Le double message de Stéphane Séjourné

Actualité
16.09.2024

En visite expresse d'à peine 24 heures en Arménie, l'actuel locataire du Quai d'Orsay, le ministre démissionnaire des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, a assuré les autorités d'Erevan de la continuité du soutien politique de la France et a averti Bakou en souhaitant le mettre face a ses responsabilités.

Par Olivier Merlet

 

Le bruit avait couru au début de l'été de la visite cet automne à Erevan du président français Emmanuel Macron. Compte tenu de l'instant politique très particulier en France et à l'heure de la constitution du nouveau gouvernement après 100 jours de vacances, il a sans doute préféré confier cette charge à son ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, démissionnaire, qui bouclera sa dernière mission diplomatique en Moldavie puis en Grèce.

C'est justement pour assurer et rassurer l'Arménie de la continuité du soutien de la France, quel que soit son nouveau gouvernement, que l'encore chef du Quai d'Orsay a rencontré ce lundi son homologue Ararat Mirzoyan et le Premier ministre Nikol Pashinyan.

Intervenant au sortir de son rendez-vous avec le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, n'a pas échappé au traditionnel rappel des valeurs communes d'indépendance et de liberté que partagent la France et l'Arménie. Il est cependant rapidement entré dans le vif de son sujet. « L'Arménie sait qu'elle pourra compter sur l'engagement indéfectible de la France », a assuré le ministre français, reprenant le vocabulaire même employé par le chef de l'État français il y presqu'un an. « Il n'y a pas beaucoup de sujets en France qui transcende ainsi les sensibilités politiques, l'Arménie en fait partie ». Le message de la France aux gouvernants arméniens est clair : la transition politique qui se prépare en France ne doit pas les inquiéter.

À un journaliste qui l'interrogeait l'hypothèse d'un amoindrissement de l'influence française du fait de sa situation, il a d'ailleurs répondu que « ce déplacement a été validé par le nouveau Premier ministre français Michel Barnier et par le Président de la République, c'est une forme de continuité des engagements de l'État. Il n'y a pas de changement dans les valeurs que nous défendons, je n'ai aucun doute sur la continuité du soutien, de notre relation et aucune différence ne sera notée d'ailleurs sur les valeurs défendues de démocratie, d'amitié, de paix et de reconnaissance historique entre nos deux peuples. Il y aura peut-être des changements d'hommes et de femmes aux responsabilités mais l'engagement restera, ma présence ici tient à le démontrer ».

La politique étrangère compte parmi les sujets dits "régaliens" du Président de la République française et ce dernier, dans l'immédiat, reste aux commandes de l'État français. Prudent toutefois, son toujours ministre « forme le vœu » que la France « {puisse] poursuivre sur ce chemin avec tout l'engagement que nous avons vu ces dernières années ». Tous les sujets de la coopération franco-arménienne ont été passé en revue avec toujours ce même message : leur poursuite, la continuité des efforts et le renforcement des relations, de quel domaine qu'elles soient.

Cependant, le but de ce probable dernier voyage de Stéphane Séjourné en tant que chef de la diplomatie française ne concernait pas que l'Arménie. Son discours était aussi à l'intention de Bakou qu'il a exhorté à prendre de « rapides initiatives » pour avancer sur le sujet de la paix et qu'il en allait de sa responsabilité « avant la COP 29 », de montrer qu'il souhaite sincèrement y parvenir. Une à une, Stéphane Séjourné a égrené les questions de la relation franco-arménienne qui courroucent l'Azerbaïdjan, de la coopération en matière de défense à l'ouverture des communications en passant par la mission européenne d'observation et l'attribution par Bruxelles de la facilité de paix. Il n'a "oublié" que le Kharabagh : pas un mot, ni sur le retour sur leurs terres des Kharabaghtsis, " sujet cher à la France", disait-on,ni sur les prisonniers politiques détenus à Bakou. Stéphane Séjourné n'y a fait publiquement aucune allusion.

