Selon les statistiques officielles (janvier 2020), il y a un peu plus de 19 mille personnes déplacées en Arménie, dont les Arméniens de Syrie constituent la majeure partie (presque 15 mille). Cela dit, cette petite république de la Transcaucasie longtemps très monoethnique s’ouvre petit à petit à d’autres races et nations, y compris avec l’arrivée de réfugiés d’ethnies étrangères. Originaires principalement de Syrie, d’Irak, d’Iran, d’Ukraine ou encore des pays d’Afrique, ils cherchent ici protection, soutien et compréhension.
Mandatée par le HCR (l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés), la fondation KASA oeuvre depuis 2014 en faveur de l’intégration socioculturelle (“Rejoins la communauté”), de l’insertion économique des personnes déplacées en Arménie ainsi que du développement communautaire mené par des jeunes locaux et réfugiés ( “Coalition des jeunes”).
Les volontaires sont la force motrice de son action. Locaux ou anciens réfugiés, audacieux ou timides, étudiants, salariés ou chômeurs, bénévoles en herbe ou déjà expérimentés, ils/elles sont l’incarnation du leitmotiv de la Journée mondiale du réfugié en 2020: “Chacun peut agir. Chaque geste compte”. Avec passion et sincérité, ils partagent leur expérience de bénévolat et cherchent des voies “virtuelles” pour servir l’humanité en temps de pandémie!
“Avant de participer aux projets de KASA, je n’avais qu’une idée très vague des personnes déplacées, basée sur les actualités, et à vrai dire, je ne me préoccupais pas particulièrement de leur sort”, raconte Roberta, jeune locale. Aujourd’hui, elle se sent pourtant personnellement concernée par leur condition: “Mon but, c’est d’essayer de rendre meilleure la vie d’une autre personne qui n’est pas aussi privilégiée que moi dans ce pays”. Cette année la majeure partie du projet s’est déroulée en devant respecter les conditions du confinement: “C’était dommage car les visites de volontaires au “Centre de réception” [ndlr, des personnes déplacées] étaient comme une bouffée d’air frais pour ses résidents”. Mais au moins, complète Roberta, elle a pu les aider à assimiler le vocabulaire basique d’arménien requis pour les différentes situations du quotidien. “Car la maîtrise de la langue est cruciale pour s’intégrer dans une société”.
Pour Vardi, Arménienne de Syrie installée en Arménie en 2010, la participation aux projets de KASA est devenue une expérience transformatrice, de sorte que s'arrêter à mi-chemin était impensable: “J’ai donc décidé d’aller de l’avant avec les autres volontaires et avec KASA. Ainsi, le projet de Coalition des jeunes est né en coopération avec le HCR. Dans ce cadre nous, jeunes locaux et personnes déplacées, réalisons des projets basés sur les Objectifs de développement durable de l’ONU”. À la 1ère édition de la Coalition, ils ont décidé de nettoyer de ses déchets l’espace délaissé près de la station de métro Charbakh et de peindre un graffiti sur l’un de ses murs en engageant dans cette action les enfants du voisinage. “Il fallait voir avec quel enthousiasme ces gamins maniaient des pelles plus lourdes qu’eux ou insistaient pour planter un arbre de plus. Et ensuite, avec quel sens de responsabilité ils gardaient intact ce graffiti qui avait apporté des couleurs dans leur espace morne”, partage-t-elle. Et vu que c’est “grâce” à ce même graffiti que l’un des volontaires les a trouvés et a rejoint la 2nde édition du projet, “nous avons pris conscience d'être acteurs de vrais changements, et nous espérons réaliser des projets encore plus signifiants dans le futur”, conclut Vardi.
“Lorsque je suis arrivée en Arménie, je parlais évidemment l’arménien, mais occidental, de sorte que je sentais une certaine barrière de langue à cause de laquelle, une année durant, je suis restée quasiment enfermée dans ma chambre”, raconte Jessica, Arménienne d’Alep (Syrie). À l’époque, c’est KASA qui l’a aidée à sortir de son “isolement”. “J’ai donc été d’abord bénéficiaire de ses projets avant d’en devenir volontaire. Et je me suis donné comme mission de servir d’interprète à des participants qui ne pourraient pas s’engager pleinement dans le projet à cause de cette même barrière de langue”, partage-t-elle. Jessica a voulu être utile aux volontaires aussi: “J’ai essayé de partager avec eux mon expérience “de l’autre côté du camp” pour qu’ils puissent avoir une communication plus réussie avec les personnes déplacées, car un seul mot innocent peut blesser le réfugié qui a dû laisser tout derrière lui”.
“Demain, chacun de nous pourrait se retrouver à son insu à la place des personnes déplacées”, remarque Siranush. “Il faut faire l’effort de nous mettre dans leur peau pour pouvoir être vraiment utile. Et puis, nous aussi avons des choses à apprendre d’eux: ce sont des gens très doués!”, poursuit la jeune locale, convaincue que chaque membre de la société devrait traiter les réfugiés d’égal à égal pour qu'ils oublient qu’ils ont été déplacés.
“Avant, je me les représentais comme un groupe de personnes vulnérables dont il faut avoir pitié, mais en faisant leur connaissance j’ai réalisé qu’il ne faut pas parler de pitié, mais de compassion chaleureuse”, partage Razmik, jeune étudiant en psychologie qui essaye de mettre ses connaissances professionnelles aussi au service des bénéficiaires du projet.
“Durant l’une de nos visites au Centre, il a fallu que nos propos soient traduits en persan, et l’un des réfugiés s’est engagé à servir d’interprète à son voisin. J’ai compris qu’ils étaient prêts à s’entraider au même titre que nous le faisions en tant que volontaires”, se souvient Azatuhi, jeune locale.
“Avant notre première rencontre, je pensais que j’allais découvrir des gens comme moi mais plutôt tristes, vu qu’ils avaient fui leurs pays. Or, j’ai été surpris de voir des personnes joyeuses, voire bruyantes, et j’ai compris que l'être humain est capable de rester maître de sa vie dans toute situation sans en devenir victime”, raconte Daniel, jeune philosophe. Il se souvient aussi du moment où l’un des réfugiés lui a récité un poème de Paruyr Sévak qu’il ne connaissait pas. “À ce moment-là, l’idée préconçue que, même si nous sommes égaux, j’étais là pour leur apprendre au moins quelque chose sur ma propre culture qu’ils ne connaissaient pas autant que moi - de même que celle que l’héritage culturel et littéraire arménien n’intéresse pas tellement les étrangers! - s’est effondrée”.
“On dit que même une attitude particulièrement positive peut être discriminatoire, et au départ, je ressentais une certaine gène et retenue dans mes échanges avec les personnes déplacées car je veillais constamment à ne pas les blesser involontairement. Nous avons tous fait l’effort de cultiver en nous la manière de communiquer d’égal à égal, sans l’arrière-idée que nous sommes venus les aider, et ce type d’échange s’est avéré plus utile”, remarque Maria, jeune locale.
Chaque geste compte, aussi pour la personne qui le fait: “Après chaque rencontre du projet - même virtuelle! - je sens un reflux d’énergie en moi”, partage Naro, Arménienne d’Irak vivant en Arménie depuis 2006. “Avant KASA, j’étais une fillette qui sortait tenant la main de sa maman à qui elle demandait de parler à sa place. Aujourd’hui, c’est moi qui parle, et je vais jusqu’à ne pas avoir honte de réclamer justice dans la rue si je remarque quelque chose d’injuste ou d’illégal”, note-t-elle avec fierté!