimension supplémentaire à son identité et à son travail. « Ce qui est très intéressant, c’est que la couche de la langue ajoute une autre dimension à leur identité. Ionesco, par exemple, comme d’autres auteurs de l’absurde, a une double identité, mais écrit en français. Cette double identité, à mon avis, enrichit leur œuvre, » explique-t-elle. Enfin, elle a partagé l’intention, pour la prochaine édition, de rendre hommage à un auteur dont l'identité est aussi marquée par un mélange de cultures et de langues, similaire à celle d'Ionesco : « Ce sera dédié à un auteur qui a une double identité, car c’est toujours intéressant de voir ce conflit positif entre langues et cultures, et ce que cela transporte dans l’œuvre, » a-t-elle conclu. Les Rencontres Théâtrales de la Francophonie en Arménie montrent ainsi à quel point le théâtre francophone peut servir de pont entre les cultures, inspirant de nouvelles générations et ouvrant des perspectives d’expression essentielles.
De même, pour Ani Janikyan, qui décrit cet évènement comme un espace de rencontres et de découvertes pour les Arméniens, mais aussi un rappel de la pertinence du théâtre de l’absurde dans le contexte actuel. Elle a rappelé que le théâtre de l'absurde, bien que développé principalement en France, a été façonné par des auteurs aux identités culturelles diverses : « Le théâtre de l’absurde a été formé grâce à trois auteurs francophones qui n’étaient pas français » précise-t-elle. Arthur Adamov, d’origine arménienne, et Samuel Beckett, Irlandais, ont contribué avec Ionesco à enrichir ce courant théâtral. Cet héritage multiculturel permet au théâtre de l’absurde d’être un pont entre différentes cultures, un aspect que Madame Janikyan juge essentiel pour rassembler les francophones d’Arménie avec ceux des autres pays participants.
Cette édition a également été marquée par une grande première avec la représentation de La Cantatrice chauve, une des œuvres les plus emblématiques de Ionesco, par le Théâtre « Matei Visniec » de Suceava. « Pour la première fois, sur une scène arménienne, la langue roumaine, sous-titrée en arménien, nous permettra de découvrir La Cantatrice chauve » annonce-t-elle avec enthousiasme. Cette représentation inédite témoigne de la volonté de ce festival d’offrir une ouverture vers d’autres cultures tout en célébrant la francophonie. Grâce aux Rencontres Théâtrales, un intérêt croissant pour le français se manifeste en Arménie, et Ani Janikyan constate que beaucoup de jeunes commencent à admirer la langue et la culture françaises : « Aujourd’hui, grâce à ces événements, je peux dire qu’il y a beaucoup de jeunes qui veulent apprendre le français » se réjouit-elle.
Les Rencontres théâtrales francophones en Arménie contribuent à renforcer l’intérêt pour la langue française en Arménie et à élargir les horizons culturels des spectateurs. En exposant le public arménien à la diversité de la culture francophone, le festival enrichit la scène théâtrale locale et soutient le développement d'une francophonie dynamique en Arménie.
Ainsi, le théâtre francophone en Arménie joue un rôle important dans la préservation des liens culturels entre la Paris et Erevan. Il reste un domaine dynamique pour ceux qui s'intéressent à la langue et à la culture françaises, avec des productions théâtrales qui contribuent à la diversité de la scène culturelle arménienne.
Le Courrier d'Erevan, partenaire de la 6ème édition des Rencontres théâtrales francophones en Arménie, vous présentera, dans les jours à venir, d'autres articles sur cet événement.