 

Discours de Stéphane Séjourné au cours de sa conférence de presse commune avec Ararat Mirzoyan :

« Monsieur le ministre, merci beaucoup pour cet accueil si chaleureux. Je suis très honoré et très heureux d'être aujourd'hui en Arménie, pays si proche du cœur des Français. C'est la première fois que je me rends dans votre pays dans mes fonctions, un moment fort et un moment d'émotions que j'ai ressenti hier lors de ma visite au mémorial du génocide arménien. Je voudrais commencer avec cela puisque c'est peut-être, dans l'histoire de nos deux pays, ce qui nous unit avec une reconnaissance que je sais avoir marqué le peuple arménien. À l'heure où le révisionnisme historique est à nouveau utilisé pour justifier les pires crimes sur le continent, il est plus que jamais nécessaire de se souvenir et de poursuivre ensemble ce combat pour la mémoire contre l'oubli, contre le silence, mais aussi contre les mensonges.

Émotion, aussi, en se remémorant des moments de fraternité franco-arménienne que nous avons vécu ces dernières années, je pense particulièrement à l'entrée au panthéon de Misak et Mélinée Manouchian en février dernier, car l'incarnation des destins mêlés des peuples français et arméniens, l'incarnation de nos luttes pour l'indépendance et pour la liberté sont des valeurs communes que partagent nos deux pays.

Je suis venu exprimer au gouvernement au peuple arménien tout l'amitié la solidarité et le soutien de la France malgré les menaces et les tentatives d'intimidation, malgré l'hostilité ouverte de la Russie qui prétend dicter ses choix souverains, l'Arménie maintient son cap de la paix de la démocratie de l'indépendance. L'Arménie avance étape par étape. Elle sait qu'elle pourra compter sur l'engagement indéfectible de la France en faveur de sa souveraineté, de sa résilience et de son aspiration aux valeurs démocratiques et à la démocratie. […] Cette détermination dans l'engagement à vos côtés, sa constance est d'autant plus fort qu'elle transcende les sensibilités politiques en France. Il n'y a pas beaucoup de sujets en France qui transcende les sensibilités politiques, l'Arménie en fait partie.

Nous avons évoqué les relations entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, je veux le dire sans ambiguïté : la France soutient la signature au plus vite d'un traité qui permette l'établissement d'une paix juste et durable dans le respect de l'intégrité territoriale, de la souveraineté et de l'inviolabilité des frontières des deux états. C'est tout le sens des engagements pris à Almati en 1991, ces principes doivent être l'aiguillon du ce processus de paix. C'est d'autant plus nécessaire quand tous les jours la Russie foule du pied ces grands principes en Ukraine. Je voudrais également avoir un mot sur la délimitation des frontières, c'est essentiel dans ce processus, l'accord trouvé le 30 août va dans la bonne direction, nous soutenons la continuité de ce processus sur le fondement des principes que je viens d'évoquer. Le sud Caucase doit devenir un espace de paix, de coopération, d'intégration et de coopération avec des frontières qui doivent être ouvertes et permettre la circulation, compris le commerce et la prospérité de ces pays.

L'Arménie veut la paix. La France veut la paix. La communauté internationale veut la paix. Alors que l'Azerbaïdjan accueille bientôt la COP 29, c'est sa responsabilité de montrer qu'il souhaite sincèrement y parvenir, avant la COP 29. Des initiatives doivent être prises et on doit avancer sur ce sujet rapidement.

Le soutien de l'Arménie est aussi un soutien européen la France continuera à soutenir l'engagement de l'Union européenne à travers sa mission d'observation. Son appréciation impartiale de la situation est essentielle pour dissiper toutes les allégations et réduire les risques, également pour renforcer sa confiance et sa transparence. La mise en place d'un mécanisme conjoint d'investigation des incidents comme l'a proposé le Premier ministre Pashinyan serait d'ailleurs une mesure très utile sur laquelle nous pourrons discuter tout à l'heure avec le Premier ministre lors d'un rendez-vous.

