Plusieurs milliers de personnes se sont retrouvées place de la République hier soir, 19 septembre, pour une manifestation spontanée contre le gouvernement. Des échauffourées musclées se sont produites qui auraient pu bien mal tourner. De nouveaux rassemblements sont à venir.
Texte et photos par Olivier Merlet
19h30 - Place de la République à Erevan. Ils ne sont encore que deux ou trois cents devant les portes du palais du gouvernement, mais ils arrivent, peu à peu, inexorablement. C'est un rassemblement spontané. Pas des manifestants en ordre de bataille : de simples citoyens, tristes et écœurés par ce qui s'est passé cet après-midi , l'attaque massive de l'Azerbaïdjan sur le Karabagh. Ils ont peur aussi. Beaucoup ont de la famille là-bas, coincée sous les tirs intenses d'artillerie à Stepanakert, à Martuni, Martakert, Askeran ou dans les villages près de Shushi. De nombreuses positions sont déjà tombées, mais les zones résidentielles ont aussi été largement touchées. On rapportait hier soir le chiffre de vingt-sept morts, des civils, dont au moins deux enfants. Les pertes militaires ne sont pas annoncées, « de très nombreux morts », soupire-t-on de groupes en groupes.
Sur les marches du palais du gouvernement, adossés au triple cordon de police qui protège le bâtiment, des militants politiques ont pris la parole, et la manifestation à leur compte. Ils haranguent la foule. On reconnait Andranik Tevanyan, sympathisant notoire de Robert Kocharyan qui hurle dans un haut-parleur. Deux ou trois autres figures moins connues de l'opposition sont à ses côtés. La tension monte au fur et à mesure que se massent la foule. Nikol traître ! », « Nikol, démission ! ».
À 20h15, la place de la République est déjà pleine aux trois quarts. Elle est bouclée : des voitures de police et même des bancs ont été installés en travers des rues adjacentes pour bloquer la circulation, mais les piétons continuent de passer. Le rassemblement est dense, les meetings lors des élections du printemps 2021 n'avaient pas rassemblé autant de monde.
À l'avant, tout à coup, un homme s'en prend à un policier, violemment, les deux hommes n'en viennent pas aux mains mais s'invectivent violemment. Une bouteille d'eau traverse la foule et atterrit sur le cordon de sécurité, puis deux, puis trois, puis des dizaines. Simultanément, les manifestants poussent et poussent encore, toujours aux même cris de colère. Le mouvement est ample, puissant, il entraîne avec lui d'autres personnes qui tentent en vain de s'en dégager. L'assaut est donné, celui de la foule. Les forces de l'ordre semblent prises de cours, acculées contre les portes vitrées mais pas encore débordées. Elles parviennent à repousser cette première vague qui se reforme en reculant et repart de plus belle, un peu plus forte.
À la troisième tentative, une explosion. Une grenade de désencerclement vient d'être tirée. Les assaillants sont brièvement désorganisés mais se reforment vite et reprennent leur poussée. Deuxième tir de grenade, même résultat. En réponse aux tirs des forces de l'ordre, ce sont maintenant des pierres qui remplacent les bouteilles d'eau. Les manifestants les trouvent au pied des arbres qui bordent le trottoir. Un policier est pris à parti, deux hommes s'accrochent à son treillis et tentent de le tirer à eux par ses vêtements. Ses collègues le retiennent, il est soulevé de terre. Un photographe est touché à la tête, heureusement sans gravité, mais les blessures au cuir chevelu sont toujours impressionnantes, il a la joue couverte de sang. Un bilan communiqué ce matin fera état de 42 blessés légers, 16 policiers et 26 participants au rassemblement.
L'assaut a pris fin à 21 heures, il aura duré près de quarante-cinq minutes. Quatre grenades au total auront été tirées, l'une d'entre elle au beau milieu de cette foule remontée qui n'a pu parvenir à ses fins. Des renforts de police sont arrivés et le barrage policier s'est reconstitué devant les marches du palais du gouvernement, cette fois protégé d'une rangée de "CRS" locaux, casqués et armés de boucliers. Sur l'un d'eux, on remarque un petit autocollant du drapeau d'Arstsakh…
Les forces de l'ordre ont négocié avec les leaders de la manifestation l'installation d'une voiture-tribune au milieu de la place, bien éloignée du siège du pouvoir arménien. Les orateurs promettent qu'ils vont y passer la nuit et ne lèveront le camp qu'à la démission du Premier ministre. Un nouveau rassemblement est prévu pour ce soir à 19h30.