Vous pouvez également compter sur nous pour faire bouger les lignes sur le plan européen, puisque ce n'est pas fini, au service de l'intérêt stratégique commun. Je vois deux exemples : la "Facilité de paix", cette mesure de soutien a été d'ailleurs décidé avant l'été. Nous ne laisserons aucun État tiers exercer un prétendu droit de veto sur la façon dont les Européens et l'Arménie entendent souverainement développer leur relation.

La France a œuvré au niveau européen pour que ces relations puissent se renforcer avec l'Arménie. L'autre exemple, c'est la libéralisation des visas. L'Union européenne et l'Arménie ont fortement est formellement engagé le 9 septembre un dialogue sur le sujet, c'est une avancée importante en faveur d'un rapprochement concret entre nos peuples. Vous le savez, ce soutien, la France le continuera et nous poursuivons également cet engagement sur le volet humanitaire avec 29 millions d'euros aux côtés des réfugiés du Haut-Karabagh [rappel des sommes déjà allouées, NDLR]

Notre amitié, c'est aussi un partenariat solide, il se renforce. Il s'approfondit de façon très concrète dans tous les domaines. Nous continuerons à appuyer le développement des infrastructures stratégiques pour la résilience de l'Arménie, je pense particulièrement au secteur de l'eau et de la transition énergétique, j'ai eu le plaisir hier de visiter le barrage de Vedi dans la plaine de l'Ararat.

[…] Je pense aussi aux transports et aux collectivités. Nous allons déployer prochainement un expert technique international auprès du ministère arménien de l'Administration territoriale pour avancer sur ces questions. Je veux redire à cette occasion que tout notre soutien ira à l'initiative "Carrefour de la paix" portée par le Premier ministre. L'Arménie a toute sa place dans le développement de la connectivité entre l'Europe et l'Asie centrale. Cette connectivité ne peut pas être un instrument de pression ni de division, elle doit au contraire servir à la paix en plein respect de la souveraineté de chacun.

Nous continuerons ainsi à chaque développer notre coopération en matière de défense. L'Arménie doit pouvoir protéger son territoire son intégrité territoriale et sa population. Entre amis, il est normal de coopérer dans ce domaine-là, nous le faisons en toute souveraineté et sans volonté d'escalade.

Notre partenariat et notre amitié reposent sur des fondations solides, historiques, et ces dernières années, avec la francophonie, nous pouvons ensemble nous projeter dans l'avenir. L'Université française en Arménie (UFAR) a nourri ce lien, notre nouvel institut culturel y participe et participera encore pour former de nouvelles générations. La relocalisation rapide aura d'ailleurs besoin du soutien du gouvernement arménien.

Si nos liens sont si solides, c'est qu'ils peuvent s'appuyer sur la mobilisation de nos collectivités territoriales et des organisations de la société civile. […] Leur rôle est essentiel comme nous l'avez démontré avec l'initiative "Ambition France-Arménie" que le Président de la République et le Premier ministre Pashinyan avaient lancé en mars 2022 à Paris. J'y suis particulièrement attaché, afin de fédérer et d'accompagner toutes les énergies positives, j'ai nommé une coordinatrice des coopérations franco-arméniennes au sein de mon ministère Florence Provendier, qui est avec nous dans la délégation et engagé pleinement en faveur de ce lien entre nos deux pays au sein de notre ministère, elle sera à pied d'œuvre rapidement.

Comme vous le voyez, nos liens sont singuliers, nous continuerons. Les chantiers ne manquent pas et sont nombreux, avec détermination et amitié, je forme le vœu que nous puissions poursuivre sur ce chemin avec tout l'engagement que nous avons vu ces dernières années, renouvelé avec nos deux peuples, au service de la démocratie et de la paix